Un repas entre prof

Kayn venait de passer les grilles du N.E.S.T pour se rendre à l’ »Union Jack », la brasserie dont lui avait parlé son nouveau collègue : Miles Edgeworth.
Ne connaissant pas l’endroit, et voulant faire preuve d’une certaine discrétion, Kayn avait recherché l’adresse à travers son Nanocom puis avait activé la fonction GPS.
Il était un peu plus de midi quand il passa ses fameuses grilles, en chemin, il fit un rapide point sur la matinée afin de réorganiser et classifier les évènements.

Son introduction auprès de ses classes s’était passé sans de réelles difficultés. Kayn avait l’avantage, malgré sa petite taille, de réussir à s’imposer.
L’impression glaciale qu’il dégageait constamment, couplée à une attitude qui pouvait paraître comme désinvolte, avait intrigué les élèves.

Mais ce qui avait permis de canaliser les élèves, c’était l’inscription au tableau « Les mutants dans notre société. »
Lorsque Kayn avait, au bout d’une dizaine de minutes de mutisme de sa part, et tandis que les élèves étaient toujours agités, ouvert le tableau sur cette question, le silence s’était fait immédiatement.
Puis il eut un grondement, des éclats de voix et un énervement plus que palpable.

Les élèves eurent l’impression, encore une fois peut-être, de subir un harcèlement.
Kayn dévia cette colère en expliquant que cette problématique, malgré les difficultés que cette population rencontrait, était d’une importance capitale.

Il enchaina alors sur plusieurs faits du passé, comme la rencontre entre les « blancs » et les « noirs », la traite des esclaves.
Il lia ensuite la chose avec les femmes et le mouvement féministes présents dans le Xxème et XXIème siècle.
Que ces populations avaient dû se battre, de diverses façon, pour être traité en égal.

« Mais monsieur, c’est de l’histoire que vous nous faites, pas de la philosophie ! » Rétorqua l’un des élèves.

Prévisible. C’était l’effet escompté.
Kayn enchaîna donc sur le fait que la philosophie concernait… Tout.
Il définit, au cas où, la philosophie et raconta que la découverte de la notion d’âtome n’était pas d’origine scientifique mais bien philosophique.
Il embraya sur l’histoire de ce fameux philosophe qui « découvrit » la notion d’atome en se posant la question « Et si je coupe une pomme, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, que restera-t-il ? »

Kayn était clair et concis.
Il résumait les idées et répétait si besoin était.
Tout son cours était basé sur l’échange, et il cherchait avec les élèves des réponses, qu’il enrichissait ensuite d’autres références philosophiques.

Son premier cours n’avait qu’un but : démontrer la richesse de la philosophie.
Et ça avait plutôt plu.

Il avait pu noter le nom des élèves et définir le schéma comportemental de certains.
A terme, cela lui permettrait d’adapter ses interactions.

« Dans 50 Mètres, tourné à gauche ».

Obéissant à son GPS, Kayn tourna en conséquence pour voir la brasserie avec Miles, attendant devant.

- De nouveau le bonjour. J’espère que vous ne m’avez pas trop attendu.

- De nouveau le bonjour. J’espère que vous ne m’avez pas trop attendu.

Miles était assis en terrasse de la brasserie, un endroit particulièrement coquet qui ressemblait à un pub anglais. Plusieurs drapeaux britanniques en banderoles ornaient la façade, ainsi que des géraniums bleus, qu'on appelle ici Johnson’s blue flowers - une chose assez rare pour être notée, elles n'étaient pas en plastique.

Une odeur assez apaisante se dégageait de cet endroit. Sur la petite table ronde à laquelle attendait le professeur, un service à thé d'une grande sobriété trônait et diffusait une odeur d'Earl Grey qui se mêlait à celle des fleurs.

- Aucun souci. Votre ponctualité vous honore.

Miles se leva pour proposer se siège en face du sien à Kayn. Pure civilité de sa part, ce n'était pas comme s'il y avait d'autres chaises ou s'il allait aller s'installer ailleurs. Mais cela semblait faire partie de sa ligne de conduite.

Une fois installés, il laissa Kayn se familiariser avec la carte et demander ce qu'il voulait. Il y avait quelques sandwiches - au pain de mie, évidemment, mais aussi des omelettes et quelques amuse-gueules, et des plats plus complets - beaucoup comprenant des œufs.

