Une heure de liberté

Je commence à en avoir ras le cul de ces abrutis. Toujours à me regarder de loin et à se moquer, comme des primates qui rigoleraient de l'apparence d'un cosmonaute. Ils n'essayent même pas... Et même s'ils essayaient, quoi? Ils pourraient peut-être vaguement comprendre le domaine général duquel je suis en train de parler quand j'explique la différence de masse des particules par la brisure de l'interaction unifiée électrofaible en deux interactions différentes.

Allez, c'est décidé, je sèche. De toutes façons, le prof de physique est un crétin. L'autre fois il a fait au moins deux fautes pendant une seule heure de cours. Je suis pas là pour endurer ses efforts douloureux de s'élever au niveau d'un simple manuel scolaire.

Bon, le souci, c'est que j'en suis à deux absences injustifiées. Ça me saoule. J'ai pas vraiment envie de me taper un aller-retour chez le dirlo et de rester bloquée chez moi... Et chez elle.

Eh, mais attends... On est mardi. Elle devrait être là! La nouvelle infirmière, là... Qui est là à mi-temps. Parfait. Je vais aller me pointer là-bas. Il suffit que je prenne du Chromazépam en le coupant avec du Beffalgan, dont le principe actif devrait juste assez abaisser ma tension pour paraître malade. En rajoutant quelques doses de Glucanol, je peux faire chuter le taux de sucre dans mon sang d'assez pour provoquer une hypoglycémie. Je n'aurai qu'à ajuster les quantités en fonction de mon état...

Une fois le petit cocktail ingéré, je me rends à la porte de l'infirmerie, je frappe, et j'entre. Les symptômes sont parfaits, je n'aurais pas de soucis de ce côté. Tiens, elle est plutôt jolie.

-Bonjour, madame, j'me sens pas bien, j'ai la tête qui tourne...

-Merci mademoiselle, je me sens beaucoup mieux.

Il s'en va, je lui fais un joli sourire avant qu'il ne disparaisse entièrement de mon lieu de travail. Il n'avait absolument rien, il est venu seulement pour papoter avec moi. Une fièvre selon ses dires ? Non, juste des idées perverses germant dans sa tête lorsque ses yeux ont louché sur mon décolleté. C'est lamentable de louper des heures de cours pour une raison aussi vulgaire. Un sourire sadique s'empare de mes lèvres. La peau de cet étudiant, elle durcissait  lorsque ses yeux changeaient. C'est très intéressant. Est-ce que même un scalpel de peut pénétrer son épiderme lorsque son gène est activé ? Une seringue ? Il y a t-il des points moins renforcés qui seraient la faiblesse de cette mutation ? Je note précieusement le nom de ce Turne dans un dossier informatique hautement sécurisé et inviolable, je m'en suis assurée personnellement. Une fois le recensement terminé, je range mon nanocom dans la poche de ma blouse, faisant par le suite l'inventaire des médicaments, des bandages, des outils utilisés en ce jour. Je dois être certaine que rien ne manquera pour demain.

-Bonjour, madame, j'me sens pas bien, j'ai la tête qui tourne...

Je me retourne vers cette fameuse voix qui me coupe dans ma fiche de stock. D'habitude les élèves patientent dans la salle d'attente, qui est dédiée comme son nom l'indique à attendre. A croire les bonnes manières n'ont pas été enseignées à tout le monde.

-Bonjour mademoiselle Reid, n'hésitez pas à avancer, et vous allonger sur le lit. J'arrive dans une minute.

Skye Reid, élève prodige de la NEST, qui n'a pas entendu parlé d'elle ? Dans la salle des professeurs, grand nombre vante ses exploits, d'autres crachent sur cette attitude concédante qu'elle peut arborer. Des ignares qui ne supportent pas être remis à leur place par un gamine. Le complexe d'infériorité les a frappés de plein fouet.  Un gène qui lui permettrait une accélération cérébrale de chaque cellules peuplant son cerveau selon mes collègues d'ici. J'aimerai la voir à l’œuvre mais au vu de la couleur de ses yeux, sa mutation n'est pas en marche. Quel dommage. Je termine rapidement l'inventaire, venant près d'elle, le stéthoscope autour du coup ainsi que le tensiomètre pas loin de nous.

-Excusez-moi pour l'attente. Ça fait longtemps que vous ressentez ce vertige positionnel paroxystique bénin ou VPPB ?

