Missing Data [Pt. 2] - ft Skye Reid

[ Suite de Bière Runner 2149 et Missing Data [Pt. 1]]


Fwooooooooosh

Sören venait d’actionner la chasse d’eau tout en se relevant, s’essuyant le bord des lèvres dans du papier toilette. Il avait pris un croissant, pensant que son mal de ventre était avant tout lié à la faim. Apparement non, puisque tout était ressorti quelques minutes plus tard.

Ça devait plutôt être l’alcool d’hier, combiné à la fatigue, au stress, au désespoir… son estomac ne manquait pas de raisons de refuser les viennoiseries.

10h26. Sören était sorti de l’enceinte de la F.A.T.E depuis une bonne demi-heure déjà. Il avait commencé par s'installer pour prendre un café dans un bistrot du coin. Il fallait bien compenser le sommeil par la caféine, mais il cherchait surtout un endroit pour se poser et réfléchir.

Il était resté là un moment, à chercher des infos à propos du cambriolage sur son nano. Les premiers médias faisaient mention d’une importante présence policière à la F.A.T.E, mais les détails n’avaient pas fuité.

D’ailleurs, c’était assez étonnant de la part d’Ann d’avoir laissé Sören sortir sans lui faire promettre de tenir le secret. Elle qui pensait à tout, c’était inhabituel. Mais bon, c’était un sacré merdier là bas dedans, elle devait avoir tellement de trucs à penser en même temps.

Ce n’était qu’après avoir bu son café est constaté qu’il ne trouverait aucune information sur le casse qu’il avait eu l’idée du croissant. Pas la meilleure idée, apparemment.

Mais peu importe, il se sentait mieux maintenant qu’il avait évacué tous ces trucs imbibés d’alcool de son estomac. Il se rinça la bouche avant de quitter les toilettes du bistrot pour retourner s’affaler à sa table.

C’était la merde. Quelles étaient les probabilités pour que ces foutues clés se fassent voler le jour exact où il les réclame ? Sören s’en voulait affreusement d’avoir réagi si tard, après plusieurs mois passés ici. Rien n’indiquait qu’on lui aurait rendu ces clés de toute façon, mais… maintenant, la question ne se posait même plus.

Et qu’est-ce qu’il allait dire à Skye ? “Salut, bien dormi ? Je t’ai ramené un Kebab. Ah, par contre, tu sais tous les films que j’ai ramené de l’extérieur et que t’as jamais vu ? Ouais bah finalement tu pourras jamais les voir. Je t’ai pris sauce Samuraï, j’espère que t’aimes ?”

Est-ce qu’il fallait seulement qu’il rentre ? Il pouvait… envoyer un message, lui dire qu’il avait eu un contretemps. Elle partirait de l’appart’, ça lui laisserait le temps de préparer une excuse pour la prochaine fois.

Non… c’était lâche. Enfin… pas que Sören ait plus de courage que le commun des mortels, mais quand même. Il n’allait pas mentir à la seule personne qui l’avait accepté. Ou de qui il avait tenté de se faire accepter ?

Les questions et autres dilemmes fusaient dans son esprit embrumé. Mais il fallait qu’il rentre, qu’il discute avec elle.Avec son méga cerveau bionique, elle pourrait forcément trouver une solution. Elle avait plus de chance d’en trouver une que lui, en tout cas.

Allez, il n’avait plus qu’à se lever et y aller.

Se lever et y aller lui prit plus d’une heure. Il fallait qu’il reprenne un café pour remplacer celui qui était ressorti un peu plus tôt. Et qu’il réfléchisse encore un peu. Et puis un autre café parce que pourquoi pas. Toutes les raisons étaient bonnes pour laisser tourner l’horloge et retarder l’échéance.

11h31… bon, fallait arrêter de déconner là, ça devenait ridicule. Il y avait un kebab juste de l’autre côté de la rue, et l’appart’ était à moins de 5 minutes à pattes. Sören se leva, paya l’addition au comptoir, avant de partir en quête d’une mission qu’il pouvait difficilement rater cette fois : acheter 2 kebabs.

11h44. Sören buggait devant la porte de chez lui, clés en main… “Je rentre ? Je frappe ? Et si elle dort ? Et si elle est nue? Et si elle est partie ? Et si… elle est morte ?”. Le rouquin soupira, consterné par ses propre divagations. Pourquoi même les décisions simples lui semblaient si compliquées ?

Il tourna ses clés dans la serrure et entra. Sans même s’aventurer dans le salon, il remarqua à la luminosité de l’entrée que les volets étaient ouverts. Elle avait donc dû se lever… mais aucun bruit à l’horizon.

Il s’avança doucement… et même plutôt discrètement, comme s’il s’attendait à ce qu’un prédateur lui saute à la gueule, ou un truc du genre. Il se trouverait sans doute ridicule s’il se voyait marcher à pas de loups dans son propre appart’ mais… l’instinct, ça ne se discute pas.

Rien dans le salon non plus. Pas de cadavre sur le canapé, pas de bruit de douche, que dalle. Pourtant, les clés étaient encore sur le bar. Sören posa le sac contenant la bouffe sur le comptoir.

Il fit l’inventaire de la pièce d’un coup d’oeil. C’était dégueulasse… on aurait dit qu’une guérilla avait éclaté près du canapé. L’un des deux cartons de pizza était renversé par terre, avec de la farine partout sur le parquet. Des bouteilles vides jonchaient la table… la veste de Skye traînait également au sol, ainsi qu’un coussin. C’était une bonne soirée. Il demanda à haute voix :

- Skye, t’es là ?

Il avait mis toute son assurance dans la question, histoire de masquer son inconfort. Pour le coup, c’était plutôt réussi

Après avoir lu sa lettre vers 11h23 puis pris une douche, je suis rentrée dans la chambre de Sören.

J'ouvre son placard en grand. Je ne sais pas trop à quoi je m'attendais, mais j'ai été plutôt déçue. Ses fringues, chemises, pantalons, tout était plutôt "normal". C'était un peu con de ma part de penser ça, mais il aurait pu y avoir des haillons, les marques de sa pérégrination vers le sud... Une blouse de la FATE, peut-être... Un manteau de cuir, un uniforme de super-héros, je sais pas, moi. Mais non, rien.

Je prends une chemise blanche et l'enfile. Comme je m'y attends, il est plus grand que moi... Mais pas beaucoup plus épais : les manches sont trop longues et me tombent des mains, et elle descend jusqu'à mes cuisses; mais elle me va à la poitrine. Pas aux hanches, la coupe est trop droite, je flotte un peu dedans.

Je referme la porte et me regarde dans le miroir. J'ai un gloussement que je n'arrive pas à réprimer : mon reflet ressemble à une icône du ecchi. Il faut que je trouve un truc à mettre en dessous. Je regarde mon nano : il est 11h47.

- Skye, t’es là ?

Sa voix retentit dans l'appartement même et me fait sursauter. Je manque de perdre l'équilibre et comme par réflexe, je me rue hors de la chambre. Il est là, dans le salon, avec un sac plastique à kebab dans une main.

- La vache, tu m'as foutu les jetons... J'ai pas entendu la porte!

Il serait arrivé 5 minutes plus tôt, j'étais encore dans le couloir. Le hasard fait bien les choses... J'ai encore la gueule de bois même si la douche l'a calmée, et je peine à rassembler mes souvenirs. Ceux de la soirée sont encore un peu flous, mais je me souviens de la lettre. Donc, le "SUPER truc à bouffer", c'était un kebab. Je souris finalement.

- Je t'ai pris des fringues, j'espère que c'est bon...? T'avais pas de Hermès, de Cartier ou de Gucci, alors j'ai pris ça...

Je tourne sur moi-même avec les bras en l'air, en faisant voler les bouts de manches en trop. On dira ce qu'on voudra, c'est quand même dix fois mieux que de remettre mes fringues sales de la veille.

- Du coup, t'as été où...? T'as pu faire ce que tu voulais...?

- La vache, tu m'as foutu les jetons... J'ai pas entendu la porte !

Skye surgit de la chambre, habillée d’une chemise trop grande. C’était le modèle ultra classique qu’il avait acheté en au moins 5 exemplaires, avec des coloris hyper variés comme… blanc ou noir.

Sören étouffa un large bâillement avant de répondre :

- Encore heureux que t’as pas entendu. Quel super ninja de l’extérieur je ferais si on m'entendait arriver à des kilomètres ?

Elle sourit en voyant le sac contenant les kebabs sur la table. Ouais, c’était pas forcément le truc le plus classe à ramener mais… Étant donné la situation, il était allé au plus simple. Et puis la malbouffe un lendemain de cuite, c’était quand même assez incontournable.

- Je t'ai pris des fringues, j'espère que c'est bon...? T'avais pas de Hermès, de Cartier ou de Gucci, alors j'ai pris ça…

La jeune femme tourna sur elle-même, comme dans les romances de Noël à la con, quand il y a un montage avec une musique niaise et qu’on voit le jeune couple dans un magasin de fringue. Ce fameux moment ou la nana sort de la cabine en tournoyant avec une robe parfaitement taillée, et que son mec exaspéré tente de garder le sourire malgré les dizaines de sacs remplis qu’il doit porter.

Mais c’était mignon, de la voir faire virevolter tout cet excédent de tissu. Sören ne s’attendait pas à la retrouver aussi enthousiaste malgré la gueule de bois qu’elle devait endurer.

Il s'approcha alors de Skye en souriant pour ajuster son col.

- Parfaite. Crois le ou non, mais j’aurais choisi la même.

Évidemment, il portait lui-même le même modèle de chemise... qui constituait une bonne moitié de sa garde robe. Après sa petite blague et alors qu’il s’apprêtait à se retourner, un détail le fit tiquer. Il prit le bras de la jeune femme et le fit légèrement tourner  afin qu’elle ait la paume face à son visage.

- Ah… mauvaise pioche.

Sur la manche, au niveau du poignet, se trouvait une large tache rougeâtre.

- Je… j’suis allé dans un bar de la banlieue UNE SEULE fois. Et j’me suis fait taper dessus comme un touriste. Du coup voilà. Hésite pas si tu veux prendre autre chose.

Sören racontait dans les grandes lignes sa petite mésaventure avec un ton très léger. Sur le coup, cette petite altercation aurait pu très mal tourner. Mais avec du recul, il trouvait ça plus marrant. Ce qui ne te tue pas… fait une bonne anecdote à raconter ?

- Du coup, t'as été où...? T'as pu faire ce que tu voulais...?

Le sourire de Sören s’effaça en une fraction de seconde. Après avoir esquissé une petite moue indécise, il répondit, accompagné d’un petite sourire forcé :

- Je… J’étais à la F.A.T.E. Et non, ça s’est pas très bien passé. J’te raconterai en mangeant.

Sans même attendre la réponse de Skye, Sören se retourna et se dirigea vers la cuisine. Il se servit un grand verre d’eau qu’il but d’une traite, le regard dans le vague.

Il n’avait pas la moindre idée de comment aborder le sujet. Elle n’avait pas trop l’air de se souvenir, était-il même judicieux de lui en parler ? Il n’avait pas la solution, mais il fallait trouver rapidement.

- Encore heureux que t’as pas entendu. Quel super ninja de l’extérieur je ferais si on m'entendait arriver à des kilomètres ?

Après avoir bâillé, il s'avance vers la table. Je me demande si sa sortie lui a fait autant de bien que ma douche... Apparemment, non. Il doit être parti tôt, il n'a pas récupéré de la nuit encore... J'avance dans le salon et je lui montre le vêtement que j'ai pris dans son armoire.

- Je t'ai pris des fringues, j'espère que c'est bon...? T'avais pas de Hermès, de Cartier ou de Gucci, alors j'ai pris ça…

Il approcha pour remonter le col de la chemise.

- Parfaite. Crois le ou non, mais j’aurais choisi la même.

Petit malin... C'est genre un des deux seuls trucs qu'il y a dans la penderie, tu m'étonnes que t'aurais choisi la même. Mais, avant de se retourner, il prend mon bras et le remonte devant lui.

- Ah… mauvaise pioche.

Effectivement... Sur le poignet de sa chemise, une tache rouge. Du vin... Non, du sang, plutôt. Genre, une tache qu'on aurait essuyée avec la manche... Je remonte les yeux vers lui.

- Je… j’suis allé dans un bar de la banlieue UNE SEULE fois. Et j’me suis fait taper dessus comme un touriste. Du coup voilà. Hésite pas si tu veux prendre autre chose.

- Nan, t'inquiète pas. Je m'attendais à voir des haillons de survivant, alors je peux faire avec une petite tache de sang! En tout cas, tu devrais te cantonner aux pizzerias, apparemment, c'est plus ton univers...!

Du coup, t'as été où...? T'as pu faire ce que tu voulais...?

Mauvaise question. Il perd sa bonne humeur quasiment instantanément, sous mes yeux... Puis, il se force à retrouver un sourire pour me répondre.

- Je… J’étais à la F.A.T.E. Et non, ça s’est pas très bien passé. J’te raconterai en mangeant.

