Missing Data [Pt. 2] - ft Skye Reid

On voit tout l'entrain qu'il a du mettre dans l'aménagement de son home cinema, sans même penser à choisir un canapé qui puisse se déplier... On est un peu à l'étroit, mais bon, à vrai dire, je préfère ça que de dormir toute seule sur un grand canapé. C'est un peu triste. D'un ton neutre, il répond à ma vanne quand je lui souffle dessus :

- Horrible, je suis sur le point de m’évanouir

Je ricane. Cette pointe de cynisme... Y'a pas moyen qu'elle ne cache pas quelque chose, et le connaissant, soit c'est pour cacher une gêne, soit c'est parce qu'il redoute ma réaction. Peut-être les deux... Quand je me retourne, je l'entends pousser un petit soupir.

- T'as de la place...?

- Je euuuh… vais devoir prendre des mesures drastiques, je crois.

C'est vrai qu'il est plus grand que moi, il doit galérer encore plus à se trouver une place... mais, si c'est lui qui s'était mis dans le fond du canap, j'aurais pas arrêté de rouler au sol. Du coup, il passe sa jambe et son bras sur moi, et se colle un peu plus. Là, j'suis au chaud. Je commence à comprendre ce que ressent Kelya quand je la colle... Mais, c'est pas désagréable, au contraire. Je cale mes fesses contre lui, et je referme les yeux.

- Si tu re-bouges, c’est toi qui joues aux Lego pour qu’on tienne tous les deux !

- 'Toujours faire attention à ce que tu souhaite...

Dans le noir, il voit sans doute pas mon sourire. Je me demande s'il prendra cette phrase au  second, ou au premier degré? Je bâille. Je tiendrai plus très longtemps... Je sens que je suis en train de partir, quand une voix juste derrière moi me retient au bord du gouffre de morphée.

- T’aides tout le monde comme ça, ou tu m’as pris en pitié ?

- Hein...?

Je rouvre les yeux, réflexe assez inutile puisqu'il est derrière moi et que de toutes façons, il fait noir. Comment ça, le prendre en pitié...? Je l'ai aidé, moi? Il parle sans doute du fait que j'aie spontanément suggéré qu'on y aille à deux. J'ai une moue embêtée. La plupart des gens normaux auraient juste dit "ah, j'y avais même pas pensé..." mais c'est à la fois mon moteur et mon fardeau... J'y ai pensé, bien sûr. J'ai pensé à toutes les possibilités envisageables de façon réaliste avec les données que j'avais et la plus efficace des méthodes était d'y aller à deux plutôt que seul. Mais, est-ce que c'est vraiment ça que les autres appellent de l'altruisme? Est-ce que ça marche, si mon "envie d'aider les autres" découle seulement de l'hypothèse la plus probable que ça marche...?

- J'ai pas eu pitié... J'ai juste trouvé que t'es... Un cas intéressant.

Regardez-moi. Je suis même plus capable de savoir si c'est une insulte ou non. Je ne sais pas comment il le prendra, mais objectivement, être intéressant est plutôt une bonne chose, non...? Je me saoule, des fois. Je referme les yeux, et me met un peu plus en boule.

- Si tu re-bouges, c’est toi qui joues aux Lego pour qu’on tienne tous les deux !

- 'Toujours faire attention à ce que tu souhaites…

Hein ? Elle insinuait quoi là ? Elle voulait jouer aux Lego avec lui ? Il en avait une immense boîte au bunker mais il ne les avait évidemment pas ramené. À moins que…

Sören plissait les yeux, comme si ça pouvait l’aider à exploiter plus facilement sa mémoire. Il y avait ce vieux film un peu pourri, genre comédie américaine à la con, style American Pie. Ils utilisaient les Lego comme métaphore pour… tout autre chose que jouer avec des Lego du coup.

Merde, c’était pas clair du tout cette affaire… boarf, peu importe.

- T’aides tout le monde comme ça, ou tu m’as pris en pitié ?

- Hein...?

