Séance shopping

- Légèrement, ouais... Et c'était pas très professionnel de sa part, d'ailleurs. Sérieux, ça la regarde, les histoires de cul des clientes...?

Solveig haussa les épaules et leva les mains vers le ciel.
S'il y avait bien une personne qui ne pouvait pas répondre à cette question, c'était elle. A dire vrai, elle ne voyait pas le problème de ce genre de discussion.
Après tout, l'accouplement faisait partie du processus de reproduction, propre à tout être vivant. Chez l'être humain, cela prenait une autre dimension : Le plaisir, grâce à l'entrave de cette reproduction par la contraception.
A partir de cet état de fait, pourquoi ne pas échanger avec quiconque ? Après tout, bon nombre de supports traitait de ce sujet, comme le Kamasutra.
Oui, Solveig l'avait lu, par curiosité et cela n'avait pas particulièrement éveillé quelque chose en elle.

- Bon, je vais aller à la boutique... Ça te dit une glace ?

- D'acc, si tu veux. Et puis, celle là, je peux te l'offrir, c'est pas réservé aux citoyens comme boutique...

Il serait intéressant de réfléchir à une solution temporaire en attendant la compréhension du gêne HED-1.
Interdire l'accès aux boutiques, pour les turnes, était une solution pour éviter des incidents, ou la peur.
Néanmoins, la dite solution était purement discriminatoire.

- Tiens... Au vu du contexte actuel, comment tu ferais pour permettre aux turnes d'accéder à ces boutiques ?

Il n'y avait pas spécialement besoin de préciser le contexte.
La peur, la possibilité que les turnes utilisent leurs pouvoirs pour manipuler, agresser, voler, etc.
Tous les actes illégaux qui pourraient porter préjudice à une quelconque boutique.
En sachant que la mutation était la variable dans cette équation.

La discussion permettra certainement d'occuper le trajet jusqu'à la boutique de glaces.

Arrivées devant l'enseigne, Skye se place devant Solveig, à sa grande surprise. Elle avait sa carte à bitcoins dans la main.
Elle voulait payer ? Ah oui, elle avait dit pouvoir lui offrir.

- Tu veux quoi...?

Solveig pose alors délicatement la main sur l'épaule de sa jeune amie.

- Tu n'es pas obligée, tu sais. Je touche une bourse et mes parents me financent également, le temps de finir ma thèse.

Elle ne roulait pas spécialement sur l'or, mais Solveig n'était pas particulièrement dépensière.
Ce qu'elle achetait, elle le rentabilisait sur plusieurs années, même les appareils électroniques qu'elle entretenait et réparait au fur et à mesure.
Il lui restait plus qu'à acheter de quoi manger et même là, c'était... Peu.

Le message transmis, elle se tourna vers le marchand de glaces.

- Bonjour ! Pour moi, ce sera un pot avec trois boules ! Vanille, caramel au beurre salé et citron vert !

Sucré, salé et acidité, voilà un trio qui éveillait les sens gustatives de la jeune femme, même si l'on pouvait douter du rendu final.

- Tiens... Au vu du contexte actuel, comment tu ferais pour permettre aux turnes d'accéder à ces boutiques ?

- C'est le genre de cas ou il vaut mieux demander pardon que la permission. Je veux dire, c'est un fait, certains parmi les turnes sont des bombes en puissance, ils sont nés comme ça. A terme, c'est toutes les infrastructures qu'il faudrait changer. Ou alors, avoir un inhibiteur qui leur permettrait de vivre normalement... Enfin, bon. Pour le moment, la seule solution, c'est de se rabattre sur les quelques boutiques qui sont tenues par des turnes... Et encore, certains ne risquent même pas de faire entrer les mutations physiques.

Un phénomène qui pousse d'ailleurs à l'extrême cette fameuse discrimination, si même entre turnes, des différences sont établies. Mais j'imagine qu'à force de matraquage médiatique, on finit par laisser l'idée s'insinuer dans notre tête... Les turnes peuvent être dangereux. Parce que c'est un fait réel.
Bien que les citoyens peuvent l'être tout autant... Juste, par d'autres moyens.

- Imagine que la totalité de l'humanité ait déjà évolué vers le... 'l'homo possens", disons. Est-ce que ça changerait quelque chose? Le risque serait toujours le même, à la différence près que là, pour avoir des clients, plus de choix d'ouvrir ses portes aux turnes. La solution est pas dans le choix de qui rentre, mais dans la façon de gérer les mutations. Les maîtriser, ou les inhiber.

Je fais pas trop attention à mon niveau de langage, j'espère qu'elle fera pas trop gaffe à mon verbiage scientifique. Mais bon, ça n'a pas l'air d'être le genre à tout analyser... On continue à en discuter jusqu'à ce qu'on arrive devant le magasin de glaces. C'était décidé, c'est moi qui paye... Je sors ma carte et je me retourne.

- Tu veux quoi...?

Elle pose sa main sur mon épaule pour me parler. J'ai l'impression qu'elle s'apprête à expliquer la vie à une enfant... Ca m'énerve un peu, mais je mets ça sur le compte de son... Mode de vie.

- Tu n'es pas obligée, tu sais. Je touche une bourse et mes parents me financent également, le temps de finir ma thèse.

- Ouais, eh ben moi j'ai deux tafs en parallèle, voire bientôt un 3ème! Et puis, c'est juste un renvoi d’ascenseur : tu m'as aidée pour la boutique de fringues... les bon comptes font les bonnes amies!

J'avoue, si je dois lui expliquer les conventions sociales à chaque nouveau sujet abordé, ça risque de me prendre la tête... Surtout que je suis pas forcément la mieux placée pour ça. Je suis pas vraiment un exemple en matière de sociabilité.

- Bonjour ! Pour moi, ce sera un pot avec trois boules ! Vanille, caramel au beurre salé et citron vert !

Drôle de trio. En même temps, drôle de nana; j'aurais presque été étonnée qu'elle ne prenne pas quelque chose qui sorte de l'ordinaire.

- Vanille aussi... Puis melon et bubble-gum.

J'ai jamais mangé de melon. C'est le genre de fruit devenu rarissime et particulièrement onéreux... Mais les arômes et les neurotransmetteurs cannabinoïdes synthétiques ajoutés aux glaces, avec le colorant, suffisent au plaisir de mes papilles gustatives.

Au moment de payer, je tends ma carte et la meuf derrière le comptoir fait une drôle de grimace. J'imagine qu'il n'y a pas beaucoup de citoyens à payer par carte, et le lien est vite fait avec les turnes... Bah. Cette fois, je laisse couler. Elle peut bien dire ce qu'elle veut, ici, je suis dans mon droit... Je la fais même chier en lui demandant de rajouter une serviette et une petite cuillère en plastique. Puis, après avoir fait biper ma carte, on repart avec Solveig vers la fameuse boutique informatique.

- C'est le genre de cas ou il vaut mieux demander pardon que la permission. Je veux dire, c'est un fait, certains parmi les turnes sont des bombes en puissance, ils sont nés comme ça. A terme, c'est toutes les infrastructures qu'il faudrait changer. Ou alors, avoir un inhibiteur qui leur permettrait de vivre normalement... Enfin, bon. Pour le moment, la seule solution, c'est de se rabattre sur les quelques boutiques qui sont tenues par des turnes... Et encore, certains ne risquent même pas de faire entrer les mutations physiques.  

Solveig n'était pas au courant de ce fait.
Etait-ce anormal ? En y réfléchissant... Pas vraiment.
La peur, encore une fois, pesait dans la balance. Et même en la présence d'humains uniquement, il y avait bien des vigiles et des caméras.
La problématique semblait donc plus d'ordre "comportemental" que "mutagène".
Ce que Skye confirma par la suite.

- Imagine que la totalité de l'humanité ait déjà évolué vers le... 'l'homo possens", disons. Est-ce que ça changerait quelque chose? Le risque serait toujours le même, à la différence près que là, pour avoir des clients, plus de choix d'ouvrir ses portes aux turnes. La solution est pas dans le choix de qui rentre, mais dans la façon de gérer les mutations. Les maîtriser, ou les inhiber.

Skye avait élargi le problème au contexte global actuel... Pas vraiment ce que demandait Solveig, qui fît une légère mine boudeuse.
Néanmoins, celle-ci fût rapidement dissipée par le fait que la jeune étudiante du FATE appréciait l'approche et les propos de Skye.
Un constat, des faits et une interrogation en suspension. De quoi faire travailler la matière grise.

