Au-dessus de tout ça...

En journée, le pensionnat était souvent très calme. Il y avait bien quelques élèves qui n'avaient pas cours de la journée, ou certains qui avaient quelques heures de permission, mais en règle général, c'était après les cours que celui-ci s'animait. Et puis, les beaux jours revenaient, et le soleil commençait à rester assez longtemps visible au travers du dôme pour éviter ce froid désagréable qui émane de la ventilation de la ville.

C'est pourquoi c'était l'endroit parfait pour être tranquille, en plein après-midi. Miles était venu, pour une fois, sans sa veste bordeaux, celle que beaucoup trouvent trop tape-à-l'oeil. Après tout, elle fait partie de son "uniforme de travail", et il n'est pas en train de donner un cours. Non, il est simplement venu fumer une cigarette, sur le toit du pensionnat. Peut-être par goût de la solitude, peut-être pour éviter d'être vu par les élèves; que ce soit pour éviter de ternir son image de professeur modèle et inébranlable, ou pour ne pas donner un mauvais exemple.

Toujours est-il qu'il arriva sur le toit alors que quelqu'un était déjà là. Bon… Au moins, c'était un membre du personnel. Pas un professeur; même pas une employée à plein temps. Bah, peu importait si elle le voyait, après tout. Elle n'avait pas grand liens avec les autres.

Il approcha de la barrière, à une bonne dizaine de mètres de la femme, qui n'était probablement pas venue là pour discuter, en portant la cigarette à ses lèvres, puis fouilla la poche de… Sa chemise. Et merde, sa veste était restée dans la salle des profs. Et dedans… Son briquet. Évidemment.

-Excusez-moi... Lexy, c'est ça? Je peux emprunter votre briquet?

C'était Sanders ou Flanders. Il se rappelait juste le prénom, alors pour ne pas faire d'erreur, il préféra l'utiliser directement. Ils ne s'étaient jamais parlé encore, bien qu'ils se soient déjà croisés dans les bâtiments; peut-être se souviendrait-elle de son nom, peut-être pas. Auquel cas, il se présenterait.

-Vous voulez un pourcentage de 10% sur les parts de l'entreprise de ma famille pour finaliser un accord ? J'imagine que vous avez déjà discuter avec mon père sinon vous ne viendriez pas me contacter, moi.

Je soupire. J'ai horreur de ce genre de personne. Ils ont eu une réponse négative de la part de mon père alors il essaye de se mettre la fille en poche.

-Qu'est-ce que j'y gagne dans l'histoire ?

Je le laisse déballer un speech qui n'a aucun intérêt. On me parle de fiançailles et de récupérer une part de l'autre entreprise également. L'homme parle même de « gagnant-gagnant ». Je laisse un léger rire mesquin m'échapper. C'est un ramassis de bêtises.

-Vous savez, si c'est mon père qui traite les affaires de l'entreprise en majeure partie, c'est parce qu'il est plus laxiste que moi concernant les négociations. Vous n'acceptez pas le partenariat initial ? Alors faites une croix dessus, désormais.

Je prends une légère pause, reprenant aussi calmement que précédemment, une petite touche d'hypocrisie en plus.

-Passez une agréable journée.

Je raccroche, sans attendre la moindre réponse. Je ne comprends pas pourquoi mon père a essayé de travailler avec de tels crétins. Je ne le sentais pas depuis le début cette histoire, cet homme avait tellement l'air fourbe. Ma cigarette en bouche, je range mon nanocom dans la poche de ma blouse alors que la fumée s'échappe lentement d'entre mes lèvres. Ne serais-je pas contrariée pour venir fumer le toit de l'établissement ? Maybe.

-Excusez-moi... Lexy, c'est ça? Je peux emprunter votre briquet?

Je me retourne, découvrant cet homme qui occupe...le poste de professeur d'anglais il me semble. Lexy ? Ça faisait longtemps qu'on ne m'avait pas appelé ainsi. Parfois j'ai l'impression de ne plus avoir de prénom avec le nom de famille que je porte. Je souris gentiment au professionnel avant de lui tendre mon briquet fraîchement sorti de ma blouse.

-Pas de soucis, tenez.

Je me retourne, appuyant mes coudes sur la barrière censée protéger les lieux d'un futur suicide peut-être ? Mon regard se perd sur les quelques élèves peuplant l'extérieur des bâtiments. Leur minuscule existence ne fait aucun doute vu d'ici.

-N'est-ce pas interdit de venir fumer ici ?

Je n'étais là que depuis moins d'un an mais le règlement, je le connaissais bien. Fumer se fait en dehors de l'établissement et hors, le toit, en faisait partie. Je commence à faire ma rebelle ? Je rigole amusée de cette réflexion.

Difficile de dire à partir de quand Miles avait pu entendre la conversation de Lexy. En tout cas, il avait attendu la fin pour lui adresser la parole, en bon gentleman. Quand elle s'est retournée vers lui, elle avait l'air passablement énervée, en tout cas. Peut-être que l'appeler par son prénom était un peu trop intime… Mais, non, elle finit par lui sourire. On dirait que son père et son entreprise jouent un grand rôle dans sa vie… Flanders… Sanders… Sanders? Comme dans, Sanders Company?

-Pas de soucis, tenez.

Elle se retourna vers la cour, alors que Miles alluma sa cigarette, puis s'approcha pour lui rendre le briquet. D'ici, la vue d'ensemble du NEST montrait le côté restreint de l'institut, et il y avait quelque chose de très vain dans ce petit édifice qui se débattait dans le sixième district de la Banlieue, seul bastion face à la politique d'autruche du gouvernement et le parti pris beaucoup plus agressif de la FATE. Sans compter, bien sûr, les nombreuses agressions et meurtres de Turnes, là-dehors...

-N'est-ce pas interdit de venir fumer ici ?