- Alors, comment s'est passé cette intronisation? Pas trop secoué d'enseigner dans le seul Institut pour Turnes…?

Il n'avait aucun doute que tout s'était bien passé. Déjà, à voir le comportement de Kayn, qui n'avait pas perdu de sa prestance, mais aussi parce qu'il connaissait bien les élèves et qu'il était très rare qu'ils rejettent en bloc un professeur, à moins que celui-ci ne soit objectivement détestable.

Par contre, les réactions étaient beaucoup plus aléatoires avec les Turnes. Certains par exemples pourraient lire dans vos pensées ou dégager des odeurs ou des ultrasons pour perturber la classe, voire viser quelqu'un en particulier. C'était, au sens de Miles, la seule vraie barrière rencontrée par les nouveaux professeurs.

- A ce propos, dans quelques jours se tiendra la fameuse manifestation… Faites attention au niveau des transports en commun.

Cette petite anecdote avait été placée là sans arrière-pensée, mais permettrait peut-être à Miles d'en savoir un peu plus sur Kayn. Participerait-il? Et si oui, de quel côté de la barrière…?

- Aucun souci. Votre ponctualité vous honore.

Se levant et désignant la chaise en face de lui, par pure politesse, Kayn la tira légèrement en arrière, sans faire le moindre bruit, puis retira ses affaires et les posa sur le dossier.
Miles pu observer la précaution de Kayn à s’installer avec une gestuelle précise, évitant aisément une quelconque maladresse.

Assis, Kayn consultait la carte du regard.
Enfin, c’est ce que l’on pouvait supposer en le voyant tourner les dites-pages. Ses yeux étaient concentrés sur un point fixe de la dite carte et n’en bougeait pas.
Il s’arrêta sur les pages des salades et en pointa une du doigt, avant de refermer la carte puis de la poser sur la table.
Lorsque la serveuse vint prendre la commande, il demanda donc la fameuse salade et précisa qu’il ne voulait ni viandes, ni œufs, ni fromage dedans. Il commanda quelques pommes de terre, nature, en supplément.
En boisson, un thé Earl Grey.

- Alors, comment s'est passé cette intronisation? Pas trop secoué d'enseigner dans le seul Institut pour Turnes…?

Kayn appréciait la politesse de Miles, à savoir engager la discussion quand la situation s’y prêtait.

[color=#5F9EA0]- Secoué ? Non. Bien que cela diffère des précédentes formations policières que j’ai pu dirigé, ce n’est pas désagréable. J’apprécie de transmettre un savoir quelconque. A eux de voir ce qu’ils en feront. J’avais une légère appréhension que des élèves turnes usent de leur capacité, mais ça n’a, à priori, pas été le cas. Mais cet aspect peut changer, après tout je n’ai eu que deux classes.

- A ce propos, dans quelques jours se tiendra la fameuse manifestation… Faites attention au niveau des transports en commun.

Kayn s’enfonça légèrement dans son siège, libérant l’accès à sa partie de table.
En effet, la serveuse arrivait et déposait le repas du nouveau professeur sur la table, ainsi que son thé.
Il la remercia.

Il n’avait presque pas lâché Miles du regard pendant toute cette opération.
Le visage toujours fermé, difficile de décrire ce qu’il pouvait bien penser. Il rompit le contact en prenant ses couverts, puis en attrapant une première pomme de terre qu’il se mit à peler et à découper pour l’intégrer à sa salade.
Il recommença l’opération, jusqu’à ne plus avoir de pommes de terre.

- J’envisageai de me procurer un vélo ou un quelconque véhicule du même type, ça me permettra de ne pas rester un usager, je n’apprécie pas particulièrement cela. Et vous ? Comment ferez-vous ?


Les pommes de terres totalement intégrée à la salade, il la mélangea.

- Cette manifestation me semble dangereuse, à tous points de vue. Peu de chance que cela ne dégénère pas, à tous niveaux. Ce qui est regrettable, mais nécessaire peut-être ?


La question était laissée là, en ouverture.

Kayn engloutie une première bouchée de la salade, qu’il machonna longuement, sans un bruit.

- Excellente cette salade. Et ce bistrot est très agréable. Je suis étonné de ces fleurs, on ne dirait pas des synthétiques. Savez-vous quelles sont-elles ? J’ai très peu de connaissances florales.