J'aurai pu reprendre le terme « tête qui tourne » mais on va dire que c'est un petit teste dédié pour elle. Elle ne comprendra peut-être rien à mon charabia, à voir. Je commence à l’ausculter, posant le bout de métal froid en dessous de son haut afin de percevoir son rythme cardiaque. Il est plus rapide que la normal. Une baisse de tension ? Ou un début de crise d'hypoglycémie ? J'attrape délicatement son bras pour y passer le tensiomètre, gonflant le brassard pour étudier et découvrir qu'il y a effectivement une chute. Un cœur plus rapide alimente le cerveau et l'organisme des personnes atteintes de baisse de tension. Mais lorsqu'une personne est en hypoglycémie, des baisses d'énergies subtiles qui ressemblent à une chute de tension, accompagnées par de la nervosité, des tremblements, un appétit prononcé peut être observé. Hors, elle semble plutôt calme en ce moment, c'est plutôt étrange.

-Est-ce que vous mangez correctement ? Ressentez-vous le besoin de vous alimenter là, maintenant ?

Je me relève, lui apportant un verre d'eau plate ainsi que des biscuits et 2 carrés de sucre. Un prospectus de prévention sur le diabète accompagnait le plateau repas.

-Il est de ma responsabilité de vous faire un point sur le diabète, même si je suis de l'avis que vous en connaissez sûrement autant que moi sur le sujet.

Je lui fais un doux sourire, jetant par la suite un bref coup d’œil dans la salle d'attente qui était vide. Je vais pouvoir rester un petit moment avec cette petite brune, ce n'est pas pour me déplaire.

Il y a un autre élève qui était là avant moi. Il est sorti juste avant que j'arrive. Il n'avait pas l'air spécialement malade. Peut-être que je me suis donné beaucoup de mal pour rien, pour imiter ces symptômes... Apparemment, cette Miss Sanders n'a pas de scrupules à laisser les élèves bien portant sécher les cours. A moins qu'elle ne lui ait pas donné de dispense. Après tout, c'est tout ce pour quoi je suis ici... Sécher sans avoir à me faire virer.

Elle rangeit son nano dans sa poche quand je suis entrée, et elle me dévisage un instant.

-Bonjour mademoiselle Reid, n'hésitez pas à avancer, et vous allonger sur le lit. J'arrive dans une minute.

Elle termine ce qu'elle faisait, puis s'approche de moi.

-Excusez-moi pour l'attente. Ça fait longtemps que vous ressentez ce vertige positionnel paroxystique bénin ou VPPB ?

Eh ben, on dirait que les présentations sont déjà faites. Personne au monde ne s'exprimerait comme ça, à part pour tester son interlocuteur. Mais après tout, c'est vrai qu'elle vient de la FATE, ou "Foundation Against Turned Epidemic", hein? En plus, c'est le genre de nom ronflant qu'on trouve dans le vidal. Vertige positionnel? Un vertige pourrait difficilement être autre chose que positionnel, dans ce cas précis. Paroxystique? C'est juste pour signifier qu'il n'est ressenti que pendant certains pics, au paroxysme de la maladie. Et bénin... Est-ce que j'ai vraiment besoin d'en parler?

Tout en parlant, elle pose le stéthoscope sur ma poitrine. J'ai un léger frisson. C'est froid, ce truc. Je peux évidemment pas m'empêcher de penser à la dernière personne qui a passé ses mains dans le coin... Mon rythme cardiaque s'accélère un peu, sous son stéthoscope. Parfait. Ce symptôme-ci n'est pas facile à simuler.

-Est-ce que vous mangez correctement ? Ressentez-vous le besoin de vous alimenter là, maintenant ? Il est de ma responsabilité de vous faire un point sur le diabète, même si je suis de l'avis que vous en connaissez sûrement autant que moi sur le sujet.

En me souriant, elle m'apporte un repas frugal et une brochure à la con sur le diabète. Le genre d'infos incomplètes et anxiogènes qui poussent à passer des examens... Mais, encore une fois, elle me connaît et ne s'en cache pas. Je ne pense pas que ce soit la peine de jouer aux idiotes avec elle. Et puis, il y a quelque chose dans son sourire de... Scientifique. Je ne sais pas comment décrire ça... Comme si elle avait étudié la meilleure façon de sourire selon une situation donnée.

N'empêche, sa façon de  me vouvoyer me met assez mal à l'aise. Ce n'est pas de la politesse, ici, plutôt de la distance sociale. Presque hiérarchique. Je prends un biscuit et boit un peu d'eau.