Elle avait tout à fait raison, et à la fois, était elle aussi en train de fumer. Miles eut un sourire spontané, chose que très peu d'élèves avaient déjà pu voir. C'était apparemment le genre d'humour qui faisait mouche avec lui. L'absurde et le flegme anglais… Il se reprend bien vite.

-Je n'ai pas grand doute sur le fait que c'est le moindre des délits qui ait déjà été commis sur ce toit... Après tout, nous sommes juste au-dessus des chambres des étudiants.

Si elle faisait bien partie… Non, si elle était bien la fille du PDG du groupe Sanders, qu'est-ce qu'elle pouvait bien être venue faire ici, au NEST…? Enfin, chacun avait ses propres raisons, probablement. Ce n'était pas vraiment un endroit dans lequel on arrivait par hasard. Ceci dit, c'était rare de voir quelqu'un avoir ses entrées à la FATE et au NEST à la fois. Intéressant.

-Et puis, apparemment, vous aviez des raisons plutôt solides d'avoir besoin de nicotine.

Il ne voulait pas faire semblant de ne pas avoir entendu la conversation ou de le cacher. Si elle voulait en parler, elle continuerait, sinon, elle changerait de sujet. Quoi qu'il en soit, maintenant qu'ils étaient là, la conversation était au moins partie pour… Le temps d'une cigarette.

En bas, les élèves continuaient à aller et venir. Enfermés entre les grilles de l'institut… Comme dans un petit ghetto scolaire miniature. Tandis qu'eux deux étaient au-dessus de tout ça...

-Je n'ai pas grand doute sur le fait que c'est le moindre des délits qui ait déjà été commis sur ce toit... Après tout, nous sommes juste au-dessus des chambres des étudiants.

Il marquait un point, des images purement inventées commençaient à polluer mon cerveau. C'est certain, il y a sûrement beaucoup de choses qui se sont passées ici. Je dois dire que le lieu est plutôt agréable et la vue qu'il offre n'est pas totalement déplaisante non plus.

-Et puis, apparemment, vous aviez des raisons plutôt solides d'avoir besoin de nicotine.

Il a donc entendu un peu de ma conversation téléphonique ? On ne peut être tranquille nul part, c'est dingue. Moi qui pensais qu'en venant ici, je serais à l'abri des oreilles indiscrètes ou même des regards curieux, j'avais tort. Un petit sourire amusée s'empare de mes lèvres.

-Les responsabilité d'être une Sanders.

Tirant longuement sur ma dose de nicotine, mon regard restant plongé sur l'animation d'en bas, je repris tout aussi calmement, rangeant mon briquet dans ma poche.

-Et vous, quelle est votre excuse ?

Je daigne enfin détacher mon regard de tous ces gamins traînant hors des bâtiments, plongeant mes saphirs dans les yeux du professeur. C'est d'ailleurs un drôle de métier d'enseigner. Il faut se croire assez intelligent pour faire une telle chose. On apprend quelque chose à des enfants mais au final, on a tellement de choses à apprendre nous même. Je trouve ce métier plutôt stupide mais malheureusement, on a besoin d'enseignants pour commencer à se cultiver, ou des parents totalement passionnés par leur métier.

Elle n'avait pas l'air trop en colère d'avoir été entendue pendant sa conversation, même si c'était bien malgré Miles; elle eut un petit sourire amusé. Quant aux raisons de sa mauvaise humeur due au coup de fil...

-Les responsabilité d'être une Sanders.

Alors, il avait raison. C'était bien l'héritière sur groupe Sanders. Et apparemment, ca n'était pas pour lui faire particulièrement plaisir. Mais Miles nota également qu'elle ne souhaitait apparemment pas partager à ce sujet, et n'insista pas plus avant.

-Et vous, quelle est votre excuse ?

Lexy posa ses yeux bleus dans ceux de Miles. Son regard était très lointain. Comme si elle l'étudiait. Il n'y avait bien sûr pas la moindre trace d'animosité ou de méchanceté, non… Juste, du jugement. Juste autant que le professeur en avait pour elle, d'ailleurs. Malgré son rang et les raisons qui ont pu la pousser à venir au NEST - pour ça, lui-même n'avait rien à dire, elle avait le port hautain des gens qui n'ont jamais appris qu'à apprendre. Des mécanismes parfaitement huilés, des horloges suisses qui n'ont pas le moindre défaut… Enfin, quand il s'agit de donner l'heure, et d'avoir l'air présentable. Son port altier, son langage soutenu, s'ils rappelaient l'étiquette et les bonnes manières, donnaient ici une impression de distance plutôt que de respect. Un peu comme le vouvoiement d'un maître à son majordome est différent du vouvoiement d'un homme à une inconnue. Il y avait d'ailleurs une pièce de Shakespeare qui illustrait très bien cela; en une seule tirade, une femme éprise d'un valet le vouvoyait, témoignant de son amour pour lui, puis le tutoyait, marque d'intimité et de proximité, avant de le vouvoyer à nouveau, pour réinstaurer une distance entre eux.

-Mon excuse… Je dirais que ces petits monstres ne sont pas toujours faciles.
Notamment ceux dont la mutation les rends particulièrement dangereux, et devraient être éliminés.
Il tira sur sa cigarette, et à son tour, regardait de ses yeux gris, particulièrement perçants, ceux de l'infirmière. On croirait ceux d'un faucon. Ils n'appartenaient pas à un rat de bibliothèque.

-Enfin, j'imagine que nous avons chacun nos raisons de tracer notre chemin en passant par le NEST.

Il essaye de rentrer dans ma tête ? Non, il m'étudie, comme le ferait tout bon professeur avant de donner cours aux élèves. Que voit-il dans mes yeux ? Sûrement beaucoup de chose, ou rien, les deux seraient correctes au final.

-Mon excuse… Je dirais que ces petits monstres ne sont pas toujours faciles.