C'est pas le genre de nom d'entreprise que j'ai vraiment envie d'entendre au réveil et avec la gueule de bois. Je fais une grimace. Tu m'étonnes que ça se soit mal passé... Enfin, il faut prendre le bon côté des choses : je vais manger. Sören va boire un verre d'eau dans la cuisine, pendant que je retourne vers le canapé, poussant du pied un carton de pizza en dessous de la table. En m'asseyant, la chemise semble beaucoup moins longue, surtout en tailleurs, du coup, je m'installe avec les genoux pliés sous moi et entreprends de déballer le sac plastique.

- En même temps, à la FATE, ça se passe bien que pour eux, la plupart du temps...

Ce kebab va me faire tellement de bien. Ne t'inquiète pas, petit cerveau, tu vas vite pouvoir retrouver des forces.

Skye était allée s'asseoir sur le canapé avec les kebabs. Ils auraient pu bouffer à table mais bon, un canapé c’est quand même autrement plus confortable.

- En même temps, à la FATE, ça se passe bien que pour eux, la plupart du temps...

Sören remplit à nouveau son verre d’eau et en apporta un pour sa convive également. Pendant le court trajet, il répondit :

- Tu les aimes vraiment pas hein ? À t’entendre, j’ai l’impression que c’est la Multi-National United dans District 9. Mais bon, pour l’instant personne ne m’a disséqué, les employés sont plutôt cool avec moi… et ils me payent. J’suis pas le plus malheureux des cobayes.

Le rouquin posa les deux verres sur un bout de la table basse inoccupé et en profita pour débarrasser toutes les bières vides en posant les bouteilles sur le sol, au pied de la table. Ça ne rendait pas l’appartement moins bordélique, mais ça réglait temporairement le manque d’espace.

Puis il s’effondra sur le canapé, à côté d’une Skye qui occupait moins de la moitié de celui-ci, pour une fois. Elle avait les jambes repliées sous-elle. En même temps, la chemise avait beau être longue, elle ne l'était pas assez pour servir de djellaba. Elle aurait pu prendre un short ou quelque chose dans le genre. M’enfin bon, elle n’était pas du genre timide, l’idée que Sören ait un aperçu de son propre boxer ne devait pas tant l’effrayer que ça. À moins que…

Sören regarda les deux paquets d’aluminium sortis par Skye du sac. Une lettre était inscrite sur chacun d’entre eux au marqueur : A et B.

- J’ai pris sauce Blanche et… Andalouse ? C’est comme ça que ça s’appelle je crois ? J’te laisse choisir, j’aime tout.

Il regarda la jeune femme faire son choix et attrapa l’autre kebab, avant de poursuivre :

- Ça fait longtemps que t’es réveillée ? Ah, au fait… je crois que j’me suis endormi devant Bot. Faudra que j’le re-vois.

Il noyait un peu le poisson concernant les clés… mais peut-être qu’elle ne se souvenait vraiment de rien ? Il se voyait mal lui cacher ça indéfiniment mais d’un autre côté, ce serait lui rendre service que de ne pas lui rappeler qu’il avait eu à sa disposition autant d’oeuvres qu’elle n’avait jamais vu. Et maintenant que la clé avait disparue… Disney ne mettrait peut être jamais la main sur ces films.

Bien que l’idée que Disney lui “vole” toutes ces données et les commercialise… Sören aurait sans doute préféré devoir attendre pour voir ces films sortir en salle plutôt que de les savoir perdus à jamais.

Enfin, il s’autorisa une grande bouchée de kebab. Ça faisait un bien inimaginable, et ça venait enfin recouvrir cette sensation acide si désagréable au fond de la bouche et dans la gorge, due à ce petit incident dans les toilettes du café. Il ne restait qu’à espérer que ce repas là reste bien à sa place.

- Tu les aimes vraiment pas hein ? À t’entendre, j’ai l’impression que c’est la Multi-National United dans District 9. Mais bon, pour l’instant personne ne m’a disséqué, les employés sont plutôt cool avec moi… et ils me payent. J’suis pas le plus malheureux des cobayes.

"Je suis pas le plus malheureux des cobayes." Rien que cette phrase laisse comprendre que notre société accepte les cobayes humains... Peu importe leur condition. Alors, oui, Sören est payé, tout comme nous, nés ici, avons été éduqués, nourris, logés... Mais est-ce que c'est assez pour qualifier tout ça de normal...?

- Tu sais, même Evil Corp ne peut pas se permettre de faire uniquement le mal.

Je bois une gorgée du verre d'eau qu'il me ramène de la cuisine.

- Financièrement, ce serait pas viable. Sans compter les médias.

Je comptais pas aller plus loin avec cet exemple, je le trouve plutôt parlant. On aura beau avoir deux partis politiques complètement contraires, il n'y en a pas un entièrement blanc et l'autre entièrement noir. De la même façon, je pense que la FATE fait des choses bien... Parfois. C'est d'ailleurs pour ça que je bosse avec Lexy, et que j'écris toujours pour les revues scientifiques.

Après avoir retiré les bouteilles de la table basse, Sören s'installe à côté de moi. Il a l'air fatigué. En même temps, tu m'étonnes... Il passe un moment à regarder mes jambes, peut-être un peu plus longtemps qu'il ne le pense; mais je crois pas qu'il ait noté qu'il est arrivé avant que j'aie pu choisir autre chose qu'une chemise. Finalement, il change de centre d'attention : les kebabs.

- J’ai pris sauce Blanche et… Andalouse ? C’est comme ça que ça s’appelle je crois ? J’te laisse choisir, j’aime tout.

Je prends la sauce Andalouse. Puis, nous montrant tour à tour du doigt, je lui lâche avec un sourire taquin :

- Moi, c'est A, et toi, c'est B.

Je suis pas sûre que ça le fasse marrer... Mais moi, oui. C'est notre... "Humour compétitif", avec Kelya. J'suis pas sûre que ce soit sain ni rien, mais... Ca nous fait rire.

- Ça fait longtemps que t’es réveillée ? Ah, au fait… je crois que j’me suis endormi devant Bot. Faudra que j’le re-vois.

Bot! Putain, c'est vrai, on a regardé Bot. Attends, on l'a regardé? Mes souvenirs sont... fragmentés. Par réflexe, je demande à mon cerveau de faire ce qu'il fait d'habitude, soit traiter les informations qu'il contient cent fois plus vite que la normale, mais j'oubliais mon état et un mal de crâne violent m'arrive comme seul résultat de l'opération.

- Euh... Ouais, je suis pas sûre d'avoir tout vu non plus... On pourra le remettre.

La soirée revenait par petits morceaux, comme les gens normaux. C'est d'un frustrant... Comment font-ils pour supporter ça?

Pourquoi on avait regardé ça...? On parlait de films qu'il n'avait pas vu. Oui, normal, il vient de l'extérieur. Il n'a pas pu voir tout ce qui a été produit ici. Comme l'inverse...

L'inverse...? Voir des films qui n'ont pas été produits à Central Point...

Mais avant!

Mais oui! C'était de ça qu'on avait parlé. Sören avait des tas de films d'une époque complètement et littéralement oubliée, de vrais trésors cinématographiques! Sur des clés USB...

- Ah mais putain, ouais! Alors, tu as pu récupérer les films?

- Tu sais, même Evil Corp ne peut pas se permettre de faire uniquement le mal. Financièrement, ce serait pas viable. Sans compter les médias.

Ça faisait sens. C’était assez frustrant pour Sören de l’entendre évoquer la mal que ferait soit-disant la F.A.T.E sans jamais entrer dans les détails et donner d’exemple. Il n’avait aucune idée ce qui poussait Skye à toujours tourner autour du pot sur ce sujet, à toujours exprimer son mécontentement sans donner la moindre piste pour la comprendre.

Mais bon, ils se connaissaient à peine, au final. Elle avait ses petits secrets et lui avait les siens. Même si dans son cas, il n’évitait aucun sujet qui ne lui soit pas explicitement interdit par sa close de confidentialité, au final. Du moins, pas avec elle.

Après avoir choisi son kebab, elle balança une petite blague :

- Moi, c'est A, et toi, c'est B.

Arborant une mine faussement abbatue, Sören répondit :

- Pfeu… c’est la dernière fois que j’te laisse choisir !

Puis ils revinrent à la soirée d’hier, et à Bot devant lequel ils s’étaient lamentablement endormis. En même temps, une soirée film avec de l’alcool à ne plus savoir quoi en faire devait forcément se terminer comme ça, non ?

Puis le regard de Skye s’illumina :

- Ah mais putain, ouais! Alors, tu as pu récupérer les films?

Ah, elle s’était souvenue. Difficile de dire si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle. D’un côté, la réponse n’allait pas lui plaire et il aurait sans doute mieux valu qu’elle oublie totalement l’existence de ces clés. De l’autre… Sören n’aurait jamais pu tenir le secret et allait lui balancer dans tous les cas. Au moins, il ne s’en voudrait pas de lui avoir rappelé ça.

- Alors… ouais, c’est justement de ça dont je voulais te parler. Non, j’ai pas les films. Je… je t’explique.

Il prit quelques secondes pour chercher ses mots. Déjà, il ne voulait éviter d'entrer dans les détails parceque... il allait forcément se mettre à chialer s'il le faisait. Il n'avait aucune envie de s'effondrer comme une larve pendant une demi-heure sur les genoux de Skye et puis... il avait eu sa dose d'angoisse pour la journée.

- Je suis allé à la F.A.T.E, et il y avait des flics partout. J’ai quand même pu entrer, j’ai retrouvé Ann… tu sais, ma cheffe, on en a parlé hier. Et… la F.A.T.E a été cambriolée. Plein de données ont été voilée… et les clés avec du coup.

Il y eut un blanc, dont le silence n’était rompu que par le battement nerveux et régulier du pied de Sören contre le coin de la table basse. Il n’osait pas trop regarder la réaction de Sky, alors il fixait son kebab, comme s’il allait pouvoir lire une solution dans ces entrailles de veau reconstituées, comme les oracles dans les contes. Il avait même hésité à ponctuer sa phrase d’un “voili voilou” histoire de rompre l’effet dramatique. Heureusement, il s’était finalement abstenu.

Cet instant de silence n’avait sans doute pas duré plus de 5 secondes, mais il semblait interminable pour Sören. Après une longue inspiration, comme s’il s’apprêtait à partir en apnée, il daigna finalement croiser le regard de Skye. Le rouquin arrivait à contenir ses émotions, du moins pour l’instant.

- Alors… ouais, c’est justement de ça dont je voulais te parler. Non, j’ai pas les films. Je… je t’explique.

Ouah. Ca a vraiment l'air de le faire chier, à la tête qu'il a d'un coup... Après tout les chances étaient minces dès le départ, mais ca l'affecte clairement plus que j'aurais pensé... Il y avait autre chose sur ces clés? Je me souviens plus si on en a parlé...

Il n'explique pas tout de suite, comme s'il cherchait comment raconter l'histoire. On dirait qu'il va raconter la mort d'un proche. Quoi qu'il l'a déjà fait... Même si c'était il y a longtemps. Enfin, il se met à parler.

- Je suis allé à la F.A.T.E, et il y avait des flics partout. J’ai quand même pu entrer, j’ai retrouvé Ann… tu sais, ma cheffe, on en a parlé hier. Et… la F.A.T.E a été cambriolée. Plein de données ont été voilée… et les clés avec du coup.

J'attends une éventuelle suite, mais rien. Il reste à regarder le sandwich comme s'il essayait de l'hypnotiser, tout en tapotant du pied. Et puis, finalement, il relève la tête vers moi.

C'est super gênant... J'ai l'impression de manquer quelque chose. Bon, bien sûr, j'ai compris que la FATE avait été cambriolée et qu'on lui avait volé les clés. Et encore, peut-être que c'était juste une façon qu'ils avaient trouvé pour revendre les films sans avoir de problèmes - je suis sûre que Sören est beaucoup trop proche de la fondation pour avoir même imaginé que ça soit le cas...

Mais, en quoi est-ce que c'était "si" grave? Dans le pire des cas, il y avait forcément une sauvegarde... Une copie? Ou bien, les films finiraient par être revendus de toutes façons, puis diffusés...?

Mais je réalise peu à peu que sans savoir ce qu'il est advenu de ces clés, tout ce que je peux faire, ce sont des conjectures. Et si tout ça avait bel et bien disparu définitivement...? Un jour, je n'imagine même pas l'existence d'un tel trésor, et le lendemain on m'annonce qu'il a été englouti à jamais...

Non... Contrairement à Sören qui semble avoir énormément de peine, moi, c'est la colère que je sens monter. Quel espèce d'enfoiré ferait ça? Prendre en otage des oeuvres culturelles pour quoi, les revendre? Les détruire, peut-être? Une boîte de production trop effrayée par la concurrence que lui feraient ces films? La FATE qui veut se la mettre dans la poche? J'ai une soudaine envie de faire déborder l'étincelle de la fourmilière.

- Cambriolée? Et c'est tout? C'est quoi, leur truc, un centre aéré? Ils doivent bien avoir une idée de qui a fait ça, des traces, des enregistrement, un indice! T'as dit qu'il y avait des flics partout, ils font quoi, ils se caressent la rondelle de donut? Y'en a pas un qui a des suspects? J'en sais rien, même des chiens policiers qui suivraient une odeur d'aftershave?