-Je pense que j'ai juste besoin de repos... Ça tient plus du vertige hypoglycémique que du malaise polyuro-polydipsique. J'imagine que vous connaissez mal mon gène, alors votre erreur est compréhensible; mon cerveau consomme une centaine de fois plus de sucre quand il est à 100% de ses capacités, et on a eu beaucoup de devoirs récemment, alors...

Ce n'était ni vrai, ni totalement faux, mais ça avait le mérite de poser les cartes sur la table. Elle devrait arrêter de me parler comme à une gamine lambda.

Elle se nourrit un peu des quelques gâteries qui je venais de lui apporter. Elle a l'air de m'analyser, j'en fais de même.

-Je pense que j'ai juste besoin de repos... Ça tient plus du vertige hypoglycémique que du malaise polyuro-polydipsique. J'imagine que vous connaissez mal mon gène, alors votre erreur est compréhensible; mon cerveau consomme une centaine de fois plus de sucre quand il est à 100% de ses capacités, et on a eu beaucoup de devoirs récemment, alors...

Le terme malaise polyuro-polydipsique désigne le diabète et à l'entente de ce mot, je ne peux que conclure qu'elle est doté d'une intelligence supérieure à celle des autres étudiants du NEST. C'est très intéressant, comme je m'y attendais. Le cerveau humain n'utilise que quelques pourcentages de ses capacités, son gène arriverait à ouvrir toutes les fonctions cognitives lorsqu'il est activé ? Fascinant. Le glucose est le principal substrat énergétique utilisé par le cerveau et une perte de conscience peut survenir s'il est en manque de cette molécule. Cependant, sa consommation énergétique n'est pas particulièrement variable en générale, mais les régions actives du cortex consomment plus d'énergie que les inactives. Si son cerveau utilise réellement les 100% de ses capacités, ce genre de phénomène doit se produire très souvent. Hors, je n'ai pas l'impression de l'avoir vu si souvent que cela, ici. Elle ne doit pas user de son gène tout le temps ou lorsqu'elle le fait, elle doit avoir un énorme temps de repos pour que son corps récupère entièrement.

-Je vous en prie, reposez vous.

Je lui fais signe de s'installer comme elle le souhaite sur le lit de la pièce. Je retourne vers mon bureau, sortant une tablette qui retrace les rendez-vous que j'ai eu aujourd'hui. Il y a seulement le nom des élèves, les prescriptions que je leur ai données, les potentiels bordereaux d'absences que j'ai pu leur faire et ceux qui sont venus sans réelles urgences. Ces derniers, seront les plus simples à manipuler et à étudier. Turnes ou humains, les deux peuvent m'être utile.

-Je ne connais pas réellement votre gène. Vous savez, je n'ai entendu que vos exploits de la bouche de mes collègues. Mais je suis du genre à croire ce que je vois.

Il faudrait peut être que j'organise les vaccins pour la prévention des maladies qui risquent d’apparaître pendant le changement de température sous le dôme. Tiens, pourquoi ne pas créer une sorte de climatiseur qui empêcherait de subir les différentes saisons ? Non, le corps arrive à développer des résistances lorsqu'il est contraint à subir des changements d'environnements. Et si on pouvait nous même opérer ce changement ? Je dois arrêter de m'éparpiller sur tous les fronts, j'ai déjà pas mal de projet en cours.

Je n'ai volontairement pas dit toute la vérité sur le fonctionnement de mon gène. Réflexe défensif, j'imagine. Mais, elle en sait certainement assez pour déduire quelques trucs, notamment le fait que ce genre de vertiges arrive fréquemment si je ne fais pas attention. Me voilà couverte; j'ai mon alibi.

-Je vous en prie, reposez vous.

Elle m'indique le lit, et je m’assois sur le côté, une jambe relevée contre moi, en terminant le biscuit. Mes yeux virent un court instant à l'argenté ; elle sort une tablette avec une liste de noms, j'ai le temps, du coup, de reconnaître certains élèves. Des notes pour les absences et parfois, des prescriptions. C'est vrai, il me manque encore un dernier truc. Mes yeux reprennent leur couleur dorée, lentement.

-Je devrais être en cours ces deux prochaines heures... Vous pourriez me faire une dispense...? Je peux rester vous aider ici si besoin.

Je ne sais pas trop pourquoi j'ai ajouté ça. L'idée de rester sans rien faire pendant deux heures m'a trigger, j'imagine. Enfin, j'ai bien des idées, mais pas tant qu'elle est dans la salle aussi. Ça manque de rideaux...