Un sourire amusé s'empare de mes lèvres à l'entente du « petits monstres ». Oui, c'est ce qu'ils sont, ils représentent la future destruction de l'humanité mais également un avenir possible. C'est plutôt étrange comme constat, n'est-ce pas ?

-Enfin, j'imagine que nous avons chacun nos raisons de tracer notre chemin en passant par le NEST.

Ses yeux ne sont pas ceux d'un simple professeur. Je n'arriverai pas à décrire exactement ce que je peux apercevoir, mais le terme le plus proche serait...chasseur ? Oui, il y a quelque chose de prédateur dans son regard., comme si rien ne pouvait le déstabiliser.

-Vos yeux ont une lueur intéressante.

Je lui fais un doux sourire avant d'écraser ma clope au sol. Replongeant mes yeux sur le petit peuple en bas de nous. J'ai en effet des raisons bien précises d'être ici mais je ne compte pas lui en parler, je ne le connais à peine. C'est sûrement la première fois qu'il m'adresse la parole. En même temps, je ne suis pas souvent dans la salle des professeurs, je préfère faire mes pauses à l'infirmerie, c'est plus simple pour bosser sur tous mes projets en cours.

-Vous enseignez l'anglais dans cet établissement pour une raison particulière ? Beaucoup d'établissements scolaires sont en manque de professeurs ces temps-ci.

Et pas seulement maintenant, ça a toujours été le cas. Alors pourquoi cet enseignant a voulu venir ici particulièrement ? Je dois dire que la raison m'intrigue.

Après son petit laïus sur les élèves, Miles constata que Lexy lui souriait doucement, en soutenant son regard.

-Vos yeux ont une lueur intéressante.

Puis, elle se retourna vers les élèves, en bas. Plus étonné que déstabilisé, Miles ne s'attendait pas à ce genre de réplique. Elle parlait probablement de sa façon de regarder qui lui donnait l'air de froncer les sourcils, et ajoutait à ce petit côté "prof autoritaire" qui faisait partie de sa panoplie. Ou bien, elle voyait autre chose. Dans tous les cas, ce n'est pas la direction qu'il fit prendre à la conversation.

-Excusez-moi, mais il me faudra un petit temps d'adaptation si vous êtes en train de me draguer. Cela fait fort longtemps que je n'ai pas été sur ce terrain.

Toujours avec ce flegme qui rendait difficile à discerner l'humour du sérieux. Cette fois, il osa tout de même un sourire qui orientait sur l'humour. Non que cela ne rende la phrase incorrecte, cependant.

-Vous enseignez l'anglais dans cet établissement pour une raison particulière ? Beaucoup d'établissements scolaires sont en manque de professeurs ces temps-ci.

Elle refuse d'attraper la perche tendue sur les raisons de sa présence au NEST, mais renchérit immédiatement en posant la même question. Il semblerait qu'elle soit plus à l'aise en recevant les informations qu'en les donnant. Pas spécialement étonnant pour une femme de… Sa famille. Mais, si elle voulait discuter de leurs vies privées, ce serait sur un pied d'égalité.

-Pour plusieurs raisons, pratiques pour certaines, personnelles pour d'autres. Mon logement est près d'ici, dans le A-4, je connais le proviseur du NEST et j'ai des amis parmi nos collègues... Et puis, pouvoir enseigner aux turnes est une occasion rare. Certains sont... Intéressants.

Un roi, sans divertissements, est un homme plein de misère. Une phrase qui sous-entend que l'on a beau tout posséder, richesses, amour, propriétés; si l'on est désoeuvré, alors il sera impossible d'être heureux. Il imaginait mal Lexy, par exemple, vivre une vie dénuée de découvertes scientifiques. Mais après tout, sa connaissance de la famille Sanders s'étendait à peine au-delà de ce qu'en disent les journaux… Elle est liée de près au FATE. Quelle est sa réelle position par rapport aux turnes…?
-Vous devez voir des mutations très hétérogènes, à l'infirmerie.

Je n'ai pas pris en compte sa petite remarque sur le fait que je le drague. C'était une blague j'imagine. Je ne suis plus du genre à essayer de me trouver une conquête amoureuse. Je crois même que cela m'a traversé l'esprit que l'histoire de quelques moi au lycée. Après, je me suis rendue compte que ce n'était que perte de temps, un temps précieux que je pouvais utiliser pour mes recherches. Et puis, je suis fiancée maintenant, quelle joie...

-Pour plusieurs raisons, pratiques pour certaines, personnelles pour d'autres. Mon logement est près d'ici, dans le A-4, je connais le proviseur du NEST et j'ai des amis parmi nos collègues... Et puis, pouvoir enseigner aux turnes est une occasion rare. Certains sont... Intéressants.

Il fait donc partie de la population riche de Central Point. Ou peut-être est-ce un logement de fonction proposé par le NEST ? Quoi que le NEST manque quand même de moyens alors payer un logement dans le quartier A-4, cela me paraît improbable, mais pas impossible. Rien ne l'est après tout. Le mot sur lequel je bloque reste « intéressants ». Oui, en effet, on pourrait croire que c'est moi qui parle. Étrange, n'est-ce pas ?

-Vous devez voir des mutations très hétérogènes, à l'infirmerie.

Pourquoi lance-t-il un sujet comme celui-ci ? Les autres collègues du NEST avec qui j'ai pu échangé évite de trop parler de mutation malgré l'établissement dans lequel nous nous trouvons. Ils veulent éviter d'être vu comme des racistes comme à l'époque où les noirs étaient mis de côté. A cette époque, utiliser le mot « nègre », « noir » ou d'autres synonymes était perçu comme du racisme. Je trouve cela assez ridicule puisque le mot décrit parfaitement la personne.Il n'y a aucune attaque là dedans. Bref, toute période de l'histoire a connu ses polémiques.

-En effet, je n'aurais pas cru qu'en occupant ce poste, je verrai autant d'élèves passer. A se demander si les surveillants font vraiment leur boulot. Rien que ce matin, j'ai eu une dizaine d'étudiants, dont la moitié qui se sont « blessés » dans l'établissement. La fougue de la jeunesse.