J'ai tapé sur la table en parlant, renversant quelques frites. Je me penche pour les ramasser, mais ça ne change pas grand chose, vu l'état actuel du sol. Je me rends compte en me relevant que ma respiration s'est accélérée sous l'effet de la colère. J'essaye de me calmer un peu, et me remet en tailleurs.

- T'es sûr que c'est pas eux qu'essayent de t'enfler, hein...?

Lorsque Sören tourna la tête vers Skye, c’est une sorte d’incompréhension qui se lisait sur son visage. Elle n’avait pas bien saisi ? Ou alors c’est Sören qui avait raconté de la merde ? C’était pas impossible non plus vu sa proportion à mal comprendre les situations qui l’entourent.

Et puis les traits de la jeune femme se durcirent et elle s’exclama, d’un ton ferme :

- Cambriolée? Et c'est tout? C'est quoi, leur truc, un centre aéré? Ils doivent bien avoir une idée de qui a fait ça, des traces, des enregistrement, un indice! T'as dit qu'il y avait des flics partout, ils font quoi, ils se caressent la rondelle de donut? Y'en a pas un qui a des suspects? J'en sais rien, même des chiens policiers qui suivraient une odeur d'aftershave?

Sören reposa son kebab sur la table, sur la feuille de papier aluminium qui lui servait d’emballage. Il avait réussit à lui expliquer brièvement le problème sans trop se mettre la pression, mais Skye l’avait vite refoutu dans le bain.

D’un autre côté… il était bien soulagé qu’elle réagisse aussi vivement. Ça ne ferait pas revenir les clés, mais au moins elle ne prenait pas le problème à la légère. C’était préférable à un “Boarf, pas grave, passe à autre chose”.

Il s’enfonça encore plus dans le canapé, repliant les genoux contre son corps :

- J’en sais rien. C’est arrivé cette nuit, donc c’était un bordel pas possible. À priori, les flics étaient avant tout là pour empêcher les journalistes d’approcher. Et les employés faisaient l’inventaire de ce qui avait disparu.

- T'es sûr que c'est pas eux qu'essayent de t'enfler, hein...?

Sören resta bloqué quelques instants. Il n’avait pas pensé à cette éventualité… et vu qu’il avait tout à fait conscience que n’importe qui pouvait le faire tomber dans le panneau sur n’importe quel sujet… ça méritait d’être réfléchi.

- Nan, je crois pas. J’étais pas censé venir aujourd’hui, je me suis pointé comme une fleur… Ça fait une sacrée mise en scène pour un mec qui est pas censé être là. Enfin, ils auraient pu me dire que les clés ont été volées alors qu’elles sont encore là mais… nan vraiment, c’était la panique. Ann m’a emmené vérifier dans… cette salle à l’odeur bizarre, là où ils avaient gardé la clé. Et à priori ils avaient vraiment volé tout ce qui traine donc bon.

Skye finissait de ramasser ses frites, visiblement assez furax. Sören la regardait, désespérément à la recherche d’un détail dans ce qu’il avait vu. Il y avait déjà longuement réfléchi et n’avait pas pu penser au moindre indice qui pourrait le mettre sur une piste. Et puis bon, ça se saurait s’il suffisait de se creuser la crâne 5 minutes pour retrouver un voleur. Surtout que pour s’attaquer à la F.A.T.E, ceux qui ont fait ça doivent pas être les premiers connards venus.

- C’est sans doute une question conne mais… avec ta mutation… t’as pas connaissance de réseaux ou de gens qui pourraientt savoir quoi que ce soit ?

Il se sentait affreusement bête de demander ça. Comme si Skye était l’agent J, qu’elle allait l’emmener voir son informateur le chien rigolo qui chante, qu’elle allait le secouer un peu et qu’il allait balancer le nom du voleur. Les films avaient certes permis à Sören d’avoir une minimum de compréhension de la vie civilisée… mais ils lui avaient aussi rempli le crâne d’un paquet de clichés. Le problème, c’est qu’il n’avait aucune idée de ce qui était un cliché ou pas.

Je me suis peut être un peu emportée, et c'est jamais très bon pour la digestion, mais le repas devient un problème secondaire. J'en prends conscience quand Sören repose son kebab sur la table, et qu'il s'enfonce un peu plus dans le canapé.

- J’en sais rien. C’est arrivé cette nuit, donc c’était un bordel pas possible. À priori, les flics étaient avant tout là pour empêcher les journalistes d’approcher. Et les employés faisaient l’inventaire de ce qui avait disparu.

- T'es sûr que c'est pas eux qu'essayent de t'enfler, hein...?

Il envisage la possibilité de mon hypothèse, mais la rejette assez rapidement. Pas sans raisons, et de ce qu'il m'explique, elles sont plutôt bonnes.

- Nan, je crois pas. J’étais pas censé venir aujourd’hui, je me suis pointé comme une fleur… Ça fait une sacrée mise en scène pour un mec qui est pas censé être là. Enfin, ils auraient pu me dire que les clés ont été volées alors qu’elles sont encore là mais… nan vraiment, c’était la panique. Ann m’a emmené vérifier dans… cette salle à l’odeur bizarre, là où ils avaient gardé la clé. Et à priori ils avaient vraiment volé tout ce qui traine donc bon.

Ann. Il m'en a parlé hier... C'est la meuf de la bouteille? Qui offre une bouteille de champagne à quelqu'un sans vouloir l'enfler - ou au moins, avoir quelque chose en retour? Bon, j'ai pas assez d'éléments pour juger. Une salle à l'odeur bizarre? De quoi il parle?

- Pourquoi ils gardent les clés dans une salle avec une odeur bizarre? J'aurais pensé qu'ils auraient juste une dataroom classique, le genre bourrée de serveurs et d'ordinateurs, avec quelques casiers pour les supports physiques...

Je passe la main sous la chemise pour poser la main sur mon ventre. La sensation de chaud est agréable. Au fur et à mesure de la discussion, la brume éthylique qui entourait mon cerveau et le plongeait dans un abîme assourdissant de flou artistique se dissipe et mes neurones reprennent peu à peu le droit chemin. De synapse en synapse, les liens logiques se font plus facilement. Cela dit, je suis toujours pas capable d'activer ma mutation - disons que je redeviens "normalement stupide". Un état que je n'apprécie pas beaucoup, très différent de mon moi normal, aux yeux noirs, mais sur lequel je ne peux pas faire l'impasse, surtout quand Sören met le doigt dessus.

- C’est sans doute une question conne mais… avec ta mutation… t’as pas connaissance de réseaux ou de gens qui pourraient savoir quoi que ce soit ?

De réseaux ou de gens... Pourquoi je saurais ça? Non pas que je ne connaisse personne capable de m'aider à résoudre ce genre d'enquête, mais je me demande ce qui le pousse à me poser cette question. Après réflexion... On a surtout parlé soit cinéma, soit de lui, mais rarement de moi. Je ne suis pas trop le genre de meuf à parler de moi de moi-même, et il ne m'a pas vraiment posé de questions sur moi - de ce que je m'en rappelle, en tout cas. Je lui avais dit que j'étais étudiante - par élimination, au NEST, puisque je lui ai montré ma mutation - et que j'avais plusieurs boulots à côté... Mais sans entrer dans les détails. Après, c'est peut-être juste sur ma capacité à tout retenir qu'il compte. Seulement, pour tout retenir, il faut avoir eu l'occasion de le savoir une première fois... Et je n'ai pas vraiment un accès privilégié aux listes des réseaux clandestins, de la pègre, ou des flics.

Mais il y a Zack. C'est à lui que je pense quand on me parle de résoudre une enquête... Même si dans ce cas, cette histoire d'odeur me taraude un peu. Je suis presque sûre d'avoir entendu ou lu quelque part une histoire de cambriolage et d'odeur inconnue laissée sur les lieux du crime. Enfin, dans mon état, aucune chance que je m'en souvienne... Ca sera plus productif de se concentrer sur les autres pistes.

- Pas vraiment... Je connais bien quelqu'un, mais avec si peu d'éléments, il va se foutre de ma gueule. Sans compter qu'on parle d'une affaire étouffée par la FATE, bonjour les problèmes si on passe par un circuit officiel. Cette odeur, tu la reconnaîtrais si tu la sentais...?

Je m'imaginais déjà une scène cartoonesque avec un Sören-chien policier sur les traces d'une odeur "visible" à l'oeil nu, comme ces parfums représentés par des fumerolles de couleurs dans les dessins animés ou les jeux vidéos. La synesthésie au secours des limites des médias... Je mords à nouveau dans mon repas. Je dois museler définitivement cette gueule de bois.

- Pourquoi ils gardent les clés dans une salle avec une odeur bizarre? J'aurais pensé qu'ils auraient juste une dataroom classique, le genre bourrée de serveurs et d'ordinateurs, avec quelques casiers pour les supports physiques…

Sören n’avait même pas prêté attention au fait qu’il avait décrit cette salle en précisant son odeur. C’est un truc qu’il avait toujours fait : décrire les objets ou les lieux par leurs particularités olfactives, avant même de parler de formes ou de couleurs comme tout le monde. Comme il utilisait peu sa mutation à l’extérieur, peu de gens se rendaient compte de cette étrangeté. Mais dès lors que ses yeux viraient au noir, c’était sa manière instinctive de ressentir et donc de décrire son environnement.

- Euuuh je crois pas que le fait qu’ils gardent les “trucs informatiques” là dedans soit lié à l’odeur. C’est juste que j’ai activé ma mutation là bas dedans et ça m’a marqué. Ça sentait… la plante. J’y connais rien en dataroom, mais ça ressemble plus ou moins à l’idée que je m’en fais, l'odeur était juste là en bonus.

Skye venait de passer sa main sous sa chemise pour la placer sur son ventre. Ça devait pas mal remuer là dedans, après le nombre quelque peu déraisonnable de bières qu’ils s’étaient enfilé la veille.

- C’est sans doute une question conne mais… avec ta mutation… t’as pas connaissance de réseaux ou de gens qui pourraient savoir quoi que ce soit ?

- Pas vraiment... Je connais bien quelqu'un, mais avec si peu d'éléments, il va se foutre de ma gueule. Sans compter qu'on parle d'une affaire étouffée par la FATE, bonjour les problèmes si on passe par un circuit officiel. Cette odeur, tu la reconnaîtrais si tu la sentais...?

Elle n’utilisait pas sa mutation. Sören avait beau ne pas avoir la moindre idée de comment les choses pouvaient fonctionner dans la tête de Skye et du fonctionnement précis de sa mutation… elle ne prenait même pas la peine d’essayer. Sa question était peut-être vraiment conne du coup ?

- Carrément. Elle est imprimée sur mes parois nasales à tout jamais. J’ai bouffé un croissant après êtres sorti de la FATE, j’avais l’impression de bouffer une tulipe tellement ce truc m’a imprégné les narines.

Bon, il exagérait un peu. Mais cette odeur était tellement particulière qu’elle ne lui sortait pas de la tête depuis tout à l’heure.

- Pas que j’ai déjà mangé une tulipe hein. Je suis même pas sur d’à quoi ressemble une tulipe d’ailleurs.

L’extérieur était tellement désertique que voir une touffe d'herbe relevait du miracle. Alors les tulipes, autant dire qu’il n’en avait jamais croisé une. Enfin… il y en avait peut-être au parc de Central Point, mais il était bien incapable de les différencier des autres fleurs.

- Tu pense que l’odeur peut être liée au cambriolage ? C’était clairement pas un parfum ou un produit d’entretien hein. J’ai aucune idée de comment c’est possible qu'une telle oduer soit arrivée dans cette salle, c’en est même assez frustrant.

Sören retenta une bouchée de kebab. Au final, la révélation s’était pas si mal passée. Enfin… tout se passait toujours mieux que ce que Sören anticipait de toute façon, donc ça n’avait rien de surprenant. Et ça avait eu le mérite de dénouer suffisamment son estomac pour qu’il espère pouvoir ingérer quelque chose.

Au final, ça lui avait fait du bien de discuter un peu. Ils n’avaient parlé que des clés, soit un sujet qui n’était pas des plus joyeux mais… étrangement, ça paraissait moins dramatique de s’en soucier à deux.

Tout à coup, Sören demanda, la bouche encore à moitié pleine de bouffe :

- Sinon… ça va toi ? Je t’ai pas fait trop peur avec ma lettre ?

Ça pouvait paraître con et anodin comme question… mais c’était terriblement honnête. Il s’était fait la réflexion un peu plus tôt en rentrant à l’appart’ : ça faisait quoi, de le côtoyer ? Pour lui, les gens étaient bizarres. Tous. Mais pour tous les autres, ça devait être lui qui était bizarre… mais est-ce que ça se voyait tant que ça ? À part Ann dont c’était le job, il n’avait pas eu beaucoup de retours sur lui, et ce qu’il laissait transparaître.

- Euuuh je crois pas que le fait qu’ils gardent les “trucs informatiques” là dedans soit lié à l’odeur. C’est juste que j’ai activé ma mutation là bas dedans et ça m’a marqué. Ça sentait… la plante. J’y connais rien en dataroom, mais ça ressemble plus ou moins à l’idée que je m’en fais, l'odeur était juste là en bonus.