- Tu donnes une dimension bien plus importante à ma simple question, mais j'aime bien. Tout ceci est intéressant ! De quoi faire travailler les esprits à une société plus juste. On en est loin, pour le moment.

Devant le marchand de glaces, les deux jeunes femmes discutaient pour le paiement.

- Ouais, eh ben moi j'ai deux tafs en parallèle, voire bientôt un 3ème! Et puis, c'est juste un renvoi d’ascenseur : tu m'as aidée pour la boutique de fringues... les bon comptes font les bonnes amies!

Solveig se rangea à l'argument, mais... Cela la gênait tout de même.
Elle n'avait pas fait cela pour avoir un quelconque retour... Mais soit.

Elle commanda donc sa fameuse glace trois boules, puis Skye fit de même.

- Vanille aussi... Puis melon et bubble-gum.

Si les goûts de Solveig pouvaient paraître étranges, elle avait la même sensation de décalage vis-à-vis de Skye. Le trio était tout aussi original que le sien.

Puis vint le paiement, la commerçante fit une étrange chose avec son visage à laquelle Solveig ne prêta pas vraiment attention.
Elle avait entamé la boule de vanille.

Direction la boutique informatique ! A environs une dizaine de minutes à pied du centre commercial, dans une petite ruelle.
Il fallait savoir qu'elle était là, ou que l'enseigne "Stockmatique" existait.

La devanture ne montrait rien de l'intérieur, pas de vitrines, juste une porte avec l'enseigne au dessus.
Solveig entra sans hésiter, l'air plus que guilleret.

- La caverne d'Ali Baba !

Le parallèle était plutôt pertinent. La boutique était remplie d'armoires et de meubles, eux-mêmes remplis de composants informatiques et électronique.
A gauche, en rentrant, il y avait un petit comptoir avec un écran d'ordinateur où un petit bonhomme rond, la quarantaine passée, discutait avec un client.
Solveig le salua et l'homme y répondit.

"Je termine avec la cliente, Solveig. J'ai reçu ta commande !"

Elle sautilla sur place, tapant dans ses mains en apprenant la nouvelle.

- Chouette ! On fait un tour en attendant !

L'homme lui répondit d'un sourire avant de reprendre sa discussion avec la cliente, tandis que Solveig se dirigeait vers le fond de la boutique, passant devant un étal d'ordinateurs fixes et portables.
Au passage, elle avait attrapé un panier, disponible à droite de l'entrée.

Arrivée devant une armoire contenant tout un tas de processeur et de cartes-mères, dans des poches de protection, elle extirpa son nanocom de son sac et le ralluma.

- Au cas où j'oublie les composants nécessaires... Mais ça devrait aller.

Elle se mit alors à piocher divers composants, tout en vérifiant les dimensions, et les déposa dans son panier.

- Tu as un ordinateur ? Ou tu veux qu'on regarde quelque chose pour toi ?

Apparemment, ma réponse ne la satisfait pas. Et c'est normal, j'ai pas vraiment répondu à sa question... Parce que pour moi, il n'y a pas de réponse, tant que le contexte sociopolitique reste tel qu'il est. Une solution pour que les turnes soient acceptés dans les boutiques? Il n'y en a pas. Pas tant qu'on sera considérés comme des dangers ambulants. Ce que nous sommes... Pour certains.

- Tu donnes une dimension bien plus importante à ma simple question, mais j'aime bien. Tout ceci est intéressant ! De quoi faire travailler les esprits à une société plus juste. On en est loin, pour le moment.

Une société plus juste...? Brave Solveig. Enfin, je suis tentée de me moquer, mais il y aurait sûrement bien moins de merde dans ce monde si tous les scientifiques de la FATE étaient comme elle. Bon, il y aurait probablement aussi beaucoup plus d'accidents mortels. Voire, une extinction de l'humanité prématurée pour une simple faute d'inadvertance...

Lorsque vient le moment de payer les glaces, je vois bien que Solveig n'est pas à l'aise avec le fait que je l'invite. Mais, tant pis. Qu'un citoyen paye quelque chose à un turne me dérange bien plus que ça... Surtout le fait de ne pas avoir le choix. Mais, aucun doute que l'étudiante de la FATE ne voyait pas les choses sous cet angle, comme la plupart des citoyens. Enfin, elle, au moins, ne pensait pas à mal.

Enfin, on a nos glaces. C'est tout ce qui importe au final, et le résultat est là. J'avais pas compris que la boutique était en dehors du Dusk2Dawn, je pensais qu'on allait simplement changer d'étage ou un truc comme ça, mais non... Je me laisse emporter dans une petite ruelle, à quelques minutes du centre. Plutôt discret, comme boutique. Un truc de connaisseurs... Sans ça, on ne sait même pas ce qu'ils peuvent bien vendre! Mais Solveig ne montra pas la moindre hésitation en entrant, et elle paraissait ravie.

- La caverne d'Ali Baba !

Eh bien, au moins, elle était expressive quand ça touchait à sa passion... Parce qu'il fallait être sacrément passionné pour apprécier autant cette espèce de brocante compacte. Il fallait au moins leur reconnaître une collection particulièrement éclectique. On devait pouvoir trouver de tout, et surtout de n'importe quoi...

Un petit monsieur tout rond discute avec un client à l'entrée. On dirait un marchand de jouets. C'est sans doute le gérant, parce que Solveig le salue et il lui réponds comme si c'était une habituée.

"Je termine avec la cliente, Solveig. J'ai reçu ta commande !"

C'est d'ailleurs sans aucun doute une habituée. Je termine ma glace avec l'autre main dans la poche, alors qu'elle sautille en tapant des mains, excitée par la perspective de zoner parmi les composants informatiques.

- Chouette ! On fait un tour en attendant !

Gepetto lui sourit pendant qu'elle attrape un panier. Elle compte embarquer quoi...? On dirait vraiment qu'elle va acheter ses fruits au marché. Ça me fait sourire. Je sais déjà plus ou moins de quoi sa "commande" doit être constituée; le fameux serveur qui nous permettra de communiquer incognito... Le ridicule de la situation me fait sourire. Si je lui disais qui j'étais, là, maintenant, elle n'aurait plus besoin de ce serveur... Mais, je dois pas oublier qu'elle est à la FATE. Pas que je lui fasse pas confiance, maintenant que je la connais un peu, je pense que c'est quelqu'un de bien. De foncièrement bien, je veux dire, le genre de personnes pour qui mal agir demande un très gros effort, en plus de ne pas être naturel.

Mais, je l'imagine aussi capable de faire des bourdes... Non, pour le moment, je préfère garder cette double-relation.

- Au cas où j'oublie les composants nécessaires... Mais ça devrait aller.

Elle vérifie sur son nanocom sa petite liste de course. Je pourrais la lui réciter de tête, puisque je sais quel module elle cherche à fabriquer, mais ce serait assez difficile à justifier.

- Tu as un ordinateur ? Ou tu veux qu'on regarde quelque chose pour toi ?

- Ouais, enfin, un vieux truc, je l'ai fabriqué moi-même à partir de pièces de récup... J'ai pas de quoi m'en payer un.

C'est vrai qu'il a aucune gueule, mon ordi. on dirait une sorte de machine qui aurait muté, dont les excroissances et les câbles formaient une espèce de silhouette approximative, où les disques durs se battaient en duel avec les différents dongles, autour d'une carte-mère en partie à vif. Je regarde avec une certaine envie les composants... Je pense que je serais pas à l'aise avec un ordi préfabriqué. Le nombre de saloperies qu'il y a de pré-installées là dessus, vous seriez choqués.

- Ouais, enfin, un vieux truc, je l'ai fabriqué moi-même à partir de pièces de récup... J'ai pas de quoi m'en payer un.

Solveig était en train d'attraper des barrettes de RAM, arrêtant alors son geste.
Skye ne touchait-elle pas trois salaires ? Elle devrait avoir les moyens de s'en payer un, surtout qu'aujourd'hui, on pouvait vraiment en avoir pour pas cher.
Bon, bien entendu, si l'on voulait être tranquille, il fallait mieux ne pas acheter de préfabriqués et le monter soi-même en retirant certains composants placés un peu partout.