Je me mets à rire. Mon dieu, des fois j'ai l'impression d'avoir passé le demi siècle, surtout lorsque les jeunes m'appellent « madame Sanders ». Je préfère laissé ce titre à ma mère.

-Mais je dois dire que je ne m'ennuie pas, les histoires que peuvent me raconter certains élèves sont très « intéressantes ».

Je ressors une cigarette de mon paquet, l'allumant par la suite. Je tends mon paquet en direction de l'enseignant, lui disant calmement.

-Vous en voulez une autre peut-être ?

Elle semble étonnée que l'on puisse parler aussi librement des mutations des élèves. C'est vrai, c'est un tabou pour beaucoup de membres du personnel. Un mot de travers, et l'on est rapidement catalogué dans "un camp" ou dans "un autre". Ceci dit, elle répondit à la question sans se mouiller, elle non plus. Finalement, elle était peut-être comme les autres.

-En effet, je n'aurais pas cru qu'en occupant ce poste, je verrai autant d'élèves passer. A se demander si les surveillants font vraiment leur boulot. Rien que ce matin, j'ai eu une dizaine d'étudiants, dont la moitié qui se sont « blessés » dans l'établissement. La fougue de la jeunesse.

Elle rit. Miles imagina, avec l'intonation du mot "blessé", que beaucoup devaient être de simples simulateurs. Après tout, simuler une maladie pour sécher les cours était une technique qui avait des dizaines, centaines d'années...

-Mais je dois dire que je ne m'ennuie pas, les histoires que peuvent me raconter certains élèves sont très « intéressantes ».

Elle lui tendit son paquet de cigarette, lui en proposant une. Miles ne restait jamais longtemps sur le toit, d'habitude. Juste le temps d'une seule cigarette. Il ne fumait pas socialement par habitude, mais cette fois-ci, il avait une interlocutrice. Allez, pourquoi pas. Il la remercia de la tête, et l'alluma à son tour.

-Je n'ai pas la même assise sociale avec mes élèves, hélas. En tant que professeur, je suis au mieux, une figure d'autorité, au pire un vieil emmerdeur. J'envie un peu votre poste, ce n'est pas simple de gérer une relation qui demande le respect pour pouvoir exercer.

Voilà qui expliquait sa question. Effectivement, un prof était… Un prof. Tandis qu'à une infirmière, on pouvait se confier, raconter ses problèmes. Peut-être moins qu'à une psy, mais… Plus qu'à un prof.

-J'ai parfois l'impression qu'il me manque des informations pour bien faire mon boulot.

Le brun accepta une cigarette, je lui tendis mon briquet pour qu’il l’allume puis rangea mon paquet et mon feu dans mes poches.

-Je n'ai pas la même assise sociale avec mes élèves, hélas. En tant que professeur, je suis au mieux, une figure d'autorité, au pire un vieil emmerdeur. J'envie un peu votre poste, ce n'est pas simple de gérer une relation qui demande le respect pour pouvoir exercer.

C’est vrai que de ce côté-là, je suis plutôt avantagée pour récolter des informations sur les élèves. J’aurai pu postuler en tant que professeur mais j’ai préféré me rabattre sur le poste d’infirmière. Les horaires sont plus flexibles et l’aspect qu’il soulève est aussi une raison pour ce choix. Malgré les années qui s’écoulent la mentalité de la majorité des étudiants n’évolue pas. Un professeur restera toujours un obstacle pour eux alors que les pauvres enseignants veulent seulement les aider. Quelle tristesse. Après, il y a différente manière de gagner le respect, être stricte avec ses élèves est la solution de facilité pour le gagner.

-J'ai parfois l'impression qu'il me manque des informations pour bien faire mon boulot.

Je recrache lentement la fumée de mes poumons, avant de dire tout aussi calmement que d’habitude.

-S’il y a bien quelque chose que mon nom de famille m’a apporté, c’est de savoir s’adapter selon à qui on s’adresse.

Je tire une nouvelle fois sur ma cigarette, marquant une légère pause avant de reprendre.

-Vous devriez essayer. Je sais que c’est compliqué puisque vous n’avez pas seulement une personne à gérer mais tout un groupe d’élèves, mais n’oubliez pas que chacun est unique. Essayez d’organiser des sortes de cours en groupe restreint de 4-5 étudiants et voyez ce que vous pouvez en tirer.

De quel droit je me permets de lui donner des conseils ? Les Sanders ont beaucoup de mal à ne pas donner leur avis.

-Après, je ne connais pas votre emploi du temps, caler un tel projet ne doit pas être simple.

Je lui aurai bien jeter une attaque sur le respect mais il fait tellement beau, je n’ai pas envie de me prendre la tête avec un collègue, cela serait une perte de temps.

Quand elle recrache sa fumée, elle fait penser à ces cadres dans les grandes entreprises, toujours distants, voire dédaigneux. Le genre à ne jamais avoir connu que des gens qui reçoivent les conseils ou les ordres sans rien dire. Peut-être que le passif de Miles aidait un peu, mais il avait l'impression qu'ils avaient en commun cette façon de porter un masque lorsqu'ils étaient dans l'enceinte de l'établissement.

-S’il y a bien quelque chose que mon nom de famille m’a apporté, c’est de savoir s’adapter selon à qui on s’adresse. Vous devriez essayer. Je sais que c’est compliqué puisque vous n’avez pas seulement une personne à gérer mais tout un groupe d’élèves, mais n’oubliez pas que chacun est unique. Essayez d’organiser des sortes de cours en groupe restreint de 4-5 étudiants et voyez ce que vous pouvez en tirer. Après, je ne connais pas votre emploi du temps, caler un tel projet ne doit pas être simple.

-Bien vu, vous en êtes arrivée à la même conclusion que moi. Mes élèves travaillent par groupe de 3 en ce moment. Ils sont plus faciles à cerner quand on limite leurs interactions.