Un odeur de plante? C'est quand même chelou, les datarooms sont pas connus pour être parfumés au ginseng. D'ailleurs, ça devrait être tellement ventilé qu'il devrait pas y avoir d'odeur. En tout cas, le sérieux de la discussion contribue à me faire redescendre. Quand on parle de réseaux d'informations pour retrouver la trace des voleurs, puis de l'odeur, je ferme les yeux un petit moment pour faire le vide.

- Carrément. Elle est imprimée sur mes parois nasales à tout jamais. J’ai bouffé un croissant après êtres sorti de la FATE, j’avais l’impression de bouffer une tulipe tellement ce truc m’a imprégné les narines.

Je rouvre les yeux. Noirs. Ca y est, je suis à nouveau moi-même. Je me prélasse dans le confort du palais démesuré tissé par les connections neuronales de mon cerveau. Le monde fait sens à nouveau. Tout se connecte. Je sors d'un petit placard, certes agréable, dans lequel je m'enferme pour mes soirées et mes moments d'oubli, pour retourner dans un immense espace ouvert, connecté, dont les limites ne cessent de reculer. Mon monde.

- Pas que j’ai déjà mangé une tulipe hein. Je suis même pas sur d’à quoi ressemble une tulipe d’ailleurs.

-En même temps, il y a 120 espèces de tulipes, sans parler de leur évolution depuis la toxine... C'est des plantes à bulbes avec une longue tige, pas beaucoup de feuilles... Elles ont trois pétales et trois sépales comme périanthe, on lest reconnait facilement. Pendant la guerre - pas la dernière, celle d'avant, avec la famine, les gens mangeaient des bulbes de tulipes. Bon, il paraît que c'était dégueulasse, mais quand même.
Un hiver un peu bourrin, un embargo, et c'était la pénurie, alors ils avaient plus que ça...J'ai même vu des recettes dans des archives de journaux de l'époque.

Comment on peut vivre normalement en ignorant tout ça? Le monde est un ensemble d'informations qui s'entremêlent et en ignorer une seule peut fausser toute une hypothèse, tout modifier... Même la plus insignifiante des informations a sa place dans l'une ou l'autre équation de données.

- Tu pense que l’odeur peut être liée au cambriolage ? C’était clairement pas un parfum ou un produit d’entretien hein. J’ai aucune idée de comment c’est possible qu'une telle odeur soit arrivée dans cette salle, c’en est même assez frustrant.

-Si l’odeur n'était pas là avant, c'est forcément pendant la nuit du cambriolage qu'elle s'est incrustée. Les datarooms sont sensées être ventilées, alors l'odeur n'était pas très ancienne. Et il y fait de toutes façons trop chaud et il n'y a pas assez de lumière pour qu'un employé excentrique tente d'y faire pousser une plante... Comme les effluves florales sont souvent reproduites et synthétisées pour les produits de beauté, je dirais, avec les éléments que j'ai pour le moment, qu'on à affaire à une voleuse plutôt coquette. Mais, c'est plutôt étrange de mettre du parfum et de risquer de laisser une trace - surtout pour quelqu'un capable de traverser les sécurités de la FATE. Alors, ça devrait être une odeur accidentelle. Ou naturelle. Peut-être l'effet d'une mutation? On approche des 87% de chances que ce soit un turne, de toutes façons.

On continuait à manger quand le sujet obliqua d'un coup :

- Sinon… ça va toi ? Je t’ai pas fait trop peur avec ma lettre ?

Il y a un ton dans sa question qui trahit à quel point il se souciait sincèrement de m'avoir inquiétée. Je me contente de lui sourire.

- Tu sais, j'avais trop la gueule de bois pour m'inquiéter... Et puis, le coup du mec qui disparaît au réveil, on le voit dans tous les films, mais c'est plutôt quand il dort chez la meuf. Là, tu m'as laissé ton appart... C'est toi qu'aurait dû t'inquiéter! J'aurais pu être une psychopathe et mettre le feu après t'avoir pris tes...

Je pince la chemise pour la lui montrer. Ses vêtements. Non... Pas "ses" vêtements, j'ai juste eu le temps d'enfiler ça avant qu'il n'arrive.

- ...Ton vêtement.

Je me replace légèrement pour faire remonter le bas de la chemise et je lui décoche le sourire le plus provocateur dont je sois capable, amusée de son honnêteté.

- Tu t'inquiétais pour moi...?

Mon dieu, Kelya déteint vraiment sur moi.

- En même temps, il y a 120 espèces de tulipes, sans parler de leur évolution depuis la toxine... C'est des plantes à bulbes avec une longue tige, pas beaucoup de feuilles... Elles ont trois pétales et trois sépales comme périanthe, on les reconnaît facilement. Pendant la guerre - pas la dernière, celle d'avant, avec la famine, les gens mangeaient des bulbes de tulipes. Bon, il paraît que c'était dégueulasse, mais quand même.

Elle avait finalement activé sa mutation. Il n’avait pas compris grand chose, encore une fois, mais il ne pouvait s’empêcher d’afficher un grand sourire.

- Un hiver un peu bourrin, un embargo, et c'était la pénurie, alors ils avaient plus que ça...J'ai même vu des recettes dans des archives de journaux de l'époque.

- … Tu carbures au kebab, c’est ça ton secret ? Merci pour le conseil en ce qui concerne les tulipes en tout cas. Si je retourne dehors et que je crève la faim, je boufferais des bulbes en pensant fort à toi.

L’atmosphère s’était bien détendue. Enfin, Sören s’était bien détendu en tout cas. Ne pas la voir utiliser ses capacités alors qu’ils en avaient clairement besoin avait pas mal perturbé le rouquin. Le secret n’était sans doute pas le kebab, mais il devait forcément y avoir quelque chose.

- Tu penses que l’odeur peut être liée au cambriolage ? C’était clairement pas un parfum ou un produit d’entretien hein. J’ai aucune idée de comment c’est possible qu'une telle odeur soit arrivée dans cette salle, c’en est même assez frustrant.

-Si l’odeur n'était pas là avant, c'est forcément pendant la nuit du cambriolage qu'elle s'est incrustée. Les datarooms sont sensées être ventilées, alors l'odeur n'était pas très ancienne. Et il y fait de toutes façons trop chaud et il n'y a pas assez de lumière pour qu'un employé excentrique tente d'y faire pousser une plante... Comme les effluves florales sont souvent reproduites et synthétisées pour les produits de beauté, je dirais, avec les éléments que j'ai pour le moment, qu'on à affaire à une voleuse plutôt coquette. Mais, c'est plutôt étrange de mettre du parfum et de risquer de laisser une trace - surtout pour quelqu'un capable de traverser les sécurités de la FATE. Alors, ça devrait être une odeur accidentelle. Ou naturelle. Peut-être l'effet d'une mutation? On approche des 87% de chances que ce soit un turne, de toutes façons.

- C’est impossible que ce soit lié à du parfum. J’aurais senti d’autres trucs. Ils foutent tellement de merde dedans, c’est improbable qu’une seule particule soit restée, surtout en cette quantité.

Une odeur liée à une mutation... Sören n'avait jamais senti ça. Enfin, il avait déjà senti des odeur surprenantes depuis son arrivée, mais il n'avait jamais clairement pu définir qu'une odeur peu commune provenait d'une autre personne. Il faut dire qu'il activait peu sa mutation en public. Mais c'était clairement une piste à ne pas négliger.

- Sinon… ça va toi ? Je t’ai pas fait trop peur avec ma lettre ?

Elle s’était contentée de sourire, sans avoir une expression trop étonnée. La question n’était peut être pas trop bizarre.

- Tu sais, j'avais trop la gueule de bois pour m'inquiéter... Et puis, le coup du mec qui disparaît au réveil, on le voit dans tous les films, mais c'est plutôt quand il dort chez la meuf. Là, tu m'as laissé ton appart... C'est toi qu'aurait dû t'inquiéter! J'aurais pu être une psychopathe et mettre le feu après t'avoir pris tes…

Elle désigna la chemise qu’elle avait emprunté dans les affaires de Sören avant de poursuivre.

- ...Ton vêtement.

Sören resta figé un instant, pas sûr de comprendre ce qu’elle voulait dire. Puis elle changea de position, de manière à ce que la chemise cache une portion un peu mois importante de ses cuisses.

Le rouquin resta figé. Alerte putain de rouge ! Rouge comme la teinte que son visage prit en quelques secondes d’ailleurs. Elle venait vraiment de lui dévoiler un bout de fesse comme ça, là sur son canapé ?

Gêné d’avoir fixé le corps de la jeune femme plus qu’il n’oserait l’avouer, il se hâta de concentrer son regard sur le visage de Skye qui affichait un sourire plus qu’évocateur.

Qu’est-ce qu’il était censé comprendre ? C’était une invitation ? Une provocation ? Juste une blague ? Tout ça à la fois ? Et elle, qui le fixait avec son regard de prédatrice. Ça, pour une proie facile, il en était une.

Pas qu’il n’ait jamais vu une fesse, parceque… le type qui avait rempli de films le bunker n’avait négligé aucun genre. Mais là, le contexte était tout différent. C’était une fesse palpable de femme palpable sur son canapé palpable.

Ça faisait plusieurs secondes que Sören était figé, incapable de sortir le moindre mot ou de prendre une décision. Ça avait plutôt l’air d’amuser Skye, qui poursuivit, toujours avec ce même ton lubrique et provocateur.

- Tu t'inquiétais pour moi...?

- Je… euh… un peu.

Bordel, elle devait tellement apprécier de le voir bafouiller en gigotant nerveusement et en n’osant ni vraiment la fixer ni garder le regard détourné trop longtemps de peur d'avoir l’air plus paumé qu’il ne l’était vraiment.

Bon, il fallait qu’il joue la carte de l’honnêteté. Il n’avait pas la moindre putain d’idée de ce qu’elle essayait de faire alors… autant lui dire non ? Pas qu’elle ignorait ça, puisqu’elle en jouait même habilement mais… et puis merde.

Sören afficha un sourire aussi peu coincé que pouvait l’être celui d’un mec coincé qui voulait faire croire qu’il ne l’était pas. Il avait l’air coincé, quoi.

- Tu sais que… j’ai pas la moindre idée de ce que t’essayes de faire hein ? Je suis sûr que tu le sais et que ça t’amuse en plus !

Sören posa à nouveau son kebab sur la table. Encore une fois, il avait un peu perdu l'appétit, même si la raison était moins dramatique que quelques minutes plus tôt. Il s’assied de côté, dos à l’accoudoir et les jambes en tailleur, histoire de faire face à Skye.

Il y avait une femme à moitié à poil sur son canapé, il fallait qu’il comprenne le truc. En plus… c’était pas la moitié la plus anodine qui n'était pas couverte, quoi. Il s’était lancé de toute façon. Tant qu’à passer pour un con, autant qu’il aille jusqu’au bout, il serait fixé pour de bon.

- T’es… très belle. Attirante ? C’est une réponse appropriée ça ?

Heureusement qu’il ne pouvait pas se voir. La couleur de son visage devait être plus que révélatrice de son malaise. Mais il restait souriant. Après tout, ça avait beau être gênant, ça restait plutôt amusant. Et puis le sourire prédateur de Skye était plutôt communicatif en plus d’être charmant.

Il sourit en écoutant mes anecdotes. Pas un sourire de faux-cul ou moqueur comme au NEST chaque fois que je parle de trucs qu'aucun d'entre eux ne s'emmerde à retenir, ces sourires de façade qui cachent des "ferme ta gueule la tête d'ampoule" ou même, ceux qui ne se cachent pas du tout et qui m'affiche ouvertement leur mépris. Là… C'est comme s'il regardait quelqu'un en train de confirmer un trait de personnalité. Comme quand on regarde ce pote fan de cinéma parler de références obscures, ou cette pote un peu obsédée parler de cul, ou ce prof partisan de la culture britannique parler de thé… Ce genre de sourire.

- … Tu carbures au kebab, c’est ça ton secret ? Merci pour le conseil en ce qui concerne les tulipes en tout cas. Si je retourne dehors et que je crève la faim, je boufferais des bulbes en pensant fort à toi.

Je rigole avant de manger encore un peu. Si l'idée en elle-même était comique, c'est vrai qu'elle portait des questions auxquelles je n'avais pas de réponses pour le moment. Quelles sortes de mutations les plantes de l'extérieur pouvaient-elles avoir traversé? Est-ce qu'elles sont encore comestibles? Des questions inutiles à se poser tant qu'on n'a pas les moyens de récolter les données nécessaires à leur réponse. On repart alors sur cette histoire de cambriolage et d'odeur étrange.

- C’est impossible que ce soit lié à du parfum. J’aurais senti d’autres trucs. Ils foutent tellement de merde dedans, c’est improbable qu’une seule particule soit restée, surtout en cette quantité.

- En tout cas, c'est un gros coup. S'attaquer à la FATE, c'est pas rien. On devrait pouvoir trouver des pistes en cherchant du côté de groupes "terroristes" ou ce genre de choses...

Je ne peux pas m'empêcher d'appuyer sur les guillemets autour du mot "terroriste". Je trouve que cette appellation est à double tranchant, dans la mesure où se rebeller contre la FATE ne me paraît pas si terrorisant que ça… Et ça pourrait même être pour le mieux. Enfin, ça dépend pour quelles raisons. Mal utilisées, des secrets de la FATE pourraient être dévastateurs, au sein de gangs ou de grosses entreprises pourries, par exemple. Je me garde de m'épancher là-dessus devant Sören, pour qui l'expérience de la FATE se résume à ceux qui l'ont recueilli...