Plus ils passaient du temps ensemble et plus le comportement de Kayn confirmait à Miles ce qu'il pensait, il s'agissait d'un gentleman pure souche. Ses manières parlaient pour lui. C'était une valeur tellement oubliée ces dernières décennies… A croire qu'entasser la totalité de la population humaine jouerait sur certaines tensions. Ridicule.

- Alors, comment s'est passé cette intronisation? Pas trop secoué d'enseigner dans le seul Institut pour Turnes…?

- Secoué ? Non. Bien que cela diffère des précédentes formations policières que j’ai pu diriger, ce n’est pas désagréable. J’apprécie de transmettre un savoir quelconque. A eux de voir ce qu’ils en feront. J’avais une légère appréhension que des élèves turnes usent de leur capacité, mais ça n’a, à priori, pas été le cas. Mais cet aspect peut changer, après tout je n’ai eu que deux classes.

Seulement deux classes…? Peut-être n'avaient-ils aucun élève en commun. Peu lui importait après tout, au mieux, il en apprendrait plus sur des élèves qu'il ne connaissait pas encore...

- A ce propos, dans quelques jours se tiendra la fameuse manifestation… Faites attention au niveau des transports en commun.

Quand la serveuse apporta les repas, la conversation fut coupée pendant un petit moment. Difficile de dire si le sujet était malvenu, ou si c'était simplement par politesse qu'ils avaient arrêté de parler en présence de l'employée. En tout cas, ce ne fut qu'après le début de leur repas qu'ils reprirent là où ils s'étaient arrêtés.

- J’envisageai de me procurer un vélo ou un quelconque véhicule du même type, ça me permettra de ne pas rester un usager, je n’apprécie pas particulièrement cela. Et vous ? Comment ferez-vous ?

- J'ai déjà mon propre véhicule. Je me contente des transports en commun quand je peux, cela dit. Mais dans ce cas-ci... Je prendrai sûrement un long détour pour arriver au travail. Enfin, si la journée de cours est maintenue. Il y a déjà eu des cas d'émeutes, un peu trop proches du Grand Parc, qui ont causé la décision de Tob… Du proviseur de suspendre les cours pour la journée.

Et puis, il aurait peut-être des plans pour ce jour-là. Tout dépendra de comment les choses se déplient jusqu'à ce jour… D'ailleurs, il fallait qu'il pense à aller voir Lexy dans l'après-mici.

- Cette manifestation me semble dangereuse, à tous points de vue. Peu de chance que cela ne dégénère pas, à tous niveaux.  Ce qui est regrettable, mais nécessaire peut-être ?

Nécessaire…? Elle aurait pu l'être dans l'optique ou elle se passait bien. Mais c'était fort peu probable. Sans compter que si elle visait une prise de conscience généralisée, c'était plus ou moins inutile : tout le monde était déjà au courant des inégalités et des raisons qui les entérinaient. Non, ce serait plus probablement une démonstration de force, inspirant la crainte pour forcer à répondre aux demandes des turnes… Un plan plutôt bancal. C'était même à se demander si celui-ci n'avait pas été organisé par leurs détracteurs.

- Dangereuse… Beaucoup de choses sont dangereuses quand on y rassemble une trop grande quantités de… Variables inconnues. C'est un peu comme préparer un thé en y ajoutant des liquides totalement aléatoires. Ca peut être très bon… Enfin, buvable, comme ça peut être mortel. Regrettable, en effet

Miles remua sa cuillère dans son thé, pensif. Cela représentait bien, au final, le climat dans lequel l'humanité vivait aujourd'hui. Comment savoir si la serveuse n'était pas turne? Comment connaître sa mutation? Peut-être son thé avait-il été en contact avec sa peau, peut-être comportait-il une toxine, était-il irradié? Peut-être quelqu'un lisait-il ses pensées en ce moment-même? Il secoua la tête. Il était bien sûr impossible d'avoir réponse à toutes ces questions, mais justement; l'angoisse perpétuelle du citoyen était qu'il se les posait.