-Je ne connais pas réellement votre gène. Vous savez, je n'ai entendu que vos exploits de la bouche de mes collègues. Mais je suis du genre à croire ce que je vois.

-Bah... Ça ne changerait pas grand chose de le voir. Même quand les gens sont au courant, soit ils ne comprennent rien, soit ils se contentent de me ranger dans la catégorie "freaks". Ca fait longtemps que j'ai pas pu bosser sérieusement sur quelque chose... Et -sans vouloir vous offenser- je pense pas qu'une infirmière à mi-temps au NEST puisse y faire grand-chose.

Une petite attaque... Mais pas totalement gratuite. A sa façon de se tenir, de se comporter, elle n'a rien d'une infirmière scolaire. Quand on est venu ici par choix, on se comporte pas comme ça avec les élèves. Moins... de distance. Plutôt le genre de sur-attention maternelle étouffante... J'imagine qu'elle bosse ailleurs pendant le reste du temps. Peut-être qu'elle fait des études en biologie? Une thèse? Elle avait l'air à l'aise sur le sujet.

Mince, voilà que je commence à m'intéresser à elle. Pour la première fois depuis un bon moment, j'ai l'impression d'avoir débridé mon cerveau... Et mon langage. Je vois bien qu'elle me jauge. Eh ben, j'ai envie de faire péter ses curseurs.

-Enfin, je peux toujours te montrer, si ça vous intéresse...

Faire une dispense ? Oui, c'est dans mes cordes et son état mérite bien un repos d'au moins une heure. Je peux rajouter une heure supplémentaire sans soucis, je suis l'infirmière après tout. Je sors un bordereau de dispense de cours, ne tardant pas à le remplir au nom de l'étudiante.

-Bah... Ça ne changerait pas grand chose de le voir. Même quand les gens sont au courant, soit ils ne comprennent rien, soit ils se contentent de me ranger dans la catégorie "freaks". Ca fait longtemps que j'ai pas pu bosser sérieusement sur quelque chose... Et -sans vouloir vous offenser- je pense pas qu'une infirmière à mi-temps au NEST puisse y faire grand-chose.

J'ai envie de sourire à sa dernière phrase mais je me retiens, gardant mon air professionnel. Elle comprend très rapidement, tellement rapidement que ça en est fascinant. Elle arrive à faire les liens entre les choses à une vitesse monstre, je peux comprendre l'étiquette que certains lui collent sur le front. Ai-je vraiment besoin de dire quoi que ce soit ? Elle finira par arriver à une conclusion toute seule à ce rythme.

-Enfin, je peux toujours te montrer, si ça vous intéresse...

Bien sûr que tout ceci m’intéresse et à l'entendre, je l'intrigue également. Je finis par signer le papier, verrouillant ma tablette avant de me diriger vers l'étudiante.

-Voilà, cette dispense vous permettra de justifier votre absence.

Je dépose la feuille sur la commode près du lit avant de me diriger vers la fenêtre et d'y perdre mon regard. Mes mains dans les poches, mes yeux suivent les mouvements des étudiants présents dehors à cette heure-là.

-Si je suis ici, c'est pour voir de mes yeux le futur de notre société. Découvrir et aider les jeunes qui façonneront notre lendemain.

Tiens, ne serait-ce pas ce turne à la peau dure ?

-Je ne pense pas qu'une étudiante qui se préoccupe bien trop du regard des autres puisse bosser sérieusement sur quelque chose.

Je lui dis tout cela avec ma douceur habituelle et mon calme sans faille. Je ne supporte pas les attaques gratuites.

C'est dans la poche! Une heure de liberté... Et même deux! Elle reste imperturbable, mais il y a quand même une certaine fébrilité dans son langage corporel. Je ne dis rien, j'attends qu'elle signe... Et... C'est... bon!

-Voilà, cette dispense vous permettra de justifier votre absence.

Elle pose mon trophée sur la commode, puis elle va vers la fenêtre. Ouah, quelle poseuse. Après, elle est super jolie, hein. Mais le côté "regard perdu dans le vague à la fenêtre"... Elle est en train de regarder les élèves, dehors. Elle a l'air vraiment sérieuse.

-Si je suis ici, c'est pour voir de mes yeux le futur de notre société. Découvrir et aider les jeunes qui façonneront notre lendemain. Je ne pense pas qu'une étudiante qui se préoccupe bien trop du regard des autres puisse bosser sérieusement sur quelque chose.