- Tu reconnaîtrais cette odeur si tu la retrouvais?

Après ça, on change un peu de sujet, sur son départ ce matin et ce que j'ai fait dans son appart. Je pense qu'il n'avait toujours pas remarqué ma tenue. Mais dès que je le fais tilter, sa réaction n'a pas de prix… Il se fige, les yeux fixés sur mes jambes. Je comprends un peu la jubilation de Kelya quand elle arrive à ses fins avec moi. C'est clairement difficile de pas en profiter…!

Quand il remonte enfin la tête, j'en profite pour le taquiner encore un peu.

- Tu t'inquiétais pour moi...?

- Je… euh… un peu.

Il sait plus où se mettre, et se met à bégayer… On dirait un chien à qui on montre une friandise et qui ne sait pas s'il a le droit de la manger. Finalement, il tente quelque chose. Son sourire me laisse penser qu'il ne sait pas trop ou il va. A vrai dire, moi non plus, mais je passe un moment particulièrement sympa.

- Tu sais que… j’ai pas la moindre idée de ce que t’essayes de faire hein ? Je suis sûr que tu le sais et que ça t’amuse en plus !

Il repose son repas et s'installe en face de moi. J'hésite entre remonter ou rabaisser la chemise, je sais pas ce qui serait le plus… Hm. Efficace? Honnête? Marrant? Excitant? Comment est-ce que ma coloc fait pour gérer ce genre de situations…? Enfin… Ce genre de cas de conscience. C'est vrai, je connais pas Sören depuis longtemps, mais je m'entends bien avec lui, c'est un mec… Gentil. Honnête.

Pourquoi je me rends compte seulement maintenant d'à quel point on est différents? Je suis une menteuse colérique à plusieurs identités qui se sert de sa mutation pour jouer sur plusieurs tableaux à la fois… Et il est à la FATE. Bon, je travaille aussi pour Lexy, mais je suis plutôt dans la catégorie agents doubles.

Toute cette réflexion n'a évidemment duré qu'un centième de seconde, mais il m'en sort très vite avec une phrase à laquelle je m'attendais pas trop.

- T’es… très belle. Attirante ? C’est une réponse appropriée ça ?

A la couleur qu'il arborait maintenant, ça avait dû lui coûter de dire ça. Mais, c'est Sören : il le pense. Ce qui me fait plutôt plaisir, en fait. C'est assez nouveau qu'on me le dise, j'ai plutôt l'habitude qu'on me le montre de façon plus… Physique.

- Ah oui, tu trouves? C'est plutôt approprié… Enfin, ça dépend de ce qui t'attire, j'imagine.

Puisqu'il me fait face, je m'approche de lui à quatre pattes. Rien que cette image devrait suffire à lui faire exploser le cerveau, s'il est aussi sensible, mais mon idée est surtout de me retourner pour m'asseoir entre ses jambes, et m'allonger sur lui. De toutes façons, on a fini de manger, je pense… La chemise, fermée jusqu'en haut, remonte alors que j'étire mes bras de chaque côté de sa tête. Je suis littéralement le cul à l'air… Mais de là ou il est, il ne doit pas voir grand chose. Enfin, j'espère.

- T'es pas mal non plus. C'est rare que je couche avec quelqu'un dans les toilettes d'un restau le premier soir. T'as aimé?

Je le regarde en relevant la tête. J'en viens presque à regretter d'avoir fermé tous les boutons de la chemise… J'ai aucune idée d'où ça va, mais je m'amuse bien, pour le moment!

- T’es… très belle. Attirante ? C’est une réponse appropriée ça ?

Sören bouillonnait de stress en attendant sa réaction. Il pouvait déjà anticiper la douleur sur sa joue après qu’elle lui ait hurlé “NAN MAIS C’ÉTAIT UNE BLAGUE GROS DÉGUEU ! Tu dois avoir 10 piges de plus que moi et si ça se trouve t’as déjà mangé d’autres humains là dehors. J’ai pas envie de me retrouver découpée en morceau dans un sous sol !”

- Ah oui, tu trouves? C'est plutôt approprié… Enfin, ça dépend de ce qui t'attire, j'imagine.

C’était une réponse nettement plus agréable que le scénario pessimiste qui avait parcouru l’esprit de Sören, ça.

Elle commençait à s’approcher à quatre pattes, toujours en le dévorant de son regard sombre duquel Sören pouvait difficilement se détourner maintenant. Alors que la tension montait, le petit jeu de Skye devenait de plus en plus agréable. Ça commençait franchement à ne plus ressembler à une blague.

- C’est… un tout, je dirais.

Alors que Sören fixait la jeune femme et que le blanc de ses propres yeux commençait à s’assombrir sous l’effet du stress, il ne put retenir un petit coup d’oeil en dessous du visage de Skye, où l’espace bien que restreint entre le col de la chemise et son cou laissait entrevoir quelques formes harmonieuses.

La séance panorama fut de courte durée puisque le visage de Skye n’était dorénavant qu’à une dizaine des centimètres du sien. Elle se redressa légèrement, tendant ses bras sur chacune des épaules du rouquin.

Sören ne put que poser à nouveau ses yeux, dorénavant complètement noirs et argentés, sur le visage de Skye qui, en relevant la tête, vint soutenir son regard pendant de longues secondes.

- T'es pas mal non plus. C'est rare que je couche avec quelqu'un dans les toilettes d'un restau le premier soir. T'as aimé ?

Il se contenta de répondre d'un sourire amusé. Cette histoire aux chiottes de la pizzeria était vraiment devenue un running gag, et il ne s’attendait certainement pas à ce qu'elle sorte ça maintenant, dans ce contexte.

Allez, il fallait marquer le coup. Il n’aurait jamais osé faire le premier pas, mais elle venait d’en faire un paquet de son côté… à quatre pattes et quasiment nue qui plus est. Maintenant, il fallait assurer.

En parlant de nudité… les bras tendus de la jeune femme avaient inévitablement fait grimper de quelques dizaines de centimètres la partie basse du vêtement. Il ne voyait absolument rien d’ici et pouvait difficilement se détacher du regard de Skye, mais il n’y avait pas besoin d’une imagination débordante pour dépeindre la scène sous un autre angle.

Sören pausa un peu maladroitement ses mains bouillantes sur les hanches de Skye.

Effectivement, la chemise était bien remontée puisque le rouquin était tombé pile à la limite entre la couture et la peau de son invitée. Tout en passant délicatement ses mains sous le vêtement, il répondit :

- C’était un peu rapide à mon goût… ça doit être sympa sans flics derrière la porte aussi.

Il s’en était pas trop mal sorti. Enfin il espérait s’en être pas trop mal sorti. Mais… vu la position là… si ça se trouve elle allait l’embrasser ? Merde, il n’avait pas réfléchi au processus. Comment on fait ça ? Il faut y aller avec quelle intensité ? Faut mettre la langue ? Merde, merde, il fallait réfléchir à tout ça, c’est compliqué bordel.

Oh puis non. C’était pas le moment d’imaginer un nouveau scénario catastrophe. Avec Skye, ça n’avait jamais fini en scénario catastrophe de toute façon… et puis vu la situation, elle pouvait difficilement ne pas vouloir ça, non ?

La respiration saccadée, Sören restait noyé dans les yeux de Skye. Il fallait qu’il tente.

Il approcha légèrement son visage. C’était assez significatif pour être remarqué… mais assez discret pour qu’il fasse semblant qu’il voulait simplement se repositionner, si jamais elle ignorait son avance.

Au final, c’était encore à elle de prendre l’initiative mais… maintenant qu'elle commençait à le connaitre, elle devait forcément remarquer à quel point il avait déjà dû sortir de sa zone de confort pour en arriver là.

- Ah oui, tu trouves? C'est plutôt approprié… Enfin, ça dépend de ce qui t'attire, j'imagine.

- C’est… un tout, je dirais.

- T'es pas mal non plus. C'est rare que je couche avec quelqu'un dans les toilettes d'un restau le premier soir. T'as aimé ?

Quand j'ai la rage, je tombe facilement dans la solution de la violence. C'est d'ailleurs comme ça que beaucoup de mes rencontres ont commencé. Mais quand j'essaye de me protéger de quelque chose, rien n'est plus efficace qu'un trait d'esprit ou une anecdote rigolote pour désamorcer une situation. La haine pour épée, l'humour pour bouclier. C'est une version un poil modifiée d'un vieux dicton que j'ai lu dans les scans d'un livre ésotérique français du 20eme siècle que j'ai trouvé sur le DomeWeb, mais il me convient plutôt pas mal. En tout cas, j'ai réussi à le faire sourire. En même temps, cette histoire, enfin, ce début d'histoire complètement dingue, ça fait partie de nous, maintenant.

Il pose ses mains sur mes hanches. Je pensais pas qu'il aurait eu le cran de bouger... Et j'ai pas prévu de réaction à ça. C'est pas par manque de réflexion, mais... Plutôt par manque de données. Quand il s'agit d'interactions humaines, un milliard de données ne suffirait pas à expliquer un sourire, une larme ou un fou rire.

Voire une érection.

Je ses sens doigts passer sous la chemise et glisser sur ma peau. Un frisson me chatouille toute la colonne quand je l'entends répondre à ma phrase.

- C’était un peu rapide à mon goût… ça doit être sympa sans flics derrière la porte aussi.

Woh, c'est lui qui me fait une proposition...? Merde... Ca fait tellement longtemps que j'ai pas eu envie d'avoir quelqu'un d'autre que Kelya que j'avais oublié comment ça marchait. Je fais quoi? Il vient clairement de me proposer de... Ne pas faire semblant. Bon, il a pas l'air ultra à l'aise, mais justement... Si ça avait été une vanne, il aurait été vachement moins crispé! Mais au vu de la position de ses maxillaires, du tressautement de ses iris et de la vitesse à laquelle son aorte pompe le sang le long de son cou, il est clairement pas en train de me raconter une blague à toto. Je me retrouve face à lui, et on est quasiment dans les bras l'un de l'autre. Sa respiration s'accélère, et ses yeux arrêtent de divaguer pour se poser dans les miens. Puis il approche le visage, presque imperceptiblement.

Il est déjà bien loin du Sören taciturne qui n'a que le cinéma pour seul sujet de conversation...! C'est moi qui lui fait cet effet là...? Bien sûr que c'est toi, idiote. Et tu l'as cherché. Bon, je fais quoi, maintenant...? Il a envie de m'embrasser. Clairement. Et moi? Pourquoi je pense à elle dans un moment pareil? Bah, parce que je l'aime. Mais c'est pas grave, si? Elle fait pareil, elle! Non, c'est pas grave. Je pourrais juste dire que j'étais...

Un contact sur mes lèvres coupe le flux de mes pensées. C'est lui qui a avancé? Ou moi? J'en sais rien. Peu importe. Un cocktail explosif de substances chimiques diminuent mon taux de corticotropes, tandis que l'adrénaline, l'ocytocine et la vasopressine se font la part du lion. Mon cerveau fonctionne au maximum de ses capacités. Tout devient blanc alors que des milliers de données, des idées, des images, fourmillent dans ma tête. Ce qui me paraît une éternité à cause de ma mutation n'a pu durer qu'un frôlement pour lui... Mais, je recule la tête.

- On devrait peut-être commencer les recherches sur des groupes anti-FATE...?

Lorsqu’il avança légèrement la tête, Sören pu constater, l’instant d’une fraction de seconde, ce qu’il comprenait comme du doute dans le regard de Skye.

C’était… étonnant. Comment avait-elle pu faire volontairement monter la pression à ce point pour au final sembler mal à l’aise devant la finalité qu’elle semblait pourtant chercher ? Ou alors… ce n’était vraiment qu’un jeu, et rien de plus, et c’est lui qui n’avait pas su le comprendre.

Interloqué par la situation, Sören commença doucement à détendre son cou, pour revenir à sa position initiale quant Skye l’embrassa finalement. Ce fut avant tout de la surprise que ressenti Sören. Elle avait été plus brusque que lors de sa lente démarche féline vers lui. Comme si elle avait finalement pris une décision sur un coup de tête après une longue réflexion.

Le temps que Sören capte ce qui était en train de lui arriver, c’était déjà fini. Skye se retira doucement, jusqu’à ce qu’ils reprennent ce contact visuel qu’ils avaient entretenu pendant de longues secondes avant le baiser.

- On devrait peut-être commencer les recherches sur des groupes anti-FATE...?

Sören se contenta d’acquiescer, un large sourire sur le visage. Ça devait bien être la première fois qu’il observait une Skye aussi mal à l’aise que lui… même si ça n’avait duré qu’un instant.

Même si le rouquin n’avait pas la moindre idée de ce qui s’était passé dans le cerveau de Skye à cet instant précis, il était au final plutôt satisfait que ça ne soit pas allé plus loin. Pas qu’elle ne lui plaise pas mais… ça aurait fait beaucoup d’étapes d’un coup. Entre-eux deux sans doute, mais surtout pour lui.