Voilà qu'il se mettait à en parler comme de petites créatures à atrapper après les avoir affaiblies. Depuis un moment, ils avaient adopté ce ton dans leur dialogue, reléguant aux élèves le rôle d'expériences, de cobayes. Sans leur donner d'individualité, sans citer de noms, d'exemples précis qui viendraient briser cette impression de modeler une foule compacte et conceptuelle. Miles se rendit alors compte que cette histoire de groupes de 3 l'avait amené à se pencher sur certains cas plus précis.

-Ceci dit, les plus intéressants sont toujours ceux qui refusent en bloc toute forme d'interaction. Il y a une élève en particulier qui a un fort potentiel, mais qui refuse de se laisser approcher. Miss Langley, je ne sais pas si vous la connaissez.

Miles avait également d'autres noms en tête, mais pas pour les mêmes raisons. Skye Reid, la fameuse "numéro un", avec un caractère aux antipodes de ses résultats, n'était pas facilement approchable, elle non plus. Et puis, Kelya Drambolt, tout aussi explosive, donnait également de très bons résultats… Même si dans son cas, l'intérêt de Miles était un peu différent.

-Bien vu, vous en êtes arrivée à la même conclusion que moi. Mes élèves travaillent par groupe de 3 en ce moment. Ils sont plus faciles à cerner quand on limite leurs interactions.

Beaucoup de mots dans cette réplique qui me font arriver à la conclusion que cet homme n’est pas un simple professeur. Un scientifique ? Non, je l’aurai croisé sinon. Qui est-il réellement ? Que fait-il ici ? De nombreuses questions que j’aimerai éclaircir. Il a l’air de considérer ses élèves comme des expériences, des cobayes, je pourrai en dire autant de ceux que je vois à l’infirmerie.

-Ceci dit, les plus intéressants sont toujours ceux qui refusent en bloc toute forme d'interaction. Il y a une élève en particulier qui a un fort potentiel, mais qui refuse de se laisser approcher. Miss Langley, je ne sais pas si vous la connaissez.

« Intéressants », encore ce mot qui me fait tilte et qui confirme un peu plus mes soupçons sur ce type. Il est de plus en plus intriguant et ce n’est pas pour me déplaire.

-Heidi Langley ? Bien entendu. Comment pourrais-je ne pas connaitre une étudiante qui a pris un abonnement pour l’infirmerie ?

Un sourire amusé reprend possession de mes lèvres. Cette petite blonde a le chic pour arriver parsemer tâches qui mêlent aussi bien le rouge, le bleu et le jaune sur une peinture abstraite dont la toile est fragile. Malgré toute la fierté dont elle peut faire preuve, son corps abrite une grande tristesse.

-C’est vrai qu’elle n’est pas facile à approcher mais aucune barrière n’est infranchissable.

Oui, j’ai réussi à l’approcher et j’attends encore l’analyse de ma mère sur le sang de cette enfant. Mes doutes se sont avérés encore plus prononcés lorsqu’elle a su que personne n’était derrière cette porte l’autre fois. Enfin bon nous verrons bien les résultats.

-Vous devriez peut-être parler musique avec elle…

Elle a l’âme d’une artiste torturée par son passé. Mon sourire redevient plus doux.

-En tout cas, j’apprécie de voir un enseignant aussi préoccupé par ses élèves.

J’ai hésité à employer le terme « petits monstres » mais bon, il faudrait mieux éviter, non ?

-Heidi Langley ? Bien entendu. Comment pourrais-je ne pas connaitre une étudiante qui a pris un abonnement pour l’infirmerie ?

Miles haussa un sourcil. Il avait certes déjà vu Heidi avec des bleus parfois, et une fois ou elle avait plusieurs pansements, mais il n'avait pas l'air de se douter qu'il s'agissait d'une affliction chronique.

-C’est vrai qu’elle n’est pas facile à approcher mais aucune barrière n’est infranchissable. Vous devriez peut-être parler musique avec elle…

-Je vous remercie du conseil. J'ai de grands espoirs pour elle et, je me doute qu'il doit être compliqué pour une élève... comme elle de se retrouver dans un endroit pareil.

-En tout cas, j’apprécie de voir un enseignant aussi préoccupé par ses élèves.

-C'est juste que j'ai déjà enseigné auparavant dans des établissements plus... orthodoxes, dirons-nous. Et la cohabitation ici se fait souvent à un certain prix. Il suffit de voir que même nos meilleurs éléments profitent de leurs intercours pour se sauter au visage... Vous avez sûrement eu vent de "l'incident" Reid-Drambolt.

Préoccupé? Peut-être. En tout cas, c'était l'impression qu'il donnait. Il ne se contentait pas de considérer une classe comme un simple "tas d'élèves", il semblait au courant de beaucoup de détails. Peut-être pas assez, mais il prenait grande note des conseils de l'infirmière.

- Musique, vous dites... Ma fois, pourquoi pas. J'imagine qu'au point où on en est, elle ne pourrait pas plus me détester que si nos goûts musicaux ne concordaient pas...[Par chance, c'est un sujet qui ne m'est pas totalement inconnu.

Après, lui était plutôt versé dans la pratique, et il imaginait plutôt Heidi dans la... Théorie? L'étude? L'écoute? Oui, voilà. L'écoute. Peut-être pourrait-il essayer cette approche, mais l'amener de façon naturelle paraissait improbable au point où en était leur relation. Quoi que... Il semblait avoir une idée derrière la tête.

- En tout cas, je suis ravi de constater qu'il y a des gens qualifié dans cet établissement. J'ai hâte de continuer à travailler avec vous, même si nos domaines ne font que se croiser d'assez loin.