Du regard des autres? Je comprends que c'était sensé être une réponse à mon attaque, mais je ne comprends pas où elle veut en venir... Après tout, de ceux que je connais, je suis celle qui se fout le plus qu'on la voie ou non en train d'utiliser son gène. Ou alors, elle parle de mes résultats. Mais là encore, je ne force pas vraiment pour être à la tête des classements... Bon, passons.

Mes yeux changent de couleur à nouveau.

-Moi, j'aimerais bien voir avec VOS yeux le futur de notre société. Parce que les jeunes qui façonneront le lendemain, faut encore qu'ils arrivent jusqu'au lendemain. Il y a tout à fait moyen d'arriver à quelque chose en travaillant sur la séquence ADN des turnes. Certains chercheurs se basent sur l'hypothèse que pour chaque mutation, l'ADN est différent d'individu en individu. Mais non, c'est le même chez chaque individu muté. J'en suis venue à cette conclusion en travaillant sur le souci des greffes oculaires des docteurs Suchong et Tenenbaum. Les mutations ne viennent pas directement des organes concernés, mais à chaque fois, du cerveau.

Lors de l'accouplement le problème n'apparaît pas, parce qu'il s'agit d'hérédité mendelienne, monogénique, ou encore monofactorielle. La Loi de Mendel stipulant qu'une mutation n'est pas forcément pathologique, et par polymorphisme, elle est transmise de manière héréditaire par la syngamie puis la caryogamie des génomes maternels et paternels au moment de la fécondation...

-Mais bon, je suis limitée au niveau du matériel et des expérimentations, donc pour le moment, je m'arrête aux théories; comme pour la greffe oculaire. Sur le papier, j'ai résolu le problème, mais je n'ai pas de chirurgien ni même de volontaires sous la main pour essayer tout ça... En plus, ça ferait tout un bordel au niveau des médias et... Bof.
Du coup, je me contenterai sûrement d'autres théories pour le moment. J'aimerais bien mettre au point un moteur electrique plus performant et moins gourmand en énergie... Et trouver un moyen d'utiliser les minerais de la planète pour produire du carburant. Je suis sûre qu'il y a aussi des plantes qui seraient utiles...

Evidemment, mon projet principal serait d'isoler la partie du cerveau responsable des mutations et de pouvoir l'isoler ou l'atrophier, pour faciliter la vie de milliers de turnes dont l'affliction les empêche de vivre normalement... Comme ceux à l'agressivité accrue, ceux qui émettent des ondes ou des sons sans le vouloir... Mais je ne lui fais pas encore assez confiance pour lui parler de ça. Une découverte pareille dans les mains de la FATE serait... Eh bien, la fin des Turnes.

-Moi, j'aimerais bien voir avec VOS yeux le futur de notre société. Parce que les jeunes qui façonneront le lendemain, faut encore qu'ils arrivent jusqu'au lendemain. Il y a tout à fait moyen d'arriver à quelque chose en travaillant sur la séquence ADN des turnes. Certains chercheurs se basent sur l'hypothèse que pour chaque mutation, l'ADN est différent d'individu en individu. Mais non, c'est le même chez chaque individu muté. J'en suis venue à cette conclusion en travaillant sur le souci des greffes oculaires des docteurs Suchong et Tenenbaum. Les mutations ne viennent pas directement des organes concernés, mais à chaque fois, du cerveau.

Elle ne peut voir mon visage d'où je suis mais un sourire mesquin se dessine sur mes lèvres. Alors voilà donc le fameux cerveau mutant en fonctionnement. Il y avait du vrai dans ses mots, c'est remarquable qu'une enfant de son âge arrive déjà à de telles conclusion. J'ai mis énormément de temps à faire un lien comme celui-ci sur le gène turne mais seulement, ce n'est pas totalement correcte. Les séquences d'ADN sont effectivement identiques pour chaque individu étant doté d'une aberration génétique. Il faut savoir que le gène ne se trouve pas dans toutes les cellules du corps mutant. J'aime bien faire le lien entre les cellules mutantes et les cancérigènes, car c'est exactement la même chose. Lors de la naissance d'un enfant turne, son ADN diffère de celui d'un humain. En effet, certaines cellules basiques se sont divisées en deux cellules censées être identiques à l'originale -un processus normal de régénération de l'organisme humain- mais une erreur est intervenue dans la copie de l'ADN. Le gène turne est l'erreur. Je suis d'accord lorsqu'elle me dit que le cerveau a une partie importante dans le processus d'activation du gène, c'est lui qui apporte cette couleur particulière aux yeux et c'est lui qui dirige les cellules portant le gène à l'emplacement qu'il peut améliorer selon sa caractéristique qui diffère pour chaque turne. Les mutations ne viennent donc pas directement des organes, cependant, les gènes mutants se regroupent dans ces derniers. Bien entendu, si le gène a une particularité mental, le cerveau reste l'organe concerné.