Si on lui avait dit 6 mois auparavant qu’il se ferait embrasser par une femme sur son canapé, chez-lui, dans la dernière ville de l’humanité… il aurait bouffé son écureuil mutant en 3 bouchées, aurait pris son sac à dos et aurait fini son trajet jusqu’à Central Point bien plus rapidement. Heureusement, il n’y avait eu personne là dehors pour le prévenir. Il aurait sûrement fini dans le bide d’une bestiole immonde, autrement.

Alors la partie de jambes en l’air là, maintenant, sans aucune expérience de la chose, en lendemain de cuite et après avoir perdu l’objet le plus précieux de l’humanité… nan, c’était sans doute pas le bon moment.

Mais bordel, ce simple baiser était salvateur. Déjà parcequ’il en rêvait depuis toujours, et qu’il était plutôt content que ça se fasse avec Skye. Et au final, la manière dont ça finirait n’avait pas trop d’importance. Ils avaient le temps de faire évoluer ça… ou de ne pas le faire.

Après quelques secondes plongé dans les yeux de la jeune femme, Sören ôta doucement les mains de ses hanches, alors qu’elle retirait également ses bras des épaules de Sören.

Bien plus calme et confiant que quelques secondes auparavant, il se leva et se dirigea vers la chambre, en prenant soin de ne pas tourner vers le regard vers Skye qui, maintenant le petit jeu de séduction terminé, n’était peut être plus trop encline à se faire matter, le cul à l’air sur le canapé.

- Je vais te chercher des fringues ? Je suis pas sûr d’arriver à me concentrer si tu restes comme ça.

Son ton était enjoué et naturel. Dans le couloir en direction de la chambre, il ne put s’empêcher de passer ses doigts sur ses lèvres, essayant de capter à nouveau ces quelques instants de découverte totale qu’il venait de vivre.

C’était un sacré accomplissement pour lui, le genre de case qu’on coche enfin sur la “liste des choses à faire” qu’on écrit quand on a 8 ans : “embrasser une fille”. Il aura fallu qu’il attende près de 20 ans pour cocher cette putain de case sur ce carnet imaginaire… mais c’était un mur brisé de plus en direction de la vie “normale”. Petit Sören serait fier.

Il farfouilla quelques secondes dans son placard avant de ressortir de la chambre avec quelques fringues dans les bras. En allant vers la cuisine, il jeta doucement un boxer noir uni et un short de sport gris sur le canapé, en direction de Skye.

- Je crois que c’est le premier short que j’ai acheté et je m'étais un peu loupé sur la taille, il me semble. Il devrait t’aller je pense.

Il récupéra le stylo sur le bar et le carnet dans la poche intérieure de sa veste, posée sur l’un des tabourets.

Puis il retourna sur le canapé. Plutôt que de s’asseoir dans son coin habituel, il y laissa simplement les pieds, posant ses fesses sur le dossier. Il ouvrit son carnet à une page vierge, débouchonna le stylo en envoyant chier le bouchon quelque part sur la table et commença à écrire tout en détaillant à haute voix :

- Bon, je te dis tout ce qui me revient. Tu m’arrêtes si un truc te semble important ? Je suis arrivé à la F.A.T.E vers 9 heures. les flics devant contrôlaient les entrées. J’ai envoyé des messages à Ann qui est venue me faire entrer.

Elle m’a expliqué que le vol avait sûrement eu lieu pendant la nuit… sans plus de détails.

À l’intérieur, rien n’avait l’air cassé ou… différent de d’habitude. les gens couraient dans tous les sens et faisaient un inventaire de ce qui avait été pris. Donc… pas mal de choses je suppose ?

Je suis allé dans le bureau d’Ann, et elle ma ‘expliqué que… les caméras avaient récolté aucune image intéressante. Ou pas d’image du tout ? Je me souviens plus.

Le ou les voleurs ont pris un prototype - aucune idée de quoi il s’agit… et beauuucoup de données numériques. Vu que la F.A.T.E manquait d’espace sur le… “cloud”, c’est ça ? Bref, certains trucs étaient stockés uniquement sur des périphériques physiques. Donc ils ont carrément perdu certaines données.

À priori, plus ou moins tout ce qui pouvait contenir des données a été pris dans l’ “informathèque” - paye ton nom de merde - et c’est évidemment là qu’étaient mes 3 clés.

Et cette salle, elle sentait grave la plante. Pas un truc chimique bizarre… vraiment la plante.


Sören avait fait ce petit inventaire de sa mémoire aussi méticuleusement qu'il le pouvait. Tout s'était apssé très vite, et il n'avait évidemment pas pensé que ça mènerait à une sorte d'enquête. La plupart des détails lui avaient donc échappé. Mais il restait relativement optimiste. Il avait le cerveau le plus dingue de la ville à quelques mètres de lui.

Il n'arrête pas de sourire. Il se moque de moi, c'est ça? Il devrait au moins être aussi gêné que moi! C'est dans ce sens-là que c'est sensé marcher! Rah, ça m'énerve... Il a l'air complètement serein maintenant, et moi j'ai l'air d'une abrutie. Enfin, pas non plus que je regrette ou quoi, mais...

Et lui, à quoi il pense? Quand j'y réfléchis, il n'a vu aucun humain depuis des années. Enfin, au sens... Relation sociale. Et puis il m'a dit que j'étais la première avec qui il s'entend plus ou moins, alors... Ça veut dire qu'il n'y a que moi? Merde. C'est supposé me faire plaisir, ou pas? J'ai pas envie de porter une responsabilité pareille, moi. Mais bon, si je regarde juste le présent, c'est un super bon pote, c'est cool d'être ici, et c'était cool de... Enfin, tout ça, quoi. Sans compter les films. Pourquoi j'ai pas compté les films? C'est genre le tout premier truc qui nous rapproche!

Bon. On s'est embrassés, et c'était bien, c'est pas la peine d'en faire tout un bordel. Je me demande ce que Kelya en dirait... Pour une fois que je connais quelqu'un qu'elle s'est pas encore tapé!

Ce qui est bizarre, c'est que... C'est lent. Tout est lent. Pas de coups d'un soir, pas de rush ou de drague hyper lourdingue... C'est parce qu'il a pas été élevé à Central Point? C'est cette ville qui nous rend comme ça? C'était comment, avant, dehors...? J'ai lu beaucoup de trucs et vu beaucoup de films qui parlent d'amour, de flirt, de drague, mais... Au final, TOUTES les œuvres parlent d'une histoire d'amour. Va démêler le vrai du faux là-dedans!

Bon, mettons ça de côté pour le moment. Il se lève et part vers la chambre.

- Je vais te chercher des fringues ? Je suis pas sûr d’arriver à me concentrer si tu restes comme ça.

Bon, super, c'est devenu un espèce de gentleman alpha ou un truc du genre, ou quoi...?

-... Ouais, je veux bien. Mes fringues sont dans ton couloir, désolée...

Il disparut pendant un moment et revient avec quelques trucs, dont un boxer noir.

- Je crois que c’est le premier short que j’ai acheté et je m'étais un peu loupé sur la taille, il me semble. Il devrait t’aller je pense.

"Bah vas-y, dis que j'ai un gros cul!" C'est ce que j'aurais sorti en temps normal, mais là, c'est pas venu. Je sais pas trop pourquoi. Je le regarde juste revenir s'asseoir sur le dossier du canapé, avec un stylo et un carnet dans la main.

- Bon, je te dis tout ce qui me revient. Tu m’arrêtes si un truc te semble important ? Je suis arrivé à la F.A.T.E vers 9 heures. les flics devant contrôlaient les entrées. J’ai envoyé des messages à Ann qui est venue me faire entrer.

Si les flics sont là depuis 9h au moins, et qu'un dispositif était en place, alors le vol a du avoir lieu au plus tard vers 8h. Et encore, c'est dans le cas où les forces de l'ordre auraient été parfaitement efficaces.

- Elle m’a expliqué que le vol avait sûrement eu lieu pendant la nuit… sans plus de détails.

Sans doute plus tôt? Pas assez d'informations pour en tenir compte. A mettre de côté.

- À l’intérieur, rien n’avait l’air cassé ou… différent de d’habitude. les gens couraient dans tous les sens et faisaient un inventaire de ce qui avait été pris. Donc… pas mal de choses je suppose ?

Un inventaire. Donc une énorme quantité, sinon une simple liste aurait suffi. Surtout si l'inventaire a mis tout le temps - et sûrement plus - de la visite de Sören.

- Je suis allé dans le bureau d’Ann, et elle ma ‘expliqué que… les caméras avaient récolté aucune image intéressante. Ou pas d’image du tout ? Je me souviens plus.

Je laisse échapper un petit grognement agacé. Vous avez déjà essayé de remplir un verre avec du gaz? C'est à peu près comme ça que je conçois des informations incomplètes qui essayent de se frayer un chemin dans une hypothèse solide. Enfin, je peux quand même en tirer quelque chose : l'opération était discrète. Un, une, ou des professionnels. Soit en évitant les caméras, ce qui me paraît improbable vu le niveau de sécurité de la FATE, soit en les compromettant.

- Le ou les voleurs ont pris un prototype - aucune idée de quoi il s’agit… et beauuucoup de données numériques. Vu que la F.A.T.E manquait d’espace sur le… “cloud”, c’est ça ? Bref, certains trucs étaient stockés uniquement sur des périphériques physiques. Donc ils ont carrément perdu certaines données.

Un seul objet physique, et le reste, uniquement des données. Enormément. Assez pour qu'elles ne tiennent pas toutes sur un cloud. Mais ils sont partis avec les supports physiques. Lequel était leur réel but? Le prototype? Ou les données?

- À priori, plus ou moins tout ce qui pouvait contenir des données a été pris dans l’ “informathèque” - paye ton nom de merde - et c’est évidemment là qu’étaient mes 3 clés.

C'est impossible. Toutes les données? Seulement celles du secteur concerné, j'imagine. L'informathèque, c'est la dataroom, j'imagine. Ces snobs avec leurs noms alambiqués...

- Et cette salle, elle sentait grave la plante. Pas un truc chimique bizarre… vraiment la plante.

Cette fameuse odeur de plante, à nouveau. Il y a forcément quelque chose avec ça, mais pour le moment, rien ne se relie. On ne peut pas dire que ça s'annonce très bien.

Bon. Le secteur de la FATE dont parle Sören est rattaché à l'aile scientifique, c'est quasiment certain. Ce sont les seuls à avoir les ressources humaines nécessaires pour traiter un cas comme le suivi d'un survivant de l'extérieur. Il s'agit d'assistance sociale, la plupart des données doivent donc être des remarques, des notes, des dossiers personnels. Des listes. De quoi faire paniquer la fondation s'ils se les font voler. Ce serait un très bon moyen de leur faire perdre du temps en inventaire et en recherches, si la vraie cible était ce prototype. S'il a été volé au même endroit, il doit s'agir d'une façon ou d'une autre d'une machine, d'un outil ou d'un logiciel visant à l'étude des turnes. Un scanner? Une puce? C'est envisageable, et ça expliquerait le silence qui règne sur les réseaux sociaux : si une nouvelles façon de dévoiler les mutations a été découverte, ou est en travaux, ils ne peuvent pas se permettre de laisser le grand public s'en apercevoir. Pour moi, les données sont un appât et le vrai vol concerne le prototype. Dans ce cas, l'hypothèse la plus probable est qu'il s'agit d'un petit groupe, ou d'un voleur seul. Sa meilleure porte de sortie aura été de faire disparaître les données informatiques. Il ne les a peut-être même pas gardées. Mais comment le retrouver? S'il a effectué ce vol pour le compte d'une organisation quelconque... Non, c'est impossible. Ça ne colle pas. Il était seul? Comment aurait-il pu procéder...? Pour les caméras, un logiciel de piratage aurait pu suffire. Les verrous, passe encore. Mais autant de donnée, ça a du mettre longtemps, les flics seraient sûrement arrivés entre temps... Une taupe? Peut-être. Ça, ou bien se faire passer pour un membre du personnel. On a donc un voleur solitaire qui s'est introduit pour voler le prototype et qui a semé le chaos en faisant disparaître les données pour assurer sa fuite. Il a forcément laissé quelque chose... Oui : l'odeur. Un produit corrosif pour les serrures? C'est possible, Sören n'en a pas parlé mais on ne lui a peut-être rien dit. Un turne pourrait produire un acide d'origine végétale. Ça expliquerait l'odeur. L'hypothèse colle et pour le moment, peut tout expliquer. Mais du coup, s'il était seul, quel est son but? Le prototype... Ou l'argent de la vente de celui-ci? Je pense que c'est sur cet objet qu'il faut trouver des renseignements en premier lieu. Je sors de mes archives mémorielles tout ce que j'ai pu lire à propos des recherches en cours. Les nutriments intracérébraux unicellulaires sérothérapiques. La technologie de scanner intradermique à signature biométrique. La mise à jour de la puce OMNI... Non, ce n'est pas la FATE qui s'en occupe. Ah... Le projet de purificateur de toxine? Mais il est sensé être au point mort, faute de percées dans la recherche. Et puis je ne dois pas oublier que ce prototype reposait dans l'aile sociale de la section scientifique. Donc, ça ne peut pas non plus être le nouveau fumigène mis au point pour l'émeute... Prenons le problème autrement. S'il compte le vendre, où et quand serait le plus approprié? Rapidement. Avant que la FATE ne communique sur le vol et que l'objet ne soit tellement recherché qu'il devienne impossible à écouler au marché noir. C'est la meilleure chance de tomber sur lui. Mais c'est impossible de savoir à qui exactement il compte vendre... Ce qui est de toutes façons inutile : s'il produit un acide à l'odeur de plante, Sören pourra le reconnaître! Quant à trouver le lieu, entre l'époque ou je me procurais du matériel scientifique et les différentes commandes de THC en bitcoins non-traçables, j'ai déjà ma petite idée.