- Quand à savoir si c'est nécessaire… Peut-être? Peut-être que cela créera un mouvement en réaction. Mais c'est impossible de prévoir dans quel sens ira ce mouvement. Pour vous, est-ce que les dégâts causés par la manifestation vont servir à fustiger les turnes et les brider d'autant plus? Est-ce que leur nombre suffira à faire se rendre compte de la situation et changer les choses en leur faveur? Sans compter le cas d'un évènement imprévisible, qui pourrait changer la donne…

Il essayait là de ramener Kayn à une raison qu'il pensait, peut-être, trop éloignée de lui à l'écoute de sa réplique précédente. Mais il se rendit compte en parlant qu'il y avait tant de variables qu'il était bien inutile de tenter de prévoir ce qui se passerait. Quels seront les ordres de la police? Qui dirigerait les groupes Turnes? Et les citoyens? Il termina sa phrase par un sourire résigné, comme un "On verra bien" final.

- Excellente cette salade. Et ce bistrot est très agréable. Je suis étonné de ces fleurs, on ne dirait pas des synthétiques. Savez-vous quelles sont-elles ? J’ai très peu de connaissances florales.

- J'ai un bon ami - eh bien, le professeur de biologie, à vrai dire - qui s'y connaît bien plus que moi. Mais celles-ci, pour avoir déjà posé la question, je peux vous dire qu'il s'agit de Johnson’s blue flowers, une espèce particulièrement prisée dans les anciens cottages anglais.

Il montra, sur un menu d'une table voisine, l'illustration d'une petite maisonnette dans une prairie, entourée d'un muret et recouverte de verdure. Une reconstitution ou une photo d'archive assurément, mais il y avait quelque chose de douillet et familial qu'on pouvait retrouver dans la brasserie.

- Elle est souvent associée aux rosiers sur les rocailles et le long des murets. Ils ont vraiment fait attention aux détails… Ce qui joue en leur faveur.

- Merci, Mr Edgeworth!

La tenancière, qui était en train de nettoyer une des tables, avait entendu la conversation et crut bon d'intervenir - très discrètement - par ce remerciement. Puis, elle salua poliment de la tête les deux hommes qui avaient tourné le regard vers elle, et leur sourit. Miles rendit ce sourire. Il était apparemment bel et bien un habitué.

Kayn remarqua d'ailleurs une table derrière lui, où trois jeunes filles portant l'uniforme du NEST buvaient un jus de fruit, des sandwiches élégamment présentés dans une assiette devant elles.

- Et vous, d'ailleurs… Vous avez des connaissances au NEST? Ou bien c'est juste la demande très ouverte de l'Académie en matière de professeurs qui vous a amené après votre reconversion?

En écoutant son nouveau collègue, Kayn se fît la réflexion, qu'il était plus "bavard" que ce qu'il laissait penser.
Bien que le sujet soit plus préoccupant qu'une banalité, il était difficile de ne pas relier cette conversation avec ce qu'il avait précédemment évité  lorsqu'il attendait devant la grille.

Si Kayn laissait Miles discuter sans l'interrompre, c'était par politesse, par gourmandise et par réflexion.
La discussion prenait un tournant dangereux, discuter Turnes, équivalait à discuter politique ou religion par le passé... Un sujet épineux.
Le jeune professeur écoutait donc attentivement, entamant la construction de sa réponse, invitant Miles à poursuivre d'un simple regard.

- Quand à savoir si c'est nécessaire… Peut-être? Peut-être que cela créera un mouvement en réaction. Mais c'est impossible de prévoir dans quel sens ira ce mouvement. Pour vous, est-ce que les dégâts causés par la manifestation vont servir à fustiger les turnes et les brider d'autant plus? Est-ce que leur nombre suffira à faire se rendre compte de la situation et changer les choses en leur faveur? Sans compter le cas d'un évènement imprévisible, qui pourrait changer la donne…

Kayn s'assura, d'un rapide regard, que les oreilles de la tablée derrière, soit trois jeunes filles avec l'uniforme du N.E.S.T, n'étaient pas dirigées vers leur discussion.
Cela n'avait pas l'air d'être le cas, trop occupées à discuter d'amoureux ou d'amoureuses. Kayn n'avait pas cherché à en savoir plus.

- Mr. Miles, loin de moi l'idée de vous offenser, mais avez-vous bien conscience de ce que signifie être turne ? Dans la vie de tous les jours et ce de votre naissance jusqu'à votre mort ?

Il posa la question sans une once d'agressivité, tout en posant sa fourchette à côté de son assiette qu'il venait de finir. Il laissa un léger temps de silence, pendant lequel il se tamponna les lèvres à l'aide de sa serviette.