Il tira sur sa cigarette, et observa la cour intérieure. Un groupe d'élèves était en train de discuter et l'un d'eux, un turne, possédait une mutation physique. Des pointes le long de la colonne vertébrale. Chose assez rare, ceux-là étant souvent "empruntés" très tôt par la FATE. Il affina son regard; il semblait être capable d'une très bonne vue.

- Cette année promet d'être intéressante.

Est-ce qu'il avait remarqué une légère modification dans le langage corporelle de l'infirmière pour réutiliser ce mot une troisième fois, en insistant dessus? Rien ne le prouvait, mais il s'autorisa un sourire en se retournant vers elle à ce moment.

- Je compte sur vous pour m'aider à encadrer ces petits monstres.
Ce n'était pas le regard d'un professeur. Définitivement, non. Un chercheur...? Un... Chasseur?

-C'est juste que j'ai déjà enseigné auparavant dans des établissements plus... orthodoxes, dirons-nous. Et la cohabitation ici se fait souvent à un certain prix. Il suffit de voir que même nos meilleurs éléments profitent de leurs intercours pour se sauter au visage... Vous avez sûrement eu vent de "l'incident" Reid-Drambolt.

J’esquisse un petit rire. Qui n’a pas entendu parler de cette bagarre ? Tout le personnel n’arrêtait pas d’en parler dans la salle des professeurs. Il faut bien avouer que ces deux têtes sont loin de passer inaperçues. De véritables sauvages lorsqu’elles sont ensembles.

-Oui, c’est dommage de gâcher de l’énergie de cette façon. Elles sont pourtant très prometteuses. Je pensais les voir toutes les deux à l’infirmerie ce jour-là mais apparemment, pas de blessures graves, heureusement.

Quel dommage. J’ai pu discuter un peu avec mademoiselle Reid que je trouve fascinante et j’en attends beaucoup d’elle. J’espère qu’elle viendra rapidement à l’adresse que je lui ai donnée, nous avons énormément d’expériences à mettre au point. J’aimerai pouvoir décortiquer un peu ce cerveau impressionnant mais je vais devoir me retenir. Il ne faudrait pas abîmer un tel potentiel. Quant à l’autre, ma mère m’en a déjà parlé. C-01456 de son vrai nom, un des rares cobayes à avoir échappé à la FATE. Ou peut-être était-ce voulu ? Je souris intérieurement.

- Musique, vous dites... Ma fois, pourquoi pas. J'imagine qu'au point où on en est, elle ne pourrait pas plus me détester que si nos goûts musicaux ne concordaient pas...[Par chance, c'est un sujet qui ne m'est pas totalement inconnu.

Un musicien ? Cet homme est encore plus intrigant que je ne l’avais imaginé. Non Lexy, ne commence pas à parler de cet art qui te fascine tellement.  

- En tout cas, je suis ravi de constater qu'il y a des gens qualifié dans cet établissement. J'ai hâte de continuer à travailler avec vous, même si nos domaines ne font que se croiser d'assez loin.

Bien entendu que je suis qualifiée, voyons. Je suis même bien trop qualifiée pour occuper le poste d’infirmière, mais bon, c’est tellement plus facile d’étudier les turnes lorsqu’ils viennent directement à moi. Le regard de l’enseignant replonge sur le bas peuple. Tiens donc, qu’avons-nous là ? Un turne possédant un gène permettant la déformation de certains os présents dans le rachis thoracique, c’est clairement une mutation physique. Comme on peut retrouver chez les animaux qui ont été victimes des retombées nucléaires, il ne semble pas capable de la faire disparaitre. Pourquoi un tel spécimen se retrouve ici au lieu d’être étudié par la FATE ?

- Cette année promet d'être intéressante.

-Oh oui, je veux bien vous croire.

Ces mots étaient sortis tout naturellement à la vue de ce turne. Si la FATE apprend qu’il y a un tel cobaye potentiel ici même, elle voudra forcément mettre la main dessus. Oh, mais je suis de la FATE, n’est-ce pas ? Je me réjouie à l’idée de pouvoir analyser ce nouveau corps.

- Je compte sur vous pour m'aider à encadrer ces petits monstres.

Encore cette expression ? Elle est tellement juste, cela leur va à ravir. Je ne peux empêcher un sourire d’apparaitre sur mes lèvres.

-Bien entendu…

J’ai la certitude que ce professeur cache quelque chose mais ce quelque chose semble être en accord avec moi. Il suffit de regarder son regard. Je tire longuement sur ma cigarette qui commençait à se consumer bien trop rapidement à mon goût. J’ai besoin d’en savoir davantage sur lui.

-Vous ne trouvez pas cela étrange qu’une personne de la FATE travaille au NEST ?

Il doit sûrement être au courant que je travaille à la fondation en plus de mon boulot ici. Les Sanders ne sont pas du genre à passer inaperçus. Et puis, je ne cache absolument pas le fait que j’y travaille, sinon, cela éveillerait les soupçons sur mon investissement au NEST. Essayer de dissimuler trop de chose peut nous mettre facilement dans une situation de coupable. Il faut juste savoir les maquiller correctement pour faire gober à tous ces ignares, un personnage que l’on n’est pas.

-Oui, c’est dommage de gâcher de l’énergie de cette façon. Elles sont pourtant très prometteuses. Je pensais les voir toutes les deux à l’infirmerie ce jour-là mais apparemment, pas de blessures graves, heureusement.

-Elles sont peut-être capables de plus de retenue qu'on veut bien leur en laisser le crédit.

Miles gardait un oeil sur l'une comme sur l'autre, pour des raisons différentes. En tout cas, l'une constituait un cas bien plus préoccupant à court terme que l'autre. Et c'était son métier de s'en occuper… Mais pour le moment, il ne voyait pas comment faire. Peut-être qu'en travaillant main dans la main avec une membre de la F.A.T.E…?

- Cette année promet d'être intéressante.

-Oh oui, je veux bien vous croire.

- Je compte sur vous pour m'aider à encadrer ces petits monstres.