Sören venait à peine de finir sa phrase que tout avait commencé à s'animer dans mon crâne. Après ses derniers mots, "la plante", je relève la tête vers lui.

-On doit aller au C-4 cette nuit. Le voleur y sera probablement pour vendre le prototype qu'il a pris. Il n'aura pas les données, mais tu pourra le reconnaître à l'odeur que dégage sa mutation, et ça sera à nous de lui faire dire où il a planqué les clés.

Skye avait écouté le long monologue de Sören sans broncher… ou presque. Lorsqu’il évoquait des situations particulièrement floues et mal détaillées, elle faisait une petite grimace contrariée.

Il faut dire que ça devait être agaçant d’être capable de traiter autant de données, et que le guignol qui te les donne omette plein de détails importants. Mais bon, il pouvait difficilement s’en vouloir… tout s’était passé très vite et il n’avait alors pas du tout anticipé qu’il aurait à faire sa propre enquête pas la suite.

Il avait fini de décrire ce qui lui était revenu sur le coup, et comptait tranquillement terminer d’écrire ses notes pendant que Skye potassait tout ça. Au final, il avait à peine eu le temps de finir son mot qu’elle s'exclama :

- On doit aller au C-4 cette nuit. Le voleur y sera probablement pour vendre le prototype qu'il a pris. Il n'aura pas les données, mais tu pourra le reconnaître à l'odeur que dégage sa mutation, et ça sera à nous de lui faire dire où il a planqué les clés

Sören posa doucement son stylo, fixant Skye en retenant sa mâchoire de tomber. Il avait beau halluciner sur ce qu’il venait d’entendre, il fit mine de ne pas être étonné. Il avait une folle envie de lâcher un "t'es sûre ?"... mais elle l'était sans doute bien plus que lui ne le serait après 1 mois de recherches.

- Du coup… on va jamais regarder de polar ensemble, hein ? Je t’imagine déjà me sortir le nom du tueur au premier plan juste en analysant l’angle de caméra et la colorimétrie.

Il ponctua sa blague en tendant son poing en direction de Skye pour un fist bump bien mérité. Il n’avait aucune idée de si ce truc se faisait encore mais… dans les vieux films, c’était stylé, alors elle comprendrait forcément.

- C’est le moment où on sort une carte géante de la ville qu’on fout sur la table et on fait des schémas compliqués dessus, c’est ça ?

Même s’il tournait ça sous le ton de la plaisanterie… c’était plus ou moins ce qu’il comptait faire. Sören choppa son nano, parvint sans difficulté à allumer la TV avec et à dupliquer l’écran du nano sur le grand écran.

Il avait passé une année à se frayer un chemin à travers un pays en ruine grâce à des cartes en papier vieilles de 80 ans, ce n’est pas un pauvre plan de quartier numérique qui allait lui faire peur.

Avec une lenteur qui devait rendre dingue n’importe quelle personne un minimum habituée à la technologie, il tapa dans la barre de recherche de son navigateur : “carte C-4”.

Après quelques secondes à loucher sur son nano, il trouva l’onglet image et cliqua sur le premier lien. Une carte détaillée s’afficha à l’écran.



- Je t’écoute, Dr Manhattan, où est-ce que tu m'emmènes en rencard cette fois ?

Sören carburait à 100 à l’heure. C’était sans doute dû à l’espoir de retrouver les clés, à l’appel de l’aventure, au bisou de tout à l’heure, au simple fait que sa garde du corps était là… quoi qu’il en soit, il bouillonnait à l’idée de sortir un peu de la routine à laquelle il avait fini par s'accommoder.

- On doit aller au C-4 cette nuit. Le voleur y sera probablement pour vendre le prototype qu'il a pris. Il n'aura pas les données, mais tu pourra le reconnaître à l'odeur que dégage sa mutation, et ça sera à nous de lui faire dire où il a planqué les clés

Il pose son stylo et me regarde comme si je venais de lui expliquer comment fonctionne la biosynthèse d'excrêtats de mucus acide chez un turne monte-en-l'air. Et cette phrase était plutôt étrange... Je ne lui apporte pas non plus une solution tombée du ciel, n'importe qui pourrait en venir à cette hypothèse en réfléchissant assez longtemps. Il doit y en avoir plein d'autres qui sont viables, mais c'est juste la plus probable à mes yeux et avec les données en ma possession. Et puis, il faut bien commencer quelque part...

- Du coup… on va jamais regarder de polar ensemble, hein ? Je t’imagine déjà me sortir le nom du tueur au premier plan juste en analysant l’angle de caméra et la colorimétrie.

Je rigole. Des fois, les films sont tellement illogiques et surfent sur le coup de théâtre totalement improbable, c'est impossible de prévoir à l'avance ce qui va se passer. Enfin... Evidemment, le retournement de situation "oh la la c'était un rêve" se voir arriver à des kilomètres... Et suivant l'auteur ou le réal, on peut aussi connaître sa propension à plutôt donner le rôle du coupable aux riches aristocrates... Oui, bon. Il a peut-être raison, je dois être super chiante devant les polars. Mais au moins, je suis assez bien élevée pour me la fermer devant un film!

Il tend le poing vers moi. Fistbump? Quand je pense qu'on vient de s'embrasser... L'idée me fait sourire et je lui accorde son check démodé, façon Big Hero 12.

- C’est le moment où on sort une carte géante de la ville qu’on fout sur la table et on fait des schémas compliqués dessus, c’est ça ?

- Y'a de ça... Ah, tu l'affiches sur l'écran? Nice.

La carte de la ville était vraiment désuette. Les services publics peinent à en faire une nouvelle, plus à jour; la cité est bien trop grande et évolue très vite. Alors, depuis des années, on se contente de la carte originale, laissée par Anton Dusk en personne.

Après un bien trop long moment, en tout cas, la carte du secteur C-4 s'affiche enfin.



- Je t’écoute, Dr Manhattan, où est-ce que tu m'emmènes en rencard cette fois ?

J'ai presque perdu patience... Je me glisse en bas du canapé et m'approche à quatre pattes de l'écran. Après avoir observé un moment la carte, je pointe du doigt l'endroit qui, selon moi, correspond à la prochaine occurence du marché noir, qui se déplace chaque semaine. Coup de bol, j'ai appris hier l'arrestation d'un junkie aux news, qui trimballait une came super rare et surtout, pas entamée. Il était forcément dans ce quartier.

- Ca sera par ici. On n'a pas besoin d'entrer... Enfin, si tout se passe bien. Il suffirait que tu le repères, et on l'intercepte avant qu'il n'entre. Il... Devrait être tout seul.

Je déteste le conditionnel. C'est la preuve pure et simple que je manque d'éléments. Je m’assois sur mes jambes, en faisant enfin redescendre cette satanée chemise en dessous du niveau de mes hanches, et commence à réfléchir à tout ce qui pourrait arriver à partir du moment où on retrouve le type. Un plan bien préparé, c'est un plan A avec autant de plans B qu'il existe de liens de causalité dans le monde...

Mais, on va pas se le cacher, un plan bien préparé, c'est aussi très souvent un plan qu'on suit pas. En attendant, il est à peine midi et c'est inutile d'y aller avant ce soir...

Le fistbump avait été une réussite, et ça l’avait même fait sourire. Ça ne devait pas être si ringard que ça… ou c’était un sourire moqueur, au choix.

- C’est le moment où on sort une carte géante de la ville qu’on fout sur la table et on fait des schémas compliqués dessus, c’est ça ?

- Y'a de ça... Ah, tu l'affiches sur l'écran? Nice.

- Eh, t’as cru quoi ? J’suis un génie de l’informatique moi !

Le coup du génie de l’informatique était un peu tombé à l’eau puisqu’il avait mis 30 bonnes secondes à taper son expression clé sur le moteur de recherche et à cliquer sur un lien. Mais si elle l’avait vu quelques mois auparavant, elle serait impressionnée des progrès. Déjà, il tapait avec deux doigts au lieu d’un, maintenant.

- Je t’écoute, Dr Manhattan, où est-ce que tu m'emmènes en rencard cette fois ?

Skye descendit du canapé de manière… “liquide” ? Puis elle s’approcha de l’écran à quatre pattes. À croire que c’était son moyen de locomotion principal et… WOW ! Elle n’avait mis le boxer ni le short, là.

Heureusement, Sören, assit sur le dossier était un peu en hauteur et n’avait donc pas la vue de face sur son… enfin il ne voyait plus ou moins que des fesses, quoi. Il se pinça longuement les yeux, comme s’il espérait avoir rêvé… mais non.

Les yeux piquaient à cause du manque de sommeil mais… Il y avait bien l’écran, face à lui et Skye qui pointait un point précis de la carte avec le cul à l’air.

- Ca sera par ici. On n'a pas besoin d'entrer... Enfin, si tout se passe bien. Il suffirait que tu le repères, et on l'intercepte avant qu'il n'entre. Il... Devrait être tout seul.

Elle s’était finalement assise, permettant à la chemise de retomber sur ses cuisses et de cacher tout l’attirail qu’elle s’était bien gardée de cacher depuis tout à l’heure. La pudeur avait disparu de la surface de la Terre… ou c’était juste elle ? Pourtant, les gens dans la rue et à la F.A.T.E semblaient relativement pudiques.

Lorsque Skye tourna son regard vers Sören, ce dernier avait le menton posé sur la paume de sa main, ce qui lui permettait avant tout de cacher son immense sourire. Il fit mine que rien ne s’était passé, même si, dans l’éventualité minime qu’elle n’ait vraiment pas remarqué quoi que ce soit, l’expression de Sören laissait peu de place au doute.

Il prit une grande inspiration, faisant tout son possible pour rester concentré sur le plan :

- Ouais… donc, c’est là… on l’attend dehors, je le repère et… et quoi ? On le chope et on l’éclate ? Ou on lui propose un verre au bar du coin ?

Il fixait le plan, les rues autour du bâtiment… c’était pas vraiment bien desservi. C’était sans doute pas trop le genre d’endroit où tu traînes pour aller te faire un bon petit restau. Une ruelle qui desservait le bâtiment devant et derrière. À part ça… pas mal d’impasses.

- D’ailleurs en parlant de bar… c’en est pas un, là, juste devant le bâtiment ? Si on peut attendre à une terrasse plutôt que plantés devant la porte de la maison du crime, ce serait sans doute moins louche.

Des tas de questions lui venaient en même temps : dans quel sens sera le vent ? il pourrait repérer le type de beaucoup plus loin si ce dernier se pointait avec le vent dans le dos. Comment il fallait se fringuer ? Combien de temps en avance il fallait y aller ? Si ça tournait mal, ils faisaient quoi ? Il fallait des armes ?

Bordel, ça faisait du bien de ressentir cette émulation avant de faire un truc dangereux mais excitant. Malgré ça, Sören ne put retenir un long bâillement. Il fallait trouver un moment pour se reposer avant de partir aussi. C’est pas en courant après les voleurs qu’il allait récupérer de sa dernière nuit.

Il profita de l’absence de Skye pour se laisser tomber sur le canapé, la tête sur un accoudoir et le corps étendu sur toute la banquette. D’ici il avait une bonne vue sur l’écran et sur le haut du corps de Skye. Au moins, il était hors de portée de ses charmes si elle décidait une nouvelle fois de se balader à quatre pattes.

- Eh, t’as cru quoi ? J’suis un génie de l’informatique moi !

Je souris. C'est évident qu'il doit avoir un retard monstre à ratrapper en la matière, mais compte tenu des circonstances, il ne s'en sort pas trop mal.

- Je t’écoute, Dr Manhattan, où est-ce que tu m'emmènes en rencard cette fois ?

Je descend du canapé pour lui montrer le secteur dans lequel ça a le plus de chances de se passer, puis je le regarde pour savoir s'il a bien enregistré l'information. Il tient sa tête sur son menton, avec l'air un peu bizarre... A quoi est-ce qu'il pense?

Je jette un oeil par la fenêtre; malgré la saison, le soleil est déjà assez haut pour bien éclairer la pièce. On dirait une très longue matinée. Des fois, j'aimerais ne plus avoir aucune obligation, plus de NEST, plus de piges pour les magazines scientifiques, plus d'expériences chez Lexy... Avoir tout le temps du monde juste pour moi. Glander dans un appart comme celui-ci, toute la matinée, en grignotant des trucs et en regardant des animes et des films, sans même devoir m'habiller de la journée.

Oh... C'est peut-être pour ça, le sourire étrange.

- Ouais… donc, c’est là… on l’attend dehors, je le repère et… et quoi ? On le chope et on l’éclate ? Ou on lui propose un verre au bar du coin ?

Le choper et l'éclater... C'est évidemment une des solutions à envisager, mais elle est caduque tant qu'on n'a pas plus d'informations. Pour le moment, tout mon raisonnement repose sur des hypothèses assez grossières.