- Au quotidien, c'est un savant mélange entre l'incarnation d'une personne de couleur de peau noire, lors de la Traite Négrière, et l'incarnation d'une personne ayant une orientation différente de l'hétérosexualité, de ces derniers siècles.

Il repoussa son assiette de quelques centimètres, signifiant ainsi qu'il avait fini et attrapa sa sacoche pour en sortir un paquet de cigarettes.

- Fumez vous ?

Il en porta une à ses lèvres, avant de tendre le paquet à son nouveau collègue.

- Être Turne signifie vivre une véritable ségrégation. Et ce qui anime cette ségrégation, ce qui est fort regrettable, c'est malheureusement la peur.

Kayn n'avait pas besoin d'expliciter cette peur, le rejet toxique prodigué par les turnes était une épée de Damoclès pour les humains normaux.

- Cette peur est plus que compréhensible. Un turne représente une double menace. Une menace passive, la toxine. Une menace active, sa mutation. Mais est-ce que cela justifie ce traitement que l'on retrouve majoritairement chez les humains ?

Tandis qu'il prononçait ses derniers mots, ses yeux prirent très rapidement, cet aspect noir propre à la mutation.
La démonstration fût brève et les iris du jeune professeur revint à ce gris argenté, laissant place à cette aura d'absence de sa part.
Kayn venait donc de prouver qu'en la "matière", il était connaisseur. Mais pourtant, rien dans son regard, dans ses expressions et dans son langage corporel ne laissait supposer une quelconque rancœur vis-à-vis de cela.
Malgré une discrimination permanente, Kayn avait réussi à se hisser dans un train de vie acceptable, grandement aidée par sa femme qui était humaine, cela offrait certains avantages.
Seul, il avait dû toujours en faire plus que les autres.

- Ne vous inquiétez pas, ma... "Particularité" est uniquement de voir la nuit, comme un chat.

Kayn était un nyctalope. Sa mutation lui permettait, dans les lieux sombres, de voir les différentes formes présentes par la perception d'un dégradé de gris.
Cela n'était pas aussi performant que certaines technologies, comme des lunettes de vision nocturne, mais ça pouvait être tout autant efficace en fonction du contexte.

Il alluma enfin sa cigarette, avant de déposer le briquet sur la table et de le pousser en direction de Miles.

- Je crois qu'il est nécessaire que notre situation évolue, mais cela ne doit pas passer par la violence, Mr. Miles. Encore moins dans une manifestation où, comme vous le soulignez à juste titre, il y a bien trop d'inconnues.

Il s'arrêta là, assez pensif...
Kayn discutait rarement mais il appréciait sincèrement son nouveau collègue. C'était peut-être pour cela qu'il s'était permis d'être plus loquace.

- Cependant, cela reste un sujet très compliqué et les solutions sont difficilement accessibles, voire inconfortables.

Il jeta un regard en direction des fleurs, se permettant de dévier du sujet.

- Et merci de vos explications, elles sont très jolies. Quant à cette brasserie, son charme est indéniable. Je suis sincèrement honoré que vous m'ayez invité à venir dans cet endroit.

Concernant le N.E.S.T, il n'avait pas besoin d'expliquer plus que cela ses raisons d'y être.
Il en avait déjà exprimé deux dans la matinée. La dernière, le fait que Kayn soit un turne, avait également joué dans la balance.

En dehors de l'école, où il revêtait par nécessité cette façade de marbre, Miles semblait être quelqu'un d'assez normal. Un monsieur tout le monde avec, peut-être, un sens de la politesse et de l'étiquette qui le rapprochent du cliché du gentleman. Par contre, c'était effectivement une des premières fois où sa verve était aussi inarrêtable; il s'en rendit compte et calma un peu son débit, mais la pléthore de points communs qu'ils se trouvaient le poussaient à s'épancher.

Y compris sur des domaines aussi sensibles que la différence génique. Heureusement, la brasserie se voulant un lieu de détente et d'intimité - toute relative - les tables étaient assez éloignées pour qu'il soit difficile d'entendre une conversation sans essayer de l'écouter. Mais, justement… Les trois jeunes filles discutaient bel et bien d'un sujet assez caricatural pour leur âge : l'amour. Seulement, en l'occurrence, si elles étaient ici, c'est parce qu'elles avaient suivi Miles, ce qui arrivait parfois; sa notoriété notamment chez les élèves avait connu un pic de popularité après le début des rumeurs le reliant à l'infirmière, et avait aussi ce genre de défauts. Il n'était donc pas impossible qu'elles fassent de leur mieux pour entendre leur conversation. Kayn ne leur avait jeté qu'un rapide regard et Miles ne les avait pas remarquées, installées derrière lui.