-Mais bon, je suis limitée au niveau du matériel et des expérimentations, donc pour le moment, je m'arrête aux théories; comme pour la greffe oculaire. Sur le papier, j'ai résolu le problème, mais je n'ai pas de chirurgien ni même de volontaires sous la main pour essayer tout ça... En plus, ça ferait tout un bordel au niveau des médias et... Bof.
Du coup, je me contenterai sûrement d'autres théories pour le moment. J'aimerais bien mettre au point un moteur electrique plus performant et moins gourmand en énergie... Et trouver un moyen d'utiliser les minerais de la planète pour produire du carburant. Je suis sûre qu'il y a aussi des plantes qui seraient utiles...

Je laisse échapper un petit rire. J'ai l'impression de m'entendre, plus jeune, quoi que les limites qu'elle rencontre, je ne les avais pas. Être riche à toujours eu ces avantages. Elle a cette envie de mettre à profit son gène, c'est admirable. Et elle pourrait m'aider dans mes recherches, c'est certain. Puis-je vraiment lui faire confiance ? Non, je ne fais confiance à personne mais elle serait un atout à exploiter. Je peux lui procurer tout ce qui lui manque pour tester ses théories. Le matériel, j'ai ce que l'on peut trouver de mieux. Le chirurgien, je suis la plus qualifiée dans ce domaine. Je détache mon regard de la fenêtre, le reportant sur la jeune femme, mon sourire était revenu doux.

-Voilà un aperçu satisfaisant de ton gène. C'est très impressionnant, je dois l'avouer. Vous ne devriez cependant pas l'utiliser dans votre état actuel.

J'attrape un dossier lambda qui était posé sur un placard, lui tapant gentiment sur la tête avec.

-Vous avez besoin de repos.

Je me rassois à mon bureau, déverrouillant ma tablette pour regarder les actualités du jour. Rien de très passionnant par rapport à la turne qui se trouve en ces lieux.

-Venez au 22 Anton Dusk, quand vous serez au maximum de vos capacités. Il vous reste tant de choses à apprendre.

Je m'installe un peu plus confortablement sur ma chaise, faisant défiler les pages de l'actualité en attente de la perle rare.

Elle rit un peu quand je me laisse aller dans mes rêves de matériel et d'expérimentation. C'est bizarre. Il y a quelque chose à la fois de condescendant et de déférent dans ce rire. Quand elle se retourne, elle a le regard doux et quelque chose de... Maternel? Qui est pas mal renforcé par le fait qu'elle me tutoie un court instant.

-Voilà un aperçu satisfaisant de ton gène. C'est très impressionnant, je dois l'avouer. Vous ne devriez cependant pas l'utiliser dans votre état actuel.

C'est étrange. C'est comme dire à quelqu'un qui marche "voilà un aperçu très satisfaisant de tes pieds..." Toujours comme une mère qui ferait une remontrance bienveillante à son enfant, elle me tapote la tête de son dossier.

-Vous avez besoin de repos.

Elle part se rassoir à son bureau, et tripote sa tablette. Je suis un peu perdue. Il y a quelque chose qui coince, mais j'ai du mal à mettre le doigt dessus. Je ne pense pas être la seule turne à avoir manqué de ce qu'on appelle "l'amour d'une mère", et j'ai l'impression que c'est ce qu'elle est en train d'essayer de m'apporter. Mais, voilà, c'est ça, le hic... "Essayer".

-Venez au 22 Anton Dusk, quand vous serez au maximum de vos capacités. Il vous reste tant de choses à apprendre.

Tant de choses à apprendre...? J'imagine. Je n'aime pas "apprendre". Comment dire... C'est trop simple. J'ai juste l'impression de me bourrer le cerveau. Ce que j'aime, c'est découvrir. Utiliser ce que j'ai appris. Sublimer une formule en l'améliorant. Le 22, Anton Dusk... C'est une adresse du district A-4, ça? C'est dans le département scientifique. C'est vrai qu'elle est ici à mi-temps, et que son nom... Sanders, semble indiquer qu'elle fait partie de ce groupe affilié à la FATE. Elle doit avoir de sacré moyens... Est-ce que ce serait une bêtise d'y aller? Si c'est pour se retrouver au milieu d'une foule de "pré-évolués" prête à me lapider...