C’était à peu près la réaction escomptée. Sören avait beau ne pas être un génie social, il avait compris… ou du moins espérait bien la déstabiliser un peu. Lui même ne savait pas trop ce qu’il entendait par l’ “aide” qu’elle lui apportait.

Le fait de l’accompagner dans la Bordure plus tard dans la journée, le fait d’avoir élaboré ce plan, le fait de l’avoir aidé à la pizzeria… même le fait qu’elle ait accepté qu’il l’invite pour discuter lors de leur première rencontre, au cinéma… elle l’avait aidé de bien des manières, sans doute plus qu’elle ne se l’imaginait.

Mais surtout, il l’espérait bien la faire tiquer avec cette histoire de “prise en pitié”. Il espérait bien que c’était plus que ça. Elle était revenue le voir, déjà. Ils avaient passé une bonne soirée ensemble et puis il y avait eu ce baiser un peu étrange… visiblement autant pour elle que pour lui.

Si elle s’amusait visiblement beaucoup à jouer sur cette ambiguïté dans leur relation, et qu’il trouvait ça plutôt marrant aussi à vrai dire… ça ne l’avançait pas beaucoup en ce qui concerne la compréhension de ce qui se passait réellement.

Elle n’était jamais claire sur le sujet, et vu que Sören n’est pas le plus doué pour analyser une situation sociale eh ben… autant essayer de la pousser à en parler directement, non ?

- J'ai pas eu pitié... J'ai juste trouvé que t'es... Un cas intéressant.

Intéressant ? Bordel, elle aurait pas pu trouver un mot encore plus flou ? Elle aurait pu dire un truc niais sur le fait d’aider ses amis, lui dire qu’elle ressentait un truc pour lui, qu’elle voulait juste voir ces films par dessus tout… qu’elle comptait qu’il la paye pour son aide, n’importe quoi.

Mais intéressant… merde, ça veut rien dire intéressant.

- Ravi de t’intéresser, dans ce cas.

Si l’on pouvait déceler un brin de déception dans sa voix, ce n’était sans doute pas le moment de creuser plus le sujet, même s’il en mourrait d’envie.

La joue bien enfoncée contre le revêtement moelleux du canapé, Sören laissa ses lourdes paupières se fermer.

Quelques secondes plus tard, il s’endormait déjà.

Un bruit dans la rue le réveilla. ça devait être une balayeuse, ou un truc du genre. Sören sentit des fourmillements dans sa jambe gauche dont il avait du boucher l’arrivée de sang pendant un bon moment avec son autre jambe.

Il se tourna lentement sur le dos et sursauta alors que son corps basculait hors du canapé. Il s'agrippa à la table, faisant tomber un tas de trucs sur le sol. Il se retrouva le cul par terre, les jambes encore à moitié sur le canapé.

S’il n’était tombé que de quelques dizaines de centimètres, la table avait fait un boucan pas possible en frottant sur le paquet alors que Sören s’y agrippait, sans parler du kebab dans son paquet d’aluminium qui était allé s’écraser bruyamment un bon mètre plus loin.

Le rouquin soupira longuement, aussi amusé que désespéré par l’absurdité de la situation. Il pouvait entendre Sky s’agiter sur le canapé… elle avait difficilement pu ne pas être réveillée par le vacarme.

Sans même la voir, il était certain qu’elle devait afficher un immense sourire à cet instant…

- Pourquoi je t’ai laissé le côté dossier du canap’ moi, déjà ?

Il se releva péniblement, tout en tâtonnant sur la table à la recherche de son nano. Il le trouva et y jeta un regard : il était… presque 16 heures.

La lumière à l’extérieur s’était déjà un peu atténuée et la pièce était quasiment dans le noir complet. Sören releva le volet de quelques centimètres, histoire de constater le bordel qu’il avait pu répandre sur le sol en tombant.

- Bon… 16 heures. Tu penses qu’il faut y aller vers quelle heure ? Les trucs de méchants, ça se fait tard le soir ?