Une seule société avait le monopole du domaine informatique et travaillait forcément avec le gouvernement. Par conséquence, il y avait des mouchards, parfois même des backdoors, à chaque couche de matériel : hardware, bios, OS.
Cela permettait de surveiller étroitement toute personne qui achetait un ordinateur.

Heureusement, il y avait une force qui cherchait à mettre à bas ce genre de technique et de pratique : les hackers.
Mais pas tous les hackers, non.
De cette communauté ressortait trois groupes, les blancs, les gris et les noirs. La couleur représentait un état moral, en quelque sorte, un peu comme les chevaliers Jedi des films "Star Wars" dont l'univers était toujours exploité en ce jour.
Il y avait les blancs, qui étaient censés représenter le bien. Malheureusement, ils travaillaient plutôt avec le gouvernement et les sociétés, cherchant les failles dans le système informatique.
Les noirs, quant à eux, utilisaient leurs connaissances pour attaquer un peu tout et n'importe quoi, dans le but d'obtenir quelque chose. Ça pouvait être des hackers qui créaient des crypteurs de données et demandaient ensuite une rançon, par exemple.
Enfin, les gris. Mélange de blanc et de noir, ils cherchaient les failles soit pour les exploiter soit pour les corriger, étant plutôt pour une informatique "libre", en quelque sorte.

Solveig avait plutôt ses entrées dans ce dernier groupe et elle avait appris un paquet de choses à ce niveau.
Elle n'était pas très active, comparé à certains, mais cela ne l'empêchait pas de toucher sa bille dans ce domaine.
Par exemple, elle avait participé à la création d'un OS "Pirate". Un OS non officiel pour proposer autre chose que l'OS unique.

- Ah ? Mais... Tu ne m'avais pas dit que tu touchais trois salaires ? Enfin... Désolé, c'est peut-être indiscret de ma part.

Au niveau du comptoir, Gepetto avait terminé avec la cliente. Il la raccompagna poliment à la sortie et se dirigea vers la réserve ensuite.

"Je vais te chercher ta commande, Solveig, je reviens."

- D'accord !

En attendant, Solveig continuait à farfouiner et à prendre des composants. Deux processeurs, Deux cartes-mères, etc. Chaque élément était pris en double.
Quelques minutes après, le commerçant revint avec deux cartons.
Un était carré, l'autre rectangulaire. Le premier était assez conséquent, laissant peu de doutes quant à son contenu : une unité centrale.
Quand au second, il était plus petit mais long, presque de la taille d'un bras : certainement le "bracelet" dont avait parlé Solveig plus tôt.
En parlant de cette dernière, elle s'était précipitée vers lui, tout en sautillant. Quelques composants disposés dans le panier semblaient tout aussi joyeux, car ils sautillaient également et faillir être éjectés du récipient.

"Et voilà ! L'unité centrale pour ton serveur, comme tu m'avais demandé. Et... Ton fameux bracelet également !"

- Génial, t'es un champion !

Elle ouvrit le gros carton d'abord, pour observer la fameuse unité centrale.
C'était l'un des derniers modèles, avec système de refroidissement water cooling intégré, forte dissipation de la chaleur et silencieux.
Un système de stockage pouvant aller jusqu'à huit disques durs.

Solveig l'ouvrit pour voir l'intérieur. Celui-ci était vide, elle avait simplement commandé le coffre.

- Top ! Il ne prendra pas de place et sa gestion de la chaleur pourra me permettre de le mettre n'importe où. Et le bracelet...

Elle attrapa l'autre carton et l'ouvrit tout aussi frénétiquement que précédemment, avant d'en sortir un bracelet en forme de métal, qu'elle passa autour de son bras.
C'était un micro-ordinateur, à projection holographique.
Solveig tenta de l'allumer mais rien ne se passa.

"Il va falloir que tu le configures entièrement, j'ai fait attention à ce petit détail en le commandant. Comme je sais que tu aimes bien avoir le contrôle sur tout ça."

Solveig l'écoutait à moitié, s'imaginant utiliser l'appareil à son plein potentiel.

- C'est parfait. Merci Gepetto, il n'y a plus qu'à !

L'homme lâcha un sourire excessivement affectueux en direction de Solveig, avant de détourner son regard en direction de Skye.

"Bonjour mademoiselle, je suis Gepetto, gérant de cette boutique."

- Oh oui, je suis gourde, je n'ai pas fait les présentations ! Gepetto, voici Skye ! Une amie !

"Enchanté"

Il jeta un étrange regard à Solveig, qui fût soudainement prise d'une certaine gêne.

- Ah ? Mais... Tu ne m'avais pas dit que tu touchais trois salaires ? Enfin... Désolé, c'est peut-être indiscret de ma part.

Elle arrête son geste quand je lui dis que j'ai pas de quoi me payer une machine. Quoi, elle va pas avoir pitié, non plus...? J'ai peut-être trois salaires, mais c'est loin d'être des plein temps. Un salaire de pigiste, un salaire de turne - bon, je bosse pour une Sanders, c'est de loin mon plus gros revenu - et enfin, un poste d'assistante dans un cabinet de détective qui date de... Genre, la veille. Ouais, j'ai de quoi... Enfin, plus exactement, j'aurai bientôt de quoi. mais ça fait pas longtemps que c'est comme ca, jusque là, je galérais avec mon salaire de pigiste. D'ailleurs, y'a des chances que Sora Akai se fasse de plus en plus rare dans les colonnes des revues...? Nan... Je devrai continuer, sans quoi on finira par faire le lien entre moi et cette double identité.

- C'est récent... Et j'ai pas beaucoup d'économies. Mais ça viendra, t'en fais pas.

Le petit bonhomme part dans la réserve chercher la commande de Solveig, on reste dans la boutique. Elle fait ses courses, elle prend les procos et les barrettes comme des sachets de bouffe au supermarché. Elle me fait marrer. En attendant, je passe dans les rayons... Pioneer. Pioneer. Pioneer. Putain, une seule boîte fabrique genre 80% de tout ce qu'il y a ici... C'est un des problèmes de cette... Relativement nouvelle organisation de l'humanité : le peu de sociétés qu'il reste ont un monopole quasi exclusif chacune dans leur domaine. Bon, il y a quelques avantages... Au niveau de l'organisation, surtout. Pioneer Corporation pour toute l'informatique. Athena Industries rassemble électroménager, véhicules et utilitaires, quand la Sanders Company fabrique la plupart des infrastructures de la ville. Reste Disney, qui possède absolument tout le divertissement, du cinéma aux jouets, NAO Cybernetics pour tout ce qui est AI et exploitations de celles-ci, robots compris, et Google pour la quasi-totalité des réseaux sociaux et des médias. C'est marrant de voir que presque toutes sont des "descendantes" d'Anton Dusk, ou au moins, lui doivent énormément.

Je fais pas trop attention à ce que Solveig prends, puis le petit monsieur revient, et elle lui saute au cou quand il lui annonce ses deux commandes.

"Et voilà ! L'unité centrale pour ton serveur, comme tu m'avais demandé. Et... Ton fameux bracelet également !"

- Génial, t'es un champion !

Quand elle ouvre les cartons, je ne peux m'empêcher une petite moue admirative. Jalouse, peut-être. Une tour Pioneer last gen, avec watercooling, efficace et sans bruit. Assez gros, mais pas trop, on peut y caler un paquet de trucs. Heureusement, d'ailleurs, vu son panier. Je sais même pas si tout rentrera. Attends, elle a pris beaucoup trop de trucs, non...?

- Top ! Il ne prendra pas de place et sa gestion de la chaleur pourra me permettre de le mettre n'importe où. Et le bracelet...

Dans l'autre carton, il y avait le fameux bracelet. Contrairement aux nanocoms qui s'enroulent autour du poignet, ici, la forme ne change pas, c'est uniquement un bracelet, et il est plus rigide. Il est prévu uniquement pour cette utilisation-là, et son écran n'est pas "sur" le bracelet, il le projette en hologramme. Une technologie imaginée par Anton Dusk, mais brevetée par Pioneer, relativement récente.

"Il va falloir que tu le configures entièrement, j'ai fait attention à ce petit détail en le commandant. Comme je sais que tu aimes bien avoir le contrôle sur tout ça."

- C'est parfait. Merci Gepetto, il n'y a plus qu'à !

"Bonjour mademoiselle, je suis Gepetto, gérant de cette boutique."