- Mr. Miles, loin de moi l'idée de vous offenser, mais avez-vous bien conscience de ce que signifie être turne ? Dans la vie de tous les jours et ce de votre naissance jusqu'à votre mort ?

Une question intéressante. Même s'il se doutait, à la façon dont la question avait été posée, qu'il allait mettre l'accent sur la difficulté de vivre en étant Turne, Miles avait déjà une vision assez claire, pour en avoir rencontré beaucoup, de ce qu'était un Turne.

- Un être humain. Un être humain avec une différence, qu'il n'a bien souvent pas choisie et qui lui rend difficile, à lui et à ses proches, l'accès à une vie normale.

Surtout à ses proches, techniquement. Et particulièrement quand il décide d'embrasser cette différence au point de s'en servir pour assouvir telle ou telle pulsion. Les turnes sont des êtres humains, et les êtres humains sont un chef d'oeuvre d'imperfections et de faillibilités. En allant dans ce sens, cela revient à forcer un enfant à garder un marteau à la main toute sa vie. Or bien souvent, quand on n'a qu'un marteau, tous les problèmes deviennent des clous.

- Au quotidien, c'est un savant mélange entre l'incarnation d'une personne de couleur de peau noire, lors de la Traite Négrière, et l'incarnation d'une personne ayant une orientation différente de l'hétérosexualité, de ces derniers siècles.

En sortant sa cigarette, il laisse Miles réfléchir à sa métaphore. Tout en signalant poliment de la tête qu'il écoute bel et bien, il n'est pourtant pas tout à fait d'accord, et le montre bien, par respect pour son interlocuteur; pour commencer, avoir la peau marron ou être bisexuel sont désormais des particularités si répandues - pratiquement voire plus qu'à 50% - et ne peuvent plus être appelées des différences. Et ensuite… Sauf dans des anecdotes particulièrement insolites, avoir la peau marron ou être bisexuel n'a jamais présenté le moindre risque pour quiconque - en dehors de l'ostracisation, bien sûr.

- Fumez vous ?

Kayn propose son paquet à Miles. Celui ci accepta poliment; il ne chercha pas à couper Kayn dans son explication pour lui imposer son propre point de vue. Il ne passerait pas non plus pour cet homme, que chacun connaît, tout le monde en a un dans son entourage… Cet homme qui a déjà dit une fois, "Moi, j'ai rien contre les Turnes, d'ailleurs, j'ai un bon ami qui est turne…"

- Oui, merci de proposer.

Miles récupéra la cigarette et, d'un geste, attira l'attention de la serveuse qui avait amené leurs plats pour qu'elle apporte un cendrier. Il continua à manger, écoutant l'exposition des faits de Kayn. Son point de vue était particulièrement sagace, et le professeur d'anglais trouvait ça intéressant.

- Être Turne signifie vivre une véritable ségrégation. Et ce qui anime cette ségrégation, ce qui est fort regrettable, c'est malheureusement la peur.

Il le laissa continuer, faisant rouler la cigarette entre ses doigts. Jusqu'ici, sur cette partie au moins, ils étaient raccord. La peur, véritable combustible de la haine, était à l'origine de la plupart des débats actuels.

- Cette peur est plus que compréhensible. Un turne représente une double menace. Une menace passive, la toxine. Une menace active, sa mutation. Mais est-ce que cela justifie ce traitement que l'on retrouve majoritairement chez les humains ?

Justifier, non. Mais il l'a dit lui-même, compréhensible. Il est de la plus grande logique que lorsqu'un individu représente une double menace, une solution doit être trouvée. Ou cherchée, tout au moins.

Quand Kayn fit la démonstration du changement de couleur de ses pupilles, Miles en fut d'abord étonné, puis, recoupant les information, trouvait plus logique le discours qu'il avait tenu jusque là. Voir les choses de ce point de vue-là apportait forcément un regard différent. Peut-être pas objectif, mais rien n'est plus réellement objectif, tout sert les intérêts des uns, ou des autres.

- Ne vous inquiétez pas, ma... "Particularité" est uniquement de voir la nuit, comme un chat.