D'un autre côté... Si elle pouvait vraiment m'apporter le matériel nécessaire à mes envies... Il m'est déjà arrivé de voler du matériel au NEST. Juste des petits trucs, rien qui éveille les soupçons. Mais c'est toujours un peu léger pour faire de la bio-ingénierie moléculaire... Putain, je rêve d'un vrai labo à moi où je pourrais faire ce que je veux.

Elle est en train de lire sa tablette. Sur son bureau, il y a plusieurs revues scientifiques, et j'ai deux articles devant les yeux, qui se contredisent. Pourtant, ils se complèteraient parfaitement, si... Oui, c'est simple. Lui devrait utiliser le retour de variable de celui-ci... Et celui-ci peut appliquer sa formule au résultat de celui-là.

Je sors mon carnet et note le tout. Je pourrais peut-être m'en servir pour le sérum, qui sait?

-Vous avez étudié dans quelle branche...?

J'imagine bien qu'elle a étendu ses connaissances sur un paquet de domaines, mais elle doit bien en avoir un de prédilection... J'aimerais parler avec quelqu'un de choses vraiment complexes. Haut de gamme. Nouvelles.

Cette petite brune me ressemble. Elle ne semble pas capable de rester en place, elle a toujours besoin de s’occuper même si son corps demande du repos. Elle feuillète les quelques magazines que je laisse trainer pour les étudiants qui souhaitent passer le temps avec de la lecture scientifique. A peine les pages terminées qu’elle commence à prendre des notes sur les articles en faisant des liens entre eux. Très impressionnant, contrairement à l’actualité de Central Point.

-Vous avez étudié dans quelle branche...?

Mon regard vient croiser le sien lors de sa question.

-Pas dans la menuiserie en tout cas.

Je me suis permise cette petite blague. Pourquoi ? Bonne question. Des fois je ne contrôle pas mes mots, c’est rare, mais cela arrive.

-J’ai fait des études en médecine. 6 ans pour être précise, pour enchainer ensuite sur 4 ans en spécialité chirurgie qui ont découchées sur un DES, diplôme d’études spécialisées. Puis j’ai fini avec 2 ans pour un DESC, diplôme d’études de spécialités complémentaires en chirurgie vasculaire. Mais je vous avoue que le choix a été compliqué pour la spécialité complémentaire, je n’arrive pas à me restreindre, il faut que je touche à tout.

Je lui avouais indirectement que je ne m’étais pas arrêtée à la simple chirurgienne classique. Malgré les études que j’ai pu faire, il y a de multiples « branches » dans lesquelles je me suis orientée. Le diplôme, c’est juste un bout de papier qui me donne le droit légal d’exercer dans un domaine. Seulement, je ne peux me résoudre à rester sur un chemin, il y en a tellement d’autres à emprunter.

-Vous avez un métier précis après vos études ? Un but dans la vie ?

Je sais déjà qu’elle est en spécialité science et au vu du grand potentiel qu’elle a, j’espère que ses objectifs sont grands. Elle ira loin dans la vie cette petite, j’en suis persuadée.

-Vous avez étudié dans quelle branche...?

-Pas dans la menuiserie en tout cas. J’ai fait des études en médecine. 6 ans pour être précise, pour enchainer ensuite sur 4 ans en spécialité chirurgie qui ont débouché sur un DES, diplôme d’études spécialisées. Puis j’ai fini avec 2 ans pour un DESC, diplôme d’études de spécialités complémentaires en chirurgie vasculaire. Mais je vous avoue que le choix a été compliqué pour la spécialité complémentaire, je n’arrive pas à me restreindre, il faut que je touche à tout.

Elle a toujours cet étrange... Tic? Qui consiste à expliquer les acronymes juste après les avoir dits. Sa petite vanne me fait hausser un sourcil également. Je ne l'imaginais pas avoir ce genre de répartie...