- On devrait plutôt opter pour le second plan. Il y a de plus grandes chances qu'il n'aie pris les données qu'en plan de secours, alors il n'en a peut-être même pas besoin.

Il regarde le plan, à nouveau. Je sais pas si c'est par mimétisme à force de voir tant de films  ou si c'est un genre qu'il se donne, mais on quand il réfléchit, il a l'air d'un acteur sur un plateau de tournage à qui on a demandé de "jouer le détective en train de réfléchir". C'est marrant.

- D’ailleurs en parlant de bar… c’en est pas un, là, juste devant le bâtiment ? Si on peut attendre à une terrasse plutôt que plantés devant la porte de la maison du crime, ce serait sans doute moins louche.

Je regarde l'endroit qu'il indique sur l'écran de la télé, puis je reviens vers lui, toujours en me traînant à quatre pattes. Une fois près du canapé, je prends son nanocom pour appuyer sur la case qu'il a montrée : un petit pop-up apparaît. Le "Nitro Pub". Élégant, pour un bar qui se trouve dans le C4... Je fais défiler les infos et les photos, c'est effectivement pas un endroit qui a l'air super accueillant. Mais, il a raison, on va sans doute devoir attendre un bon moment, alors autant que ce soit à faire quelque chose...

- Ouais, bonne idée. Comme ça, on pourra aviser sur place s'ils sont plusieurs ou armés. On aura juste à ne pas bouger...

Il bâille, et par mimétisme je me mets à bâiller aussi pendant qu'il s'allonge sur le canapé avec la tête sur l'accoudoir.

- Ça risque d'être une longue soirée... C'est vrai qu'on devrait sans doute se reposer.

Surtout que mon quota de sommeil est clairement en train de partir en live, ces temps-ci. Déjà que je cumule trop d'activités, je passe mon temps à faire des soirées, ou des nuits blanches, et c'est sans compter mon besoin de récupération bien supérieur à la moyenne...

En plus, cette grande asperge prend tout le canapé.

- On devrait plutôt opter pour le second plan. Il y a de plus grandes chances qu'il n'aie pris les données qu'en plan de secours, alors il n'en a peut-être même pas besoin.

La voie diplomatique donc. C’était en effet préférable mais… comment ils allaient aborder le truc ? “Coucou toi, t’as soif ? Viens on va discuter”... Meh. Le bon point, c’est que c’est clairement elle qui allait s’occuper de parlementer. Lui, c’était pas son fort et il ruinerait tout le plan en une phrase.

- D’ailleurs en parlant de bar… c’en est pas un, là, juste devant le bâtiment ? Si on peut attendre à une terrasse plutôt que plantés devant la porte de la maison du crime, ce serait sans doute moins louche.

Skye fixa l’écran une seconde avant de se traîner vers le canapé. Elle lui prit le nanocom des mains et fit en quelques secondes ce qu’il aurait fait en 2 minutes. Bref, ça afficha le nom du bar, quelques photos… ça avait l’air plutôt correct.

Vu la période de l’année, c’est pas sûr que la terrasse soit encore ouverte… mais ils resteraient dehors avec une clope à la main au pire, ça n’aurait rien de choquant.

- Ouais, bonne idée. Comme ça, on pourra aviser sur place s'ils sont plusieurs ou armés. On aura juste à ne pas bouger...

Le bâillement de Sören avait visiblement été plutôt contagieux, et le rouquin ne put que sourire en voyant sa convive se décrocher la mâchoire à son tour.

- Ça risque d'être une longue soirée... C'est vrai qu'on devrait sans doute se reposer.

- Yep. Je suis sûr qu’on a encore plein de trucs à réfléchir mais bon… on peut largement pioncer quelques heures et réfléchir aux détails après. Ça te gêne si je mets de la musique ?

Elle n’allait pas dire non, alors Sören n’attendit même pas sa réponse pour récupérer son nano et naviguer dans ses playlists. Il fallait un truc calme sur lequel il pourrait se focaliser pour éviter de penser à ce qui s’était passé le matin même… et quelques minutes auparavant sur ce canapé.

Il cliqua… Dusk to Dawn d’Emancipator. Un album bien inconnu des années 2010… si ça se trouve même Cerebro ne connaissait pas ça !

Sören baissa le son jusqu’à ce que la voix lancinante de l’intro de Minor Cause ne soit plus qu’un bruit d’ambiance. Il en profita pour baisser les volets jusqu’à ce que seul un mince filet de lumière persiste, histoire de pouvoir discerner les formes dans la pièce. Puis lorsqu’il leva le regard de son nano, il tomba droit dans les yeux de Skye qui lorgnait avidement sur le canapé.

C’est vrai qu’il s’était bien étendu. Sören se recula jusqu’à se retrouver contre le dossier et tapota l’espace devant lui, en signe d’invitation. Le canapé n’était pas très large mais bon… ils étaient plutôt fins donc ça allait passer s’ils se collaient un peu.

- Tu veux venir là ? Y’a le lit sinon, c’est comme tu veux.

Son ton trahissait évidemment son espoir que Skye vienne se blottir contre lui. Il savait pas trop comment elle voyait leur relation de son côté mais… peu importe. Il aimait être proche d’elle, et elle s'était montrée plutôt tactile depuis la veille donc… pourquoi pas ?

Il était 12h45. Pas besoin de mettre de réveil, aucune chance qu’ils dorment jusqu’à la nuit.

- Ça risque d'être une longue soirée... C'est vrai qu'on devrait sans doute se reposer.

- Yep. Je suis sûr qu’on a encore plein de trucs à réfléchir mais bon… on peut largement pioncer quelques heures et réfléchir aux détails après. Ça te gêne si je mets de la musique ?

Sans attendre ma réponse, il récupère son nano et cherche une musique à mettre sur son système sonore. Quelques notes résonnent et je reconnais la musique du centre commercial, celle qui passe au début de toutes les pubs et qu'on entend souvent au milieu, là où il y a a fontaine, les arbres et tout le jardin artificiel, avec les bancs et les tables qui servent à s'arrêter manger ou faire une pause. Dusk to Dawn. Du trip hop expérimental antédiluvien, dont le nom fait écho à celui du centre commercial et dont les droits ont été rachetés pour l'exploitation du plus grand lieu de shopping de Central Point... Il me regarde avec un petit air victorieux, comme s'il s'attendait à ce que je ne la connaisse pas. Trop mignon...! Je me demande s'il est même jamais allé dans ce centre commercial; vu sa difficulté à évoluer parmi les autres humains, il y a peu de chances... Je lui laisse cette victoire et commence à dodeliner de la tête comme si je découvrais la musique.

Il ferme les volets, jusqu'à ce qu'on ne voie plus que les contours des formes. C'est fou comme la structure de la rétine peut modifier la perception de l'environnement. Contre la choroïde, les 130 millions de bâtonnets et 65 millions de cônes dans les cellules visuelles ne sont pas disposés uniformément, les bâtonnets étant beaucoup plus nombreux dans la rétine périphérique et les cônes dans la fovéa. Moins nombreux, mais beaucoup plus de photorécepteurs. L'effet combiné de cette organisation est d'accroître la sensibilité à la lumière en périphérie de la rétine, mais d'en baisser la précision. Autrement dit, dans le noir, on distingue mieux les formes du coin de l'oeil.

Il recule sur le canapé pour me laisser de la place et tapote l'endroit devant lui pour m'inviter à y venir.

- Tu veux venir là ? Y’a le lit sinon, c’est comme tu veux.

Je souris, même s'il ne doit pas voir grand chose. Son truc, c'est l'odorat... Ce qui est assez stressant, sur certains aspects. Heureusement que j'ai pris une douche. Est-ce qu'il sent le stress? Comme les animaux? Bah... Peu importe. A tâtons, je grimpe sur le canapé ; je me souviens parfaitement de sa forme, de sa taille, et de la disposition de la pièce, mais naviguer à l'aveugle est une autre affaire, et demande une perception de son propre corps que je commence juste à appréhender avec mes cours de combat au dojo de Zack.

Et puis, lui non plus ne voit rien. J'en profite pour lui passer au-dessus et me caler dans le dossier du canapé, ou je m'étale sans gêne. La musique est douce et calme, et j'ai bien besoin de sommeil...

- Ca va, je sens pas trop fort?

Je souffle vers son nez en disant ça. L'odeur de la bière, des clopes et du kebab ne doit pas être enchanteresse, mais c'était trop tentant... Et puis, je préfère ça à une analyse plus intime de mon odeur. Je glisse un bras sous ma tête, et après un moment de réflexion, je me tourne pour lui montrer mon... dos. Kelya fait toujours ça quand elle dort avec moi.

- T'as de la place...?

Une question piège, évidemment; je me demande comment il va répondre...

Skye ne se fit pas prier pour venir maladroitement s’installer sur le canapé. Sören avait eu la main un peu plus lourde que prévu sur l’abaissement des volets. La pénombre souhaitée était finalement une nuit presque complète.

M’enfin, elle ne s’était pas viandée en s’ouvrant la tête sur le coin de la table basse, c’était le principal. Il allait maintenant falloir trouver un moyen de tenir là dessus dans une position plutôt confortable. S’il se mettait sur le dos et qu’elle restait au bord du canapé en passant son bras et sa jambe par dess… wowowo !

Alors que Sören établissait un plan mental millimétré de la disposition idéale, Skye venait de passer par dessus lui à califourchon. L’espace d’un instant, le rouquin ne put que se rappeler qu’elle n’avait évidement toujours rien enfilé sous la chemise et… ouf, elle était finalement rapidement passée de l’autre côté.

Elle alla s’infiltrer entre Sören et le dossier, n’hésitant pas à tendre les pattes pour se dégager un peu de place.

Au final, il dût se mettre de côté, l’avant du corps dirigé vers la jeune femme, pour ne pas tomber sur le parquet. Il gigota un peu, jusqu’à trouver comment placer ses genoux pour que tout tienne sur le canapé.

Il fit de même avec son bras contre la surface du canapé, qu’il finit par faufiler dans la rainure entre l’accoudoir et l’assise, sous le cou de Skye.

Il s’arrêta de remuer un instant… et elle semblait immobile aussi. Ils étaient arrivés à un enchevêtrement plutôt bien optimisé… enfin ils étaient tous les deux entièrement sur le canapé, quoi.

- Ca va, je sens pas trop fort?

Elle venait de lui dire ça, en lui soufflant droit sur le museau. C’était… inattendu. Quant à l’odeur, elle était pas dingue, pour être honnête. Autant l’odeur de kebab et d’alcool n’était pas si désagréable que ça. Mais l’haleine de fumeur en lendemain de soirée, c’était quand même pas fou, même si ça restait supportable.

Pourtant, il n’y avait même pas vraiment fait attention, quand elle l’avait embrassé un peu plus tôt. Il faut dire que sa vue et son toucher étaient bien assez en alerte pour qu’il ne focalise pas trop son attention sur l’odorat, pour une fois.

Il profita de l’environnement sombre pour résorber sa mutation avant de répondre d’un ton ironique mais très calme, comme s’il était déjà à moitié endormi :

- Horrible, je suis sur le point de m’évanouir

L’ironie… quel merveilleux moyen de ne pas  vraiment répondre à une question. L’odeur de tabac était vraiment pas des plus agréables. Mais peu importe.

Skye se tourna dos à lui, laissant Sören échapper un petit soupir contrarié. Il avait tellement galéré à trouver une position confortable, il fallait tout recommencer.

- T'as de la place...?

Évidemment que non, puisqu'elle avait failli le pousser du canapé en se tournant. Si le bras gauche de Sören était toujours bien installé sous le cou de sa convive et bien enfoncé entre l’accoudoir et l’assise, c’est au niveau du bas que plus rien n’allait d'aplomb.

Forcément, elle avait plié les genoux pour rendre le puzzle plus compliqué et, mécaniquement, son postérieur faisait sérieusement barrage en plein milieu de l’espace de vie. En parlant de postérieur, Sören s’efforçait de ne pas trop spéculer sur l’emplacement actuel du bas de la chemise portée par la jeune femme.

- Je euuuh… vais devoir prendre des mesures drastiques, je crois.

Sören fit chevaucher sa jambe droite par dessus celles de Skye, alors que sa jambe gauche tenait à peu près sur le canapé… du moins jusqu’au genoux puisque tout ce qui était plus bas pendouillait dans le vide.

Pour finir, il colla le haut de son corps contre elle, et posa son avant bras droit sur le flanc de Skye.

- Si tu re-bouges, c’est toi qui joues aux Lego pour qu’on tienne tous les deux !

Au final, ils se retrouvaient vraiment collés… sans doute plus qu’il ne l’aurait été nécessaire si Skye avait choisi une position moins envahissante. Mais bon, Sören n’allait pas s’en plaindre.

Ses paupières devenaient lourdes. En attendant que la fatigue ne les fassent fermer pour de bon, Sören observait les cheveux de Skye, à quelques centimètres devant lui. Un fin rayon de lumière lui suffisait à entrevoir ces reflets bleus qui l’intriguaient tant.

Après avoir hésité quelques secondes, il finit par sortir une question “niaise mais honnête” dont il avait le secret :

- T’aides tout le monde comme ça, ou tu m’as pris en pitié ?