- Oh oui, je suis gourde, je n'ai pas fait les présentations ! Gepetto, voici Skye ! Une amie !

-Euh, ouais, salut!

Je sais pas trop quoi dire de plus. J'ai rien à acheter, et je m'attendais pas à ce que ce petit monsieur tout rond s'appelle réellement Gepetto. Je suis obligée de me retenir de rire, du coup, j'ai un grand sourire un peu bizarre, à moitié planquée derrière Solveig. On dirait que je viens de me prendre un shot de protoxyde d'azote. On a toujours toutes les deux nos sacs e la boutique de lingerie, c'est peut-être ce qui a fait réagir le gars...

"Enchanté!"

-Pareil... Elle est cool, votre boutique! Je reviendrai surement pour me fabriquer des trucs. Vous avez du plus old-school, genre... Moins Pioneer?

Je me doute que non, mais j'avais envie de crâner un peu, et de lui montrer que je m'y connaissais en vieilles machines. Enfin, que la conversation prenne ou pas, c'est plutôt un endroit sympa. Je réalise que c'est la dernière étape de la journée avec elle, on n'a rien prévu après, et encore... Ca devait juste être un coup de main pour entrer dans la boutique, à la base.

-Pareil... Elle est cool, votre boutique! Je reviendrai surement pour me fabriquer des trucs. Vous avez du plus old-school, genre... Moins Pioneer?

De nouveau un regard en coin, visant Solveig.
Apparemment, Gepetto semblait vouloir s'assurer de quelque chose mais Solveig ne comprenait pas.
Et puis, elle était un peu trop attirée par son nouveau gadget.

"Je vois que vous êtes connaisseuse ! Malheureusement, je n'ai pas ce genre de pièces en stock. Elles se font de plus en plus rares et sont donc plus chères. Il est toujours possible de voir avec mes fournisseurs, mais cela peut prendre du temps et c'est donc une prestation que je fais payer sans garantie de résultat, malheureusement."

Puis il se tourna vers Solveig.

"En parlant de prestation, tu ne m'as pas l'air très équipée pour ramener tout ceci chez toi. Tu veux que je te livre dans la soirée ?... Solveig ?"

Bien trop absorbée à toujours tapoter dans le vide, Solveig n'avait pas entendu la question.
Ce qu'elle tenait était un véritable bijou de l'informatique, avec de nombreuses possibilités. Et elle était déjà en train d'imaginer comment faire évoluer l'objet.

"Solveig ! Oh !"

- Hein ? Oh ! Pardon, tu disais ?

Gepetto répéta pour la proposition de la livraison, ce que Solveig accepta. Oui, elle serait chez elle ce soir.
Il ajouta s'il lui restait de quoi "améliorer" l'unité centrale.

- Non ! Tu peux m'en livrer avec ce soir ! Y a déjà eu des travaux dessus ?

La discussion semblait prendre une toute autre dimension... L'amélioration ? Travailler dessus ?

"Oui, mais ça a l'air compliqué. Fais-moi un retour si tu arrives à l'upgrader comme tu le souhaites. Tu trouveras l'avancée à l'endroit habituel, d'acc ?"

Solveig opina du chef, tandis qu'elle semblait de plus en plus joyeuse.

Gepetto invita Skye et Solveig à les suivre au comptoir. Puis présenta la facture qui présentait une somme... Plutôt conséquente.

"Et voilà !"

Solveig blêmit pendant un léger instant. Elle avait très bien conscience du prix mais les récents évènements... Très récents... Changeaient un peu la donne.
Solveig avait retrouvé sa soeur, en quelque sorte. Soeur que ses parents lui disaient qu'elle étaient internée depuis cinq ans dans un hôpital psychiatrique. Elle l'avait retrouvé au NEST, qui n'était pas vraiment un établissement psychiatrique.
Alors elle s'était disputée avec ses parents, sa première vraie dispute. Et donc... Coupage de vivres.

"Ca ne va pas ?"

- Ah heu... Si... Je... Je...

Elle commençait à se triturer les doigts, tout en mordillant ses lèvres.
Devait-elle payer tout un coup et avoir une fin de mois plus que difficile ou demander à Gepetto de payer en plusieurs fois ?
Les deux n'avaient rien d'engageant, malheureusement, mais elle n'aimait pas avoir des dettes en cours.

"Raconte."

A priori, Gepetto connaissait suffisamment Solveig pour savoir que quelque chose n'allait pas.
Mais la détresse de Solveig était assez visible. Skye l'avait déjà vu plus ou moins dans le même état quand elles étaient à la boutique.
Néanmoins, ne pouvant savoir ce qui la tracassait, il jeta un regard interrogatif à Skye.

- J'ai coupé les ponts avec mes parents et... Et... Non mais ça ira.

Elle tendit de quoi payer, soucieuse de ne pas pousser la conversation plus loin.

"Tu veux qu'on fasse un règlement en plusieurs fois ?"

- Non... Le mensonge de mes parents ne doit pas impacter ton affaire... Non, ça ne doit pas.

C'était un mélange assez étrange qui était visible sur le visage de Solveig. Une certaine peine mais également une sorte de... Colère.
Qu'elle décide de couper les ponts avec ses parents, c'en était encore plus étrange quand on la connaissait.
Elle semblait bien incapable de faire quoique ce soit de ce genre.

"Bon, écoute, je permets le paiement en plusieurs fois, alors on va faire ça. Et si tu veux finaliser l'achat, tu repasses quand tu veux, d'accord ?"

- D'accord... Merci et désolée.

La première partie du paiement effectuée, Gepetto s'assura de la bonne adresse de livraison, ainsi que de l'horaire.
Chose faite, Solveig et Skye pouvaient sortir de la boutique.

- Bon bah... Voilà. C'était sympa tout ça !

Elle avait repris un peu de couleur et souriait à Skye.
Là, maintenant, elle ne savait pas trop quoi faire... Les boutiques, c'était bon... Mais maintenant ? On faisait quoi quand on était avec des gens ?

- Heu... Tu veux faire quelque chose de particulier ?

Elle lui aurait bien parlé de ces fameuses "améliorations", voire carrément lui proposer de participer !
Ca consistait à dépieuter un matériel afin de voir où étaient la première couche de mouchard sur le boitier.
Puis après, il faudrait s'occuper des composants, et ensuite tenter d'installer l'OS pirate sur l'engin, il y aurait certainement du code à faire...
Bref, ça prendrait certainement des heures et des heures à faire, tout en écrivant les tâches réalisées pour transmettre tout cela à la communauté Hacker Grise.
Tout ceci était, évidemment, illégal. Et donc le proposer à une personne que l'on venait de rencontrer, ce n'était pas particulièrement prudent.
Mais la prudence, ce n'était malheureusement pas le cheval de bataille de Solveig.

- Ah heu... Sinon, si tu n'as rien de prévu pour cette nuit, je peux te proposer de.... De...

Sans faire attention, elle agitait le sac de lingerie, ce qui pouvait prêter à confusion concernant sa véritable intention.

"Je vois que vous êtes connaisseuse ! Malheureusement, je n'ai pas ce genre de pièces en stock. Elles se font de plus en plus rares et sont donc plus chères. Il est toujours possible de voir avec mes fournisseurs, mais cela peut prendre du temps et c'est donc une prestation que je fais payer sans garantie de résultat, malheureusement."

- Nan, nan, c'est pas la peine... C'était pour savoir. Je me doute que c'est pas simple à se procurer.

"En parlant de prestation, tu ne m'as pas l'air très équipée pour ramener tout ceci chez toi. Tu veux que je te livre dans la soirée ?... Solveig ?"

Aucune réponse. Solveig est déjà bien trop occupée à imaginer comment régler l'objet. J'imagine que c'est à ça que je ressemble quand je pars dans mon monde... Seulement, avec les yeux noirs, et pendant beaucoup moins longtemps.

"Solveig ! Oh !"

- Hein ? Oh ! Pardon, tu disais ?

Il répète, puis ils se mettent à parler de l'unité centrale. Ils ont l'air de bien se connaître, tous les deux, le vieux a l'air dans le coup aussi. Apparemment, elle a un projet bien défini pour la machine. Probablement en faire un serveur dédié aux conversations avec Sora Akai... Sans tous les éléments, de toutes façons, leur conversation est incompréhensible, mais elle a l'air de faire très plaisir à Solveig. Enfin, jusqu'au moment de payer...