En tout cas, elle confirme ce que je pensais. Si elle a bien une spécialité, c'est une touche-à-tout. Le genre à vouloir tout comprendre, tout essayer. Le genre moins con que la moyenne... Bon, dommage qu'elle soit affiliée à la FATE, mais on peut pas tout avoir. Je pense que si j'avais eu sa vie, sa position sociale, et mon cerveau, j'aurais déjà été dégoûtée de l'être humain, peu importe qu'il soit turne ou sapiens. Avec toute cette richesse, tous ces moyens, les "autres" me seraient apparus au fur et à mesure des découvertes que j'aurais enchaînées, comme de vagues primates communiquant tant bien que mal leurs émotions primales.

La vache, je sais pas si c'est un préjugé ou quoi, mais je trouve que Lexy Sanders tiendrait un premier rôle parfait dans mon petit délire spontané. La FATE, c'est quand même un sacré ramassis de psychopathes.

-Vous avez un métier précis après vos études ? Un but dans la vie ?

Elle se moque de moi...? Elle vient de dire elle-même qu'elle touchait à tout et ne se contentait pas d'une branche... Un métier précis, hein?

-Bioingénieure moléculaire, si je devais choisir. Mais je ne pense pas pouvoir m'en contenter. Ingénieure technique et mécanique, cyber-ingénierie... Je veux juste pouvoir donner corps à ce que j'ai dans la tête.

Il y a autre chose qui me chiffonne. Elle m'a donné une adresse, et elle me dit quelque chose, la rue, en tout cas. Mais ce n'est pas comme si le Département Scientifique était un endroit où les turnes aiment se balader.

-A quoi vous pensez, en parlant de venir au 22 Anton Dusk...?

-Bioingénieure moléculaire, si je devais choisir. Mais je ne pense pas pouvoir m'en contenter. Ingénieure technique et mécanique, cyber-ingénierie... Je veux juste pouvoir donner corps à ce que j'ai dans la tête.

Elle est comme moi, elle a besoin d’élargir aux maximum ses savoirs et ses connaissances. Nous limiter à un simple diplôme relève de l’impossible. Elle a de l’ambition et de nombreuses idées en tête. Je suis assez curieuse de savoir quels projets animent un cerveau comme le sien. Elle s’entendrait bien avec mon père pour tout ce qui touche à la technique mais avec moi aussi, mon géniteur m’a complétement transmis sa passion pour l’ingénierie.

-A quoi vous pensez, en parlant de venir au 22 Anton Dusk...?

Un sourire amusé s’empare de mes lèvres. A quoi je pense ? A beaucoup de chose ma chère enfant.

-La curiosité anime les grands esprits. Vous le découvrirez quand vous viendrez.

Je n’émets même pas l’hypothèse qu’elle ne viendra pas. Elle viendra, quand elle l’aura décidée mais cela ne fait aucun doute. Et quand elle sera là, les choses sérieuses pourront commencer. La sonnerie de mon nanocom retenti. La FATE ? Non, c’est quelqu’un d’autre.

-Excusez-moi, je dois prendre cet appel. Je vous laisse vous reposer tranquillement.

Je quitte l’infirmerie, personne ne trouve dans la salle d’attente. Je peux bien prendre une petite pause.

-Sanders, j’écoute ?

Mes pas se dirigent vers le toit, j'ai une atroce envie de nicotine lorsque j'entends la voix de cet exécrable et potentiel client de l'entreprise.

-La curiosité anime les grands esprits. Vous le découvrirez quand vous viendrez.

Le genre de réponse énigmatique et mystérieuse de ceux qui aiment se faire désirer... J'avais raison, c'est une poseuse. Mais une poseuse intelligente. Je ne suis pas sûre de pouvoir me permettre de passer outre cette occasion...

-Excusez-moi, je dois prendre cet appel. Je vous laisse vous reposer tranquillement.

Et elle me laissa dans l'infirmerie, en sortant et en laissant la porte ouverte derrière elle.

Bah... De toutes façon, j'ai ma dispense, non? Je n'ai plus rien à foutre ici. Mes symptômes devraient disparaître rapidement, je peux rentrer chez moi et faire quelques parties... N'importe où plutôt que cette cage à primates. Je dois faire des efforts monumentaux pour ne serait-ce que me faire comprendre, et m'abstenir d'être moi-même. Sauf avec Kelya, peut-être...

Je me lève, je regarde par la fenêtre de l'infirmerie. Au loin, au-delà du Grand Parc, on peut voir se dessiner les silhouettes des immeubles de la Ceinture Centrale, entourés de ceux du Département Scientifique. Si j'avais autant de moyens... Tout ce que je pourrais faire...

Aah... Je suis tellement fatiguée... Finalement, je pense que je vais dormir un peu ici.