Une particularité bien pratique. Quoi que les chats payent leur nyctalopie par une incapacité à distinguer autre chose que le bleu et le jaune, et une très faible vision de loin. Peu intéressant, donc. Enfin, rien n'indiquait que tout était comme les chats, après tout, les mutations ont ce point commun d'être des "améliorations" de l'humain.

- Je crois qu'il est nécessaire que notre situation évolue, mais cela ne doit pas passer par la violence, Mr. Miles. Encore moins dans une manifestation où, comme vous le soulignez à juste titre, il y a bien trop d'inconnues.

Miles accepta le briquet tendu et alluma, enfin, sa cigarette. Apparemment, sa faconde avait contaminé son nouveau collègue. En tout cas, il était un mauvais exemple de la nécessité de faire évoluer la situation : lui s'en sortait très bien, socialement. Propre sur lui, professeur, bien éduqué, ancien policier… Et probablement assez respectueux de la loi pour, s'il se retrouvait au cœur d'une manifestation, intervenir pour arrêter des actes hors-la-loi, même si ceux-là sont perpétrés par des personnes qui cherchent à montrer leur désespoir.

- Cependant, cela reste un sujet très compliqué et les solutions sont difficilement accessibles, voire inconfortables.

Miles terminait son assiette en réfléchissant à ce terme. Les "solutions"... Soit elles n'existent pas encore, et la FATE travaille dessus, soit elles sont temporaires, voire empirent les choses, à long terme. Ce à quoi Miles pense, il n'appelle pas ça une solution. Juste… Une sorte de pansement sur les fuites d'un barrage prêt à exploser.

- Et merci de vos explications, elles sont très jolies. Quant à cette brasserie, son charme est indéniable. Je suis sincèrement honoré que vous m'ayez invité à venir dans cet endroit.

C'était vrai, et Miles espérait que ce ne serait que le premier de plusieurs moments de détente ici, dans ce petit havre de paix avec vue sur le Parc. Kayn avait clôt la discussion et était peut-être mal à l'aise sur ce sujet, puisqu'il était touché directement. Le professeur d'anglais ne chercha donc pas à le relancer ou même à opposer ou apporter son point de vue personnel. De toutes façons, il avait pris pour habitude de l'atténuer, personne n'était prêt à comprendre sa position sur le sujet.

- Un très bel endroit pour la pause midi. Qui est d'ailleurs bientôt finie, hélas... Nous devrions ne pas tarder à retourner à l'Académie! il nous reste tout un après-midi de cours, et je dois passer voir Mlle Sanders... Oh, c'est notre infirmière, vous ne la connaissez sûrement pas encore. Une femme unique.

Il demanda à la serveuse de leur apporter de quoi payer. Quand celle-ci revint avec le lecteur de puces Omni, Miles se rendit compte de sa maladresse et insista pour tout payer.

- Pour cette fois, c'est moi qui invite… Ce n'est qu'à charge de revanche!

- Un être humain. Un être humain avec une différence, qu'il n'a bien souvent pas choisie et qui lui rend difficile, à lui et à ses proches, l'accès à une vie normale.

La réflexion avait fait sourire Kayn.
Cette idée prouvait que Miles n'était pas un citoyen haineux des turnes, ce qui restait assez en adéquation avec son flegme et le lieu où il travaillait.

Il l'avait écouté ensuite, rebondissant alors sur la déviation.

- Un très bel endroit pour la pause midi. Qui est d'ailleurs bientôt finie, hélas... Nous devrions ne pas tarder à retourner à l'Académie! il nous reste tout un après-midi de cours, et je dois passer voir Mlle Sanders... Oh, c'est notre infirmière, vous ne la connaissez sûrement pas encore. Une femme unique.

- Mlle Sanders... Celle que l'on surnomme "Miss Dôme" ? Elle travaille au N.E.S.T ?

Voilà qui était assez étonnant, la famille était l'une des plus riches et plus puissantes de Central Point. Que la fille travaille en tant qu'infirmière, c'était cocasse et certainement pas pour le salaire.

- Il me tarde de la rencontrer.

Miles avait demandé l'addition et, voyant que la serveuse venait avec le lecteur Omni, il proposa de tout payer.

-  Pour cette fois, c'est moi qui invite… Ce n'est qu'à charge de revanche!

- Dès demain, si vous souhaitez déjeuner de nouveau en ma compagnie. Pour ma part, ce serait avec un grand plaisir.