"Ca ne va pas ?"

- Ah heu... Si... Je... Je...

Elle m'a pas donné l'impression d'être dans la merde, jusque là. Et puis, pour être étudiante à la FATE, elle doit avoir de sacrées bourses du gouvernement. Le problème doit venir d'ailleurs. Une dépense récente, ou une perte de revenus...

"Raconte."

Par contre, il va lui faire péter les plombs si il la pousse encore. Enfin, au moins, ça m'apporte une information en plus : ses problèmes de thunes sont sans doute en lien avec ses angoisses sociales. Probablement une histoire de famille.

- J'ai coupé les ponts avec mes parents et... Et... Non mais ça ira.

Bingo... C'était bien ça. Malgré tout, elle refuse que Gepetto lui fasse crédit, alors qu'il proposait gentiment. Ce type a l'air d'être un peu comme un mentor pour elle.

- Non... Le mensonge de mes parents ne doit pas impacter ton affaire... Non, ça ne doit pas.

Première fois que je lui vois cette expression. Elle a l'air vénère. C'est cette histoire de mensonge de ses parents, j'imagine. Le vieux insiste pour qu'elle paye en plusieurs fois, alors elle finit par accepter. Sans doute pour que l'affaire soit réglée au plus vite, elle avait envie de passer à autre chose. On est sorties tout de suite après.

- Bon bah... Voilà. C'était sympa tout ça !

- Ouaip! C'est une boutique sympa...

Long silence gênant.

- Heu... Tu veux faire quelque chose de particulier ?

- Non, j'avais rien d'autre de prévu... Dis, c'est quoi cette histoire de mensonge...?

Solveig est quelqu'un de bien. Après avoir passé une journée avec elle, j'en suis quasiment convaincue. Le fait de lui mentir sur mon identité me trotte de plus en plus dans la tête. Est-ce que je devrais tout simplement lui dire que c'est avec moi qu'elle va bosser sur sa thèse? Après tout, je pourrais l'aider à fabriquer ce module qui nous permettra d'échanger des documents sensibles. Sans compter que cette histoire de bracelet qu'elle voulait mettre au point m'intéresse aussi.

Peut-être que le fait que j'écrive ces articles sous une fausse identité va la froisser, mais je l'imagine plutôt réagir du genre "ah bon? Mais pourquoi faire?" avec un certain détachement de la réalité. Ouais... C'est décidé, je pense pas risquer grand chose avec elle. Je vais ouvrir la bouche, mais c'est elle qui me parle en premier, en agitant le sac de lingerie devant moi.

- Ah heu... Sinon, si tu n'as rien de prévu pour cette nuit, je peux te proposer de.... De...

Que... Quoi? Attends, de quoi elle parle? Mon cerveau rate une marche et se casse la gueule dans l'escalier de l'incertitude. Ok, on a passé la journée ensemble, mais elle me propose de... C'est la première fois que ça m'arrive. Enfin, que ça m'arrive aussi vite. Avec une fille, en tout cas. J'ai pas vraiment l'habitude d'aller vers les autres, alors y'a une étape qui devient compliquée dans ces cas-là... Je suis sensée faire quoi, répondre quoi?

Je la regarde de haut en bas. Jusqu'ici, son comportement me la faisait pas imaginer en mode séductrice, ou même nue, mais maintenant qu'elle me propose de passer la nuit avec elle, je ne vois plus que ça. Je pense immédiatement à Kelya... Et, au fait qu'elle est sûrement avec une autre fille. Bah. Je sais pas si c'est par colère, par jalousie, par envie, par jeu, par curiosité... Mais j'ai répondu.

-Euh... Bah, ouais, pourquoi pas! T'habite pas trop loin? J'ai cours demain...

- Heu... Tu veux faire quelque chose de particulier ?

- Non, j'avais rien d'autre de prévu... Dis, c'est quoi cette histoire de mensonge...?

Solveig fût surprise de la question, incapable de réprimer un sursaut tandis qu’elle sentait son pouls s’accélérer.
Elle avait honte de cette histoire, de sa passivité et de sa naïveté.
Elle avait peur du possible jugement des autres, car si les parents avaient été des monstres, elle avait été plus qu’idiote.
Lui raconter ? N’allait-elle pas la détester par la suite ?
Mais n’était-ce pas trop tard pour cacher cela ? Et puis… Elles étaient amies, non ?

- Je… J’ai une sœur, que je n’ai pas vu depuis des années… Depuis que je suis parti de chez mes parents… Cinq ans, exactement.

Elle parlait lentement. Balbutiant, cherchant les bons mots pour ressortir un discours neutre de la situation.
Solveig ne pouvait s’empêcher de fuir le regard de Skye, honteuse. Elle se mordillait les lèvres, se trituraient les doigts.

- Peu de temps après mon départ, elle avait fait des sortes de crises à la rendre très violente sans reconnaître qui que ce soit. Mes… Parents… L’ont donc fait interner. Et... je n’ai jamais pu la voir.

La dernière affirmation en coûtait à Solveig, qui avait lâché cela dans une sorte de sanglot. Sanglot qu’elle tenta de minimiser en se concentrant sur sa respiration.

- J’ai essayé, à plusieurs reprises de demander si je pouvais aller la voir… Mais ils m’ont toujours interdit de le faire, car l’état était si grave que ça n’aurait rien donné de bon. Même eux évitaient d’aller la voir trop souvent. Mais… Mais tout ceci, était faux.

Se rappelant toute la naïveté dont elle avait fait preuve, ainsi que la stupidité, Solveig n’avait qu’une envie, se frapper et fuir dans un trou de souris.

- Ils ne l’ont pas internés, ils l’ont renvoyé de chez nous, parce qu’elle était turne… Et ils m’ont menti pendant cinq ans… Et moi, je n’ai jamais cherché plus que ça à la voir… Je… Leur faisais confiance. J’ai été idiote.

Elle s’arrêta quelques instants, regardant Skye dans les yeux, avant de fuir à nouveau.
Le seul illogisme dans ce qu'elle disait, c'était le fait qu'ils se soient rendu compte, tardivement, que la dite soeur était turne.
Skye était bien au courant des méthodes de reconnaissance de la présence ou non du gêne turne, lors de la naissance de l'enfant.
Peut-être avait-elle déjà entendu parler de cas où il y avait eu erreur ? Même si cela paraissait hautement improbable.

- J’ai retrouvé ma sœur, par hasard, et c’est là que j’ai appris ce qu’il s’était vraiment passé. Qu’ils avaient menti.

Elle les avait appelé d’ailleurs, mais pas eu le temps de faire quoi que ce soit que l’amie de sa sœur, lui avait collé une giffle.

- Je… Suis nulle. On se moque de moi parce que je suis crédule et naïve, je m’en rends bien compte. Ou encore parce que je ne comprends pas tout… Mais je n’ai jamais été à l’aise avec les gens et nos rapports ne me paraissent pas… Instinctifs. C’est aussi pour ça que je préfère converser par écrans interposés.

Derrière les écrans, il n’y avait pas d’expression ou d’émotions à déchiffrer. On ne se sentait pas percé du regard lorsque l’on venait de prononcer un mot ou une phrase, ou que l’interlocuteur attendait une réponse.
On pouvait prendre le temps de décrypter la phrase écrite, et d’y répondre doucement, sans devoir suivre le flot habituel d’une discussion.

- Et je commence à comprendre que… Que je dois m’intégrer. Tous les évènements récents concordent en ce sens. Comme si l’univers me disait « Solveig, tu es trop naïve, il va falloir que tu fasses quelque chose. », mais… Quoi ? Je ne sais pas. Les liens logiques ne se font pas d’eux-mêmes dans mon cerveau, à tout instant je dois les connecter. Quand quelqu’un me sourit, je ne sais pas s’il est content ou non, alors je dois reprendre l’ensemble de la discussion et déduire s’il est content ou en colère. C’est… Epuisant, à force. Mais ça… Tout le monde s’en fout.

Un léger changement d’intonation dans la voix qui devint plus grave et semblait être comme une sorte de grondement.

- Pour mes parents, j’étais la fille surdouée. Pour ma sœur, j’étais la chouchou, la favorite. Pour les autres enfants, j’étais bizarre. Pour les collégiens, j’étais le mouton noir, pour les lycéens, j’étais la geekette à harceler, et là, pour ma thèse, je suis la conne qui couche avec son maître de thèse parce que je suis trop naïve et bête pour faire ce que je fais. Même pour mon copain, je suis une idiote chiante et ennuyante parce que tu comprends, je n’aime pas sortir.