-Bien entendu…

Elle sourit, encore, puis étrangement, c'est à elle, cette fois, de recentrer la conversation sur elle-même. On y arrive, Miles.

-Vous ne trouvez pas cela étrange qu’une personne de la FATE travaille au NEST ?

Bien sûr, Miles avait déjà fait le rapprochement. Sanders était un nom connu, et à entendre le bout de sa conversation téléphonique, il était clair qu'elle avait un autre emploi. Sans parler de l'importance hiérarchique de celui-ci. Ce qui était moins clair, c'était, effectivement, les raisons de sa présence ici. Mais cette question qu'elle avait posé elle-même, ce n'était pas une simple conversation… Elle avait lancé un appât. Le regard du professeur d'anglais se durcit, un bref instant, une fraction de seconde. Mais il replaça ses lunettes, cachant ses yeux derrière un reflet du dôme.

- Rien n'interdit à un membre du gouvernement de travailler ici.

Il fuma encore, se plaçant face à Lexy. Elle lui demandait de deviner. Ou plutôt, elle espérait qu'il devine. Qu'il soit "au niveau" pour découvrir sa raison. Eh bien, si beaucoup de professeurs étaient trop bien-pensants pour imaginer l'évidence-même, le cynisme et le flegme de Miles lui permettaient de passer au-dessus de ces considérations, qui étaient un luxe.

- Et au contraire, je vois bien des intérêts pour quelqu'un de la F.A.T.E. d'avoir une place ici, dans le… NID sécurisant des turnes.

Nouvelle inspiration de fumée, et il reprend cet air serein et droit de professeur.

- C'est tout à votre honneur de souhaiter aider ces chers petits monstres en faisant évoluer la recherche scientifique.

- Rien n'interdit à un membre du gouvernement de travailler ici.

Le gouvernement, hein ? Le géniteur de la FATE, celui qui nous couvre lorsqu’un événement malencontreux peut survenir dans nos rangs. C’est également lui qui finance la majeure partie de la fondation et qui nous a donné la mission de résoudre ce problème d’aberration génétique qui pourrait tous nous anéantir. Je ne peux pas prendre cette phrase pour moi, après tout, les membres de la FATE se considèrent comme des entités externes au gouvernement, pour la majorité. Alors, voilà ce qu’il cacherait ? Son appartenance à l’autre camps ? Le gouvernement est immense, il abrite des pourritures comme des bienfaiteurs. Quelle est la position de ce cher professeur d’anglais sur l’échiquier ? La fumée remplit lentement mes poumons.

- Et au contraire, je vois bien des intérêts pour quelqu'un de la F.A.T.E. d'avoir une place ici, dans le… NID sécurisant des turnes.

Il emploie maintenant le mot FATE ? Mon hypothèse se confirme encore un peu. Et puis ses mots ne sont pas ceux d’un simple professeur, je me répète mais c’est un fait. Un nid sécurisant ? Si on veut oui, ils embauchent les gens bien trop facilement ici. L’entretien psychologique est tellement manipulable que je n’ai pas eu le moindre mal à pénétrer dans le « nid » douillet des « petits monstres ». Je recrache la fumée en faisant des ronds parfaitement symétriques. Tiens, cela faisait longtemps que je ne m’étais pas amusée avec la fumée.

- C'est tout à votre honneur de souhaiter aider ces chers petits monstres en faisant évoluer la recherche scientifique.

Je laisse tomber ma cigarette sur le sol, l’écrasant de mon pied pour éteindre la braise encore fumante. Arrêtons de tourner autour du pot. Un sourire mesquin se dessine sur mes lèvres.

-Qui êtes-vous ? Et ne me bassinez pas avec votre couverture de professeur d’anglais, je n’y crois pas.

Mon regard transperçait le sien qu’il essayait de dissimuler derrière les verres de ses lunettes. Mon ton était étonnement calme.

-Et surtout, que cherchez-vous ici ?

Il me faut du concret sur cet homme. Va-t-il décider d’éviter mes questions ou répondre avec sincérité ? Peut-être un mélange des deux ? Quoi qu’il fasse, je saurais qui il est, bien assez vite. Les Sanders ont les yeux partout, on ne manque pas de contacts ou de caméras de surveillance…

-Qui êtes-vous ? Et ne me bassinez pas avec votre couverture de professeur d’anglais, je n’y crois pas. Et surtout, que cherchez-vous ici ?

Bien sûr. Miles était sans doute allé trop loin avec elle. Après tout, les scientifiques affiliés au gouvernement avaient une forte tendance à la paranoïa… Et c'était tout à fait compréhensible, au vu des rumeurs qui couraient sur eux et leurs actions, dans les milieux comme celui du NEST.

Quant à savoir si Lexy pourrait être une aide ou non, il avait un début de réponse. Son manque de discrétion, notamment. Elle semblait avoir la tête en ébullition à imaginer les possibles tenants et aboutissants de leur conversation, mais pour lui, elle n'était utile que si elle ne posait pas trop de questions… Seulement voilà. Les membres du FATE aiment "savoir". C'est peut-être leur plus gros défauts, surtout pour ceux qui obéissent aveuglément aux ordres venus d'en haut. Parfois, ne rien savoir est un meilleur choix.

Mais, ici, ce n'est pas un choix que Miles offrait à Lexy. Elle ne saurait pas. Ceci dit, elle semblait détester cette position où c'était à elle de poser les questions. Il éteint sa cigarette contre la rembarde au bord du toit, silencieusement, une main dans la poche. Par réflexe, il avait cherché son briquet, mais... Non, il ne l'avait toujours pas.

-Toutes mes excuses, vous avez parfaitement raison. Vous êtes connue, mais je ne me suis pas présenté... Miles Edgeworth. Je suis bel et bien professeur d'anglais, tout comme vous êtes infirmière. Quant à ce que je cherche, je vous l'ai dit... Ces petits monstres ne sont pas toujours faciles.