Elle fulminait. Les symptômes de stress et d’angoisse avait muté, au fil de la discussion, en une certaine colère.
C’était bien la première fois qu’elle parlait de tout ça à coeur ouvert.
Indubitablement, les larmes commencèrent à perler.


- Je veux juste qu’on me laisse tranquille et qu’on me laisse me plonger dans ce que j’aime faire.

- Je… J’ai une sœur, que je n’ai pas vu depuis des années… Depuis que je suis parti de chez mes parents… Cinq ans, exactement.

Elle fuit mon regard... Cette histoire la touche beaucoup. J'aurais peut-être pas dû lui demander, mais j'ai un pressentiment... Une impression.

- Peu de temps après mon départ, elle avait fait des sortes de crises à la rendre très violente sans reconnaître qui que ce soit. Mes… Parents… L’ont donc fait interner. Et... je n’ai jamais pu la voir.

Merde. Familles séparées...? Je dirais bien que je comprends ce qu'elle a traversé, mais ça serait très loin de la vérité. J'ai été "confiée" à la FATE à la naissance et j'ai jamais connu personne de ma famille, c'est pas pareil que d'en être séparé...

- J’ai essayé, à plusieurs reprises de demander si je pouvais aller la voir… Mais ils m’ont toujours interdit de le faire, car l’état était si grave que ça n’aurait rien donné de bon. Même eux évitaient d’aller la voir trop souvent. Mais… Mais tout ceci, était faux.

Faux? Okay, famille psychopathe. Une frangine enfermée sous un faux prétexte. Probablement une turne. Elle ne met pas longtemps à confirmer mes soupçons. Mais dans ce cas pourquoi avoir attendu si longtemps avant de l'expulser...?

- Ils ne l’ont pas internés, ils l’ont renvoyé de chez nous, parce qu’elle était turne… Et ils m’ont menti pendant cinq ans… Et moi, je n’ai jamais cherché plus que ça à la voir… Je… Leur faisais confiance. J’ai été idiote.

Central Point est une ville immense. Mais qu'il y ait une autre Langley dont le gène turne est inconnu du grand public, je trouve ça... Hautement improbable. Les pièces du puzzle s'emboîtent tranquillement, au fil de l'explication de Solveig, de telle sorte que maintenant, je comprends qu'il n'aurait pas pu en être autrement, depuis le départ.

- J’ai retrouvé ma sœur, par hasard, et c’est là que j’ai appris ce qu’il s’était vraiment passé. Qu’ils avaient menti.

C'est la grande sœur d'Heidi. J'ai une moue amère en pensant à elle. Je dirais bien que je l'aime pas, mais c'est même pas ça, je la connais à peine. Bon, elle s'est comportée comme une petite pétasse le peu de temps qu'on a été en groupe, mais là encore, c'est pas le souci principal. Elle passe du temps avec Kelya, du temps que j'ai l'impression qu'elle me prend, à moi.

- Je… Suis nulle.  On se moque de moi parce que je suis crédule et naïve, je m’en rends bien compte. Ou encore parce que je ne comprends pas tout… Mais je n’ai jamais été à l’aise avec les gens et nos rapports ne me paraissent pas… Instinctifs. C’est aussi pour ça que je préfère converser par écrans interposés.

C'est sûr, ça permet de prendre son temps et de trouver les mots justes, sans la pression et le jugement causés par la présence directe de l'interlocuteur. Mais, ça suffit pas toujours. Rarement, même.

- Et je commence à comprendre que… Que je dois m’intégrer. Tous les évènements récents concordent en ce sens. Comme si l’univers me disait « Solveig, tu es trop naïve, il va falloir que tu fasses quelque chose. », mais… Quoi ? Je ne sais pas. Les liens logiques ne se font pas d’eux-mêmes dans mon cerveau, à tout instant je dois les connecter. Quand quelqu’un me sourit, je ne sais pas s’il est content ou non, alors je dois reprendre l’ensemble de la discussion et déduire s’il est content ou en colère. C’est… Epuisant, à force. Mais ça… Tout le monde s’en fout.

Elle avait besoin de sortir tout ça de son système. Je la laisse continuer. Elle dit qu'elle n'est pas capable de sociabiliser normalement, mais en attendant, ce qu'elle est en train de faire s'approche beaucoup de se plaindre sur l'épaule d'une amie... Une activité des plus sociales. J'en sais quelque chose, au NEST, les filles passent la moitié du temps à se plaindre de ce qui se passe dans leur vie.

Et l'autre moitié à faire des trucs dont elles se plaindront plus tard.

La psychologie humaine... Un grand mystère.

- Pour mes parents, j’étais la fille surdouée. Pour ma sœur, j’étais la chouchou, la favorite. Pour les autres enfants, j’étais bizarre. Pour les collégiens, j’étais le mouton noir, pour les lycéens, j’étais la geekette à harceler, et là, pour ma thèse, je suis la conne qui couche avec son maître de thèse parce que je suis trop naïve et bête pour faire ce que je fais. Même pour mon copain, je suis une idiote chiante et ennuyante parce que tu comprends, je n’aime pas sortir.

Okay, là, j'ai pas tout suivi. Elle couche avec son maître de stage? Et euh, elle a un copain? Pourquoi cette proposition pour la nuit, alors...? Enfin, pas le temps de penser à ça, la voilà qui se met à sangloter...

- Je veux juste qu’on me laisse tranquille et qu’on me laisse me plonger dans ce que j’aime faire.

- Hey, tout doux... Tu devrais extérioriser un peu plus souvent, sinon ça sort en torrent.

Je m'approche pour lui poser la main dans le dos. Elle a sincèrement l'air... Paumée. Il a dû lui arriver un paquet de trucs bien galères ces derniers temps...

- Si tu veux vivre tranquille, faut que tu te prépares à tout ce qui peut te tomber dessus. Le plus chiant, c'est quand tout arrive alors que tu t'y attends pas... Ce que t'aime faire, c'est plutôt... Le coussin qui va te rattraper. Ta zone de confort!

Pour moi, c'est la science. Pour Zack, le combat, pour Kelya, le sexe. Et puis, pour un peu tout le monde, y'a l'alcool... Mais j'imagine pas trop Solveig boire, bizarrement.

- Hey, tout doux... Tu devrais extérioriser un peu plus souvent, sinon ça sort en torrent. Si tu veux vivre tranquille, faut que tu te prépares à tout ce qui peut te tomber dessus. Le plus chiant, c'est quand tout arrive alors que tu t'y attends pas... Ce que t'aime faire, c'est plutôt... Le coussin qui va te rattraper. Ta zone de confort!

Le contact de la main de Skye sur son épaule était...Etrange.
On touchait difficilement Solveig, le contact lui était assez dérangeant dans l'ensemble.
Ca avait tendance à la stresser. Même avec son copain, elle avait du mal.
Là, ça l'était moins.
Peut-être parce que Solveig avait elle-même initiée un contact, dans la cabine d'essayage, ou qu'elle considérait Skye comme non-stressante, ou alors le fait de s'être épanchée.
Il faudrait creuser, mais ce n'était pas vraiment le moment.

Perplexe, Solveig se repassait les paroles dans sa tête.

- ... Ma zone de confort ?

Elle n'avait pas à réfléchir bien longtemps, la science, tout simplement.
La physique, la chimie, la biologie. L'informatique également.
Tout ce qui concernait la vie, en quelque sorte, même s'il paraissait assez incongrue d'y inclure le dernier domaine.
Ce qu'elle trouvait passionnant, c'était que l'Homme avait réussi à créer un domaine où il était presque l'égal d'un dieu et lui avait permis, en y insufflant ses connaissances, de repousser les limites.

- Ca... J'ai. Et je m'y réfugie continuellement. Mais je n'étais pas préparée à tout ça.

Elle se sentait plus... Légère ?
Oui, tout ce qui lui pesait sur le coeur était moins lourd. Elle avait bien conscience que cela ne changeait nullement le problème mais elle se sentait moins dans le floue.
Elle percevait la globalité des choses à faire et à se préparer.

- C'est possible de se préparer à tout ? Tu fais comment toi ? Parce que j'ai l'impression d'avoir été mon pire ennemie dans cette histoire.

Elle alla pour se relever, attrapant la main de Skye dans la sienne et se releva, passant un coup de manche sur ses yeux pour essuyer les larmes.
Elle ne se rendit pas compte qu'elle avait toujours la main de Skye, si douce et chaude.

- ... Ma zone de confort ?

Apparemment, elle a trouvé quelque chose qui l'apaise un peu. Elle n'a même pas eu à réfléchir très longtemps. Je suppose que c'est une évidence, mais qu'elle doit être difficilement compatible avec le reste... Ce qui est souvent le cas. Une zone de confort, c'est souvent un jardin secret, une... Forteresse de solitude. Un truc en solo, quoi. Enfin, ça dépend des cas, bien sûr.

- Ca... J'ai. Et je m'y réfugie continuellement. Mais je n'étais pas préparée à tout ça. C'est possible de se préparer à tout ? Tu fais comment toi ? Parce que j'ai l'impression d'avoir été ma pire ennemie dans cette histoire.

Mince, me voilà transformée en conseillère sociale. Pas que ça me fasse chier de le faire pour elle, mais... Je suis pas sûre d'être la meilleure référence en la matière à avoir quand on veut s'en sortir. Voyons... Comment se préparer à tout? Je peux pas vraiment lui donner "ma" solution. Moi, j'analyse tout sur le tas. Je compare à toutes les situations que j'ai retenues dans ma mémoire. Et j'établis des centaines de simulations jusqu'à parvenir au résultat le plus avantageux. Non, c'est pas très réaliste de lui lâcher ça, et puis ça ne l'aidera pas beaucoup... Il doit bien y avoir autre chose.

Ce qui la touche, et ne me touche pas... Ce qui me touche? Je suis plutôt du genre à faire un fuck à la vie quand elle essaye de me faire un croche-pattes. Ou, plutôt... Je m'attends à chaque tournant au prochain croche-pattes. Enfin, presque toujours. Ce qui m'a le plus touchée récemment... C'est Kelya. Enfin, son absence. Non, son... Éloignement. Pourquoi? Parce que je me suis ouverte à elle, offerte même. Et que, pour la première fois depuis longtemps et tout domaines confondus... J'y ai cru.

Voilà. J'y ai cru. C'est mon problème, et c'est aussi celui de Solveig. Elle croit à tout. Elle a un optimiste débordant qui frôle la naïveté maladive...

-Peut-être... Moins croire les gens. T'es une scientifique, non? Aborde la méthode scientifique! Notre rôle, c'est de douter de tout... C'est comme ça qu'on évite de tomber dans les pièges faciles des fake news et autres désinformations.

Un peu flou. Mais en même temps, ça fait tellement partie d'elle que je me vois mal lui dire de but en blanc d'être moins naïve. De mieux comprendre les humains... Mais oui!

-Et puis, notre autre arme, c'est les expériences. Alors, si t'as du mal avec les humains, c'est juste que t'as pas fait assez d'expériences... Étudie-les! Apprends leurs réactions, celles que tu dois leur retourner, comment leur parler, comment les comprendre. Essaye tout! Engrange des connaissances. Puis... Utilise-les pour rendre ta vie plus facile!

Elle prend ma main pour se relever, et s'essuie les yeux avec sa manche. Elle est plutôt mignonne, dans le genre animal abandonné... Elle garde ma main un moment, avant que je comprenne qu'elle ne va pas la lâcher. Bon... Je viens de lui dire d'engranger des expériences, je me vois mal la lui retirer maintenant.

-Et puis, ton pire ennemi, c'est pas toi... C'est ce que tu connais pas.

-Peut-être... Moins croire les gens. T'es une scientifique, non? Aborde la méthode scientifique! Notre rôle, c'est de douter de tout... C'est comme ça qu'on évite de tomber dans les pièges faciles des fake news et autres désinformations.
Et puis, notre autre arme, c'est les expériences. Alors, si t'as du mal avec les humains, c'est juste que t'as pas fait assez d'expériences... Étudie-les! Apprends leurs réactions, celles que tu dois leur retourner, comment leur parler, comment les comprendre. Essaye tout! Engrange des connaissances. Puis... Utilise-les pour rendre ta vie plus facile!
Et puis, ton pire ennemi, c'est pas toi... C'est ce que tu connais pas.

Solveig avait écouté attentivement, hochant la tête de haut en bas par moment, sans s'en rendre compte. Une lueur s'allumait dans son regard, tandis que son cerveau se synchronisait avec les propos de sa nouvelle amie.
C'était un étrange mélange visible. La lueur d'intérêt prouvait que Solveig était bien présente en l'instant T, mais l'émotion globale transmise par l'iris attestait d'une certaine... Absence.

Solveig était pleinement dans ses pensées, les propos de Skye étant d'une pertinence majeure, elle cherchait dans sa mémoire à long terme quelques éléments lui permettant d'analyser les propos et de voir ce qu'elle aurait pu faire.
Etrangement, le cas typique qui vint s'imposer à son esprit fût sa rencontre avec Ariel, une jeune turne brûlée dans un incendie.
L'affaire présentait des anomalies dans les multiples témoignages dont celui d'Ariel et de son père.
Tout ceci laissait à penser que le père d'Ariel lui-même avait essayé de la tuer.

- Je vois...

Le regard brillant n'était plus et Solveig semblait de nouveau présente.
Elle relâcha la main de Skye, indifférente. Non pas que cela n'avait pas d'intérêt, mais elle ne s'était rendue compte de rien.

- Je ne me connais pas.

C'était peut-être l'idée la plus intéressante avancée par Skye.
Il était vrai que Solveig ne se connaissait pas vraiment. Elle savait qu'elle avait un intérêt pour les sciences, qu'elle avait des tendances au stress, voire à l'angoisse, mais pour le reste... Difficile à dire.
Il suffisait de se pencher sur sa  propre relation avec Vincent. En était-elle satisfaite ou heureuse ? est-ce qu'elle lui apportait quelque chose ? Etait-ce ce qu'il lui fallait ?
Ca, elle ne le savait pas. Y avait-il cette relation parce qu'elle en avait envie ou parce qu'être en couple et avoir un amoureux était bien vu ?

Solveig se mit alors à rire, en sautillant sur place, avant d'effectuer un bond plus haut, en levant les bras au ciel.

- Ouiiiiii ! Ah ah ah ah !

En redescendant, elle attrapa les mains de Skye dans les siennes, l'air toujours aussi enjoué.

- Merci ! J'y vois plus clair ! Merci ! Merci ! Merci !

Elle se remit à sautiller.
Oui, apprendre à se connaître et à appliquer la méthode scientifique.
Voilà quelque chose qu'elle maîtrisait et qui amènerait les autres dans son domaine. Cela jouerait, à terme, certainement sur son stress voire son angoisse.

Le brouhaha prodigué par Solveig fit sortir la tête de Gepetto de la porte d'entrée de sa boutique. L'air d'abord perplexe, il eut un léger sourire en voyant cet engouement. Il rentra à nouveau dans sa boutique.

Elle ne l'avait pas remarqué mais elle se calma au fur et à mesure.
Finalement, tout ce qu'il se passait était peut-être dur à supporter, mais cela révélait pleins de bonnes choses.
Solveig avait retrouvé sa soeur et allaient emménager avec elle. Il y avait la rencontre avec Skye qui semblait tout autant férue d'informatique qu'elle, et puis elle avait réussit à intéresser Sora Akaï, et ça  c'était capital.


- Oh pardon.

Elle relâcha les mains de Skye, revenant alors à la réalité et au programme désiré, soit le démontage du serveur pour en fouiller ses entrailles et découvrir tous ses secrets.

- Toujours partante pour ce soir ? Par contre, le frigo doit avoir une contenance plutôt proche de l'air qu'autre chose. Il y a une petite épicerie en bas de chez moi, on y passe ? Ca te dit ?

Je sens qu'elle m'écoute, mais elle a l'air complètement ailleurs. Difficile de lui en vouloir; j'imagine que c'est à ça que je ressemble quand mon cerveau traite une foule de données à la fois alors qu'on me parle... Elle devait avoir quelque chose de précis en tête. Elle se contenta de répondre vaguement avant de retrouver un peu de vivacité.

- Je vois...