Il se retourna vers elle. Le but n'était pas de s'en faire une ennemie, au contraire.

-Certains méritent parfois une punition.

Cette fois, il y avait eu un froid pesant sur le dernier mot. Il n'était plus question d'humour un peu noir ou de cynisme léger.

-Mais, je ne veux pas vous déranger avec mes considérations. Je vous ai peut-être prise pour quelqu'un d'autre...

Il fit mine de se retourner vers la porte du toit.

Il prend un certain temps à répondre à mes questions. A quoi pensez-vous monsieur l’enseignant ? Mes questions sont un peu trop directes pour vous ? Il pense beaucoup trop, il ne me donnera pas de concret, j’en ai la certitude. Pourquoi est-ce si difficile de donner une réponse claire, nette et précise ? Je sens que je vais perdre du temps, encore. Le temps est quelque chose de précieux, s’est-il qu’il nous ne reste pas très longtemps à vivre si cette aberration n’est pas éradiquée ? Bien entendu, cela se compte encore en années mais les naissances turnes se multiplient et les statistiques ne vont pas en notre faveur, à nous, les humains.

-Toutes mes excuses, vous avez parfaitement raison. Vous êtes connue, mais je ne me suis pas présenté... Miles Edgeworth. Je suis bel et bien professeur d'anglais, tout comme vous êtes infirmière. Quant à ce que je cherche, je vous l'ai dit... Ces petits monstres ne sont pas toujours faciles.

Il me confirme sa couverture avec un nombre de mots beaucoup trop grand. Quel gâchis de salive. Le reste, c’est encore une tournure de phrase pour camoufler ses intentions. Il ne me dira rien de plus ? Soit.

-Certains méritent parfois une punition.

Nous arrivons enfin à quelque chose d’intéressant. Une punition dites-vous ? C’est encore un mot beaucoup trop large. Mon dieu, les gens aiment perdre du temps, c’est épuisant. Punition, châtiment, peine, sanction… Pour un professeur, je vois le sens que peut prendre ce mot. Pour ce qu’il est réellement, cela reste encore flou.

-Mais, je ne veux pas vous déranger avec mes considérations. Je vous ai peut-être prise pour quelqu'un d'autre...

Il se dirige vers la sortie. Dois-je l’arrêter ? A quoi bon, il ne me dira rien de plus que du blablabla supplémentaire. J’enquêterai de mon côté. Miles Edgeworth, hein ? Mon père va pouvoir faire appel à ses connaissances dans le gouvernement, il arrivera bien à dénicher quelque chose avec cette information. Mon nanocom se met à vibrer dans la poche de ma blouse. Non, ne me dites pas que c’est Taylor qui va encore venir me parler de mon fiancé ! J’attrape l’appareil, regardant le numéro qui s’affiche, la FATE.

-Sanders, j’écoute ?

« L’analyse de sang que vous m’avez envoyé correspond bien à celui d’un turne ». Je ne peux cacher ma joie face à cette nouvelle, un sourire des plus sadique s’empare de mes lèvres. Quelle petite cachotière cette Heidi Langley. Comment a-t-elle fait pour se faire passer pour une citoyenne lambda ?

-Très bien, merci.

Je raccroche, pianotant sur le clavier tactile de l’appareil pour envoyer un message à mon père. « Miles Edgeworth, essaye de trouver quelqu’un qui pourrait me fournir le maximum d’information à son sujet. Fouille vers le gouvernement. Merci d’avance. ». Je range mon nanocom, passant devant le « professeur » pour rejoindre la sortie.

-Les apparences sont parfois trompeuses.

Je dis ces quelques mots, tout bas, prononçant les suivants un peu plus fort.

-Au plaisir de vous revoir, Miles.

Je n’emploie que très rarement le prénom de mes collègues mais après tout, il en a fait de même au début de notre conversation. Je finis par quitter le toit. Cet homme est vraiment intriguant, je ne peux pas le cacher mais des affaires plus urgentes m’attendent, je compte sur mon père pour me trouver ce que je désire.

-Sanders, j’écoute ?

Elle laisse Miles partir. Tant mieux. Après tout, ce n'était ni le lieu ni le moment pour cette conversation, peut-être l'a-t-elle compris sur le tard. Elle répond à son nanophone, et à la réponse qu'elle reçoit, le rapide sourire sadique qui s'affiche sur son visage n'est pas non plus celui de la "gentille infirmière du NEST"... Ils seront amenés à se revoir, Miles en est presque sûr.

-Très bien, merci.

Après avoir raccroché, puis pianoté un message écrit, elle passa devant le professeur, qui lui ouvrit la porte. Un geste sans la moindre arrière-pensée. Il avait toujours trouvé fatiguant de devoir se justifier d'un geste de "galanterie", un mouvement qui est sensé rabaisser l'homme en serviteur de la femme, pourtant décrié par beaucoup comme condescendant. Peu importe, sa ligne de conduite était plus solide que le venin de l'opinion publique.

-Les apparences sont parfois trompeuses.

Les deux employés l'avaient compris. Et c'est sûrement dans un autre cadre, une prochaine fois, que plus de lumière sera apportée sur ces fameuses apparences. D'ici là… Les masques ne tomberont pas. Après tout, cela ne regarde pas le professeur… Il ne souhaitait que se rapprocher d'une collègue et, pourquoi pas, d'obtenir ses faveurs.

-Au plaisir de vous revoir, Miles.

-Tout le plaisir sera pour moi, Lexy.

Il répondit avec le même ton doucereux. D'ailleurs, la porte étant ouverte, ces deux simples dernières phrases, prononcées avec la fausseté mielleuse d'une plante carnivore prête à se refermer, provoquèrent les gloussements de deux élèves qui passaient dans la cage d'escalier. C'est vrai, ils étaient juste au-dessus du dortoir des filles… Elles s'empressèrent d'aller papoter avec leurs amies. Miles attendit un moment, et descendit à son tour.