Elle lâche ma main, et formule la conclusion à laquelle elle est arrivée en suivant mon raisonnement. Je dois avouer que c'est pas celle à laquelle je m'attendais... Mais, bon, je suis pas vraiment taillée pour le social, encore une fois. Et probablement encore moins pour la psychologie.

- Je ne me connais pas.

Ce n'était pas vraiment ce que j'entendais par "ton pire ennemi, c'est pas toi, mais ce que tu ne connais pas. Je commence à douter d'être en train d'améliorer quoi que ce soit. Apparemment, je lui ai fait prendre conscience de quelque chose, mais je ne sais même pas si c'est quelque chose de pertinent ou non... Et puis... Elle se met à rire.

- Ouiiiiii ! Ah ah ah ah !

Elle sautille sur place, lève les bras au ciel. Oh mon dieu, je l'ai cassée. Plus jamais je ne donne de conseils à quelqu'un. Elle prend mes mains à nouveau, elle a l'air ravie.

- Merci ! J'y vois plus clair ! Merci ! Merci ! Merci !

On va grave se faire remarquer si elle continue à danser la gigue en délire. Tiens, bah voilà... Le petit vieux arrive et a l'air choqué... Un court moment. Finalement, il a l'air de décider que tout va bien et retourne travailler. On est en train de se taper une honte monumentale... Heureusement qu'il n'y a personne d'autre. Qu'est-ce que tu viens de faire, Skye...?!

- Oh pardon.

Une brusque prise de conscience - au moins tout aussi brusque que cet accès de gaieté incontrôlée - lui fait me relâcher les mains. Je ne sais pas du tout ce qui vient de se passer dans sa tête, et je doute être capable de m'en approcher. Aussi efficace que puisse être mon cerveau, la compréhension d'un cerveau étranger est quelque chose de complètement inquantifiable... En tout cas, pour elle, c'est déjà une affaire de passé; elle me regarde et continue comme si de rien n'était.

- Toujours partante pour ce soir ? Par contre, le frigo doit avoir une contenance plutôt proche de l'air qu'autre chose. Il y a une petite épicerie en bas de chez moi, on y passe ? Ca te dit ?

-Ce soir...? Quoi? Euh... Ah, le montage de l'ordinateur. Oui... Pourquoi pas?

Elle me prend de court. Il y a tellement de choses qui ne vont pas... Elle ne sait pas que je suis Sora. Je sais qu'elle est la sœur d'Heidi. Elle a dit qu'elle l'avait retrouvée. Elles habitent peut-être ensemble? Putain, je veux absolument pas me retrouver chez Heidi! Tout s'emmêle, c'est pas facile de la suivre...

-Mais... Ca dérange pas? Je veux dire, il y a personne chez toi...?

-Ce soir...? Quoi? Euh... Ah, le montage de l'ordinateur. Oui... Pourquoi pas?

Solveig tapota frénétiquement ses mains, gloussant légèrement.
C'était bien la première fois qu'elle laissait une personne entrer dans cet aspect-là de sa vie. Même Vincent, son copain, n'avait jamais vu Solveig s'attaquer à l'informatique.

Comme la science, c'était une passion.
Difficile d'en être autrement en sachant que tout le fonctionnement de l'informatique reposait sur le passage ou non d'un courant électrique.

Il faudrait, bien entendu, se sustenter.
Solveig passa en revue les éléments présents dans son frigo. Il faudrait un plat simple à produire et consistant.
Un riz au curry ! De quoi égayer les papilles et simple à faire.
Enfin, si Skye appréciait le curry.

- Mais... Ca dérange pas? Je veux dire, il y a personne chez toi...?

Cela interpella légèrement Solveig qui oublia instantanément ce qu'elle voulait demander.

- Heu... Non, si je te le propose. J'habite seule avec Ronron. Mon copain habite dans un autre studio de la résidence mais je lui dirai de ne pas nous embêter. Et d'ici quelques jours, ça va changer ! Je vais emménager avec ma soeur quand elle sortira de l'hôpital. Elle s'est blessée, dernièrement.

Son regard se perdit de nouveau. Un long frisson vint la parcourir et Solveig croisa ses bras sur sa poitrine. Ses mains posées sur ses bras, elle se frictionna lentement comme pour se réchauffer.
Solveig ne savait pas s'il fallait remercier la providence pour être tombée sur Heidi à ce moment-là.
L'après manifestation avait été une horreur, tout simplement.
Déployer des étudiants pour apporter les soins élémentaires, comme nettoyer les blessures ou faire les pansements, était une bonne idée. Mais Solveig n'avait pas été prête à se confronter à cette réalité. Elle en faisait encore des cauchemars.

Les souvenirs laissèrent transparaître une certaine peur sur son visage qui se dissipa petit à petit.

- La manifestation a été horrible... Tu as vu tout ses turnes avoir leur caractéristique physique se déclencher avec les grenades ? Et apparemment, c'est une invention de la FATE ! Mais quelle idée, c'est horrible ! Et je ne te parle même pas des urgences du Central Hospital. C'était... apocalyptique...

Un nouveau frisson s'empara d'elle.
Les images s'imposaient à nouveau dans son esprit.
Comment oublier l'odeur de l'hémoglobine et des excréments ? Les cris de douleurs, les appels à la haine et aux meurtres ?
Le personnel hospitalier qui courrait dans tous les sens...

Elle devait se concentrer sur autre chose.

- Tu aimes le riz au curry ?

- Heu... Non, si je te le propose. J'habite seule avec Ronron. Mon copain habite dans un autre studio de la résidence mais je lui dirai de ne pas nous embêter. Et d'ici quelques jours, ça va changer ! Je vais emménager avec ma soeur quand elle sortira de l'hôpital. Elle s'est blessée, dernièrement.

Ronron... Son chat, dont elle m'a montré la photo. Emménager avec sa soeur... Heidi. Sa chute à la manif...? Et... Son copain? Elle a un copain? Je me souviens pas qu'elle m'aie parlé de ça...

Je pense à reconsidérer l'invitation, même si cette nouvelle information ne changeait pas grand chose. En tout cas, si je comptais éventuellement me présenter comme étant Sora Akai ce soir, le fait qu'elle ait quelqu'un qui partage sa vie et à qui elle serait susceptible de tout raconter m'en dissuade. Son copain, bien sûr... Mais également Heidi. Je ne tiens pas à ce que cette... Turne en planque en connaisse trop sur moi. Je pense avoir déjà compris pourquoi elle est dans cette situation, mais... Si effectivement, je la protègerais si l'occasion s'en présentais, je ne tiens pas particulièrement à faire partie de sa vie.

- La manifestation a été horrible... Tu as vu tout ses turnes avoir leur caractéristique physique se déclencher avec les grenades ? Et apparemment, c'est une invention de la FATE ! Mais quelle idée, c'est horrible ! Et je ne te parle même pas des urgences du Central Hospital. C'était... apocalyptique...

Tiens... Elle ne faisait pas partie du troupeau. Bon, venant d'une personne aussi brillante, et puis, étudiante à la FATE, c'aurait été étonnant qu'elle ne soit pas au courant. Mais le fait qu'elle m'en parle... Pour beaucoup, les turnes ont activé d'eux-même leur mutation, par un accès de rage, de violence, ou n'importe quoi d'autre.

-Oui... Je les ai vus. J'étais là, par erreur. J'ai été prise là-dedans... Et j'ai reçu du gaz, moi aussi.

C'est même moi qui ait porté ta soeur pour éviter qu'elle ne soit abattue par un sniper ou piétinée à mort par la foule.

-D'ailleurs, j'étais avec deux autres étudiantes. L'une s'est blessée, aussi. L'autre est toujours un peu en état de choc. On est passées toutes les trois aux news...

Hmm. Je m'arrête là, apparemment, elle n'avait pas très envie de continuer sur ce sujet. Elle n'était clairement pas à l'aise, enfin, encore moins que d'habitude, et elle cherchait à changer de sujet.

- Tu aimes le riz au curry ?

- Euh, ouais, carrément! J'adore.

Honnêtement, j'en ai pas mangé depuis très longtemps. La dernière fois, j'avais essayé le synthétique - le cours du curry naturel est à peu près celui du platine, et c'était pas dégueu.

- C'est vers où, chez toi...? T'as besoin qu'on fasse d'autres courses?

Honnêtement, j'espère que non. On en sort, et on est déjà pas mal chargées.