Et il devait bien avouer que c'était le cas.
La distance de Kayn, bien que propre à sa nature, était une sorte de défense. La compagnie était plaisante avec Miles. Ceci ajoutait une certaine satisfaction quant à ce changement de vie.

Paiement effectué, Kayn se leva et se rhabilla, mettant avec précaution son manteau et son chapeau.

- J'espère ne pas avoir été trop incisif dans mes propos. Et si c'est le cas, je vous présente mes excuses. Néanmoins, votre avis sur le sujet m'intéresse, quel est-il ?

Kayn relançait le sujet.
Il n'était pas spécialement heurté par ce genre de discussion. Au contraire, il trouvait cela très intéressant.
Habituellement, c'était un moyen de tester son interlocuteur mais ici ce n'était absolument pas le cas.
Pas de tests ou de pièges pour Miles, simplement le plaisir de converser.

- Mlle Sanders... Celle que l'on surnomme "Miss Dôme" ? Elle travaille au N.E.S.T ?

Miss Dôme… Un surnom équivoque. Miles doutait beaucoup qu'elle l'apprécie énormément, surtout sorti de la bouche des élèves. A croire que la presse l'a fait exprès… Mais c'était difficilement crédible, elle aurait déjà probablement payé celle-ci.

-Oui, celle-là même… Son implication dans le domaine de la santé n'a pas de limites. Une vraie sainte.

Peut-être était-il allé un peu trop loin dans le cynisme, et il craignait que ça se voie, aussi se permit-il un rire pour souligner son exagération. Cela passerait pour de l'humour, voire un compliment un peu maladroit de la part de quelqu'un qui l'apprécie. Une sainte…? Il devait y avoir des démons en enfer qui faisaient moins bien leur boulot qu'elle.

- Il me tarde de la rencontrer.

-Je vous la présenterai à l'occasion…!

Après le paiement, les deux hommes se préparèrent à partir, et décidèrent d'établir un nouveau rendez-vous pour apprendre à se connaitre. Peut-être se tutoieraient-ils, à force…? Vu leur utilisation de la langue, cela dénoterait d'une proximité particulièrement grande.

- Dès demain, si vous souhaitez déjeuner de nouveau en ma compagnie. Pour ma part, ce serait avec un grand plaisir.

Kayn remit doctement son chapeau et son manteau, puis se retourna vers Miles, qui venait de regarder l'heure sur son nanocom. Ils avaient le temps de faire le trajet, tout allait bien.

- J'espère ne pas avoir été trop incisif dans mes propos. Et si c'est le cas, je vous présente mes excuses. Néanmoins, votre avis sur le sujet m'intéresse, quel est-il ?


-Vous avez clairement défini les causes et les conséquences du "problème". Il ne vient pas du gène, mais de l'humain. En tant qu'ancien policier, ça doit vous parler... Tout humain est susceptible de verser dans le crime. Il se trouve simplement que certains sont nés avec des armes.

Et certaines étaient létales. Il était là, le vrai problème qui touchait Miles. Les inégalités, les comportements haineux… C'étaient des particularités toutes humaines, qui avaient toujours existé, et il serait bien orgueilleux d'espérer changer la nature humaine en claquant des doigts. Si ca n'avait pas été les turnes, c'aurait été les pauvres? les chômeurs, qui utilisent l'air sans participer à la vie active de Central Point…? Les vieux, ou les enfants? Il faisait confiance à la race humaine pour trouver rapidement un bouc émissaire à attaquer.

-Je comprends que ça paraisse un peu réducteur, et j'en suis désolé... Mais si je devais résumer mon avis, je dirais que je n'ai rien contre les turnes. Simplement contre les gens qui utilisent leurs particularité à mauvais escient.

Il était toujours difficile de présenter ce point de vue sans paraître misanthrope. Mais Miles voulait principalement mettre l'accent sur la différence qu'il faisait entre un mauvais turne, et un mauvais humain, qu'il ait une mutation ou non. Il était tout à fait possible pour un citoyen d'être plus dangereux qu'un turne… Par exemple, un homme avec un pistolet à clous serait plus dangereux que Kayn et sa nyctalopie.

-Bien sûr, pas vraiment de solutions pour ça... Il n'existe pas de "prison préventive". Comment ferait notre gouvernement pour gérer l'internement de millions de turnes qui "pourraient faire du mal"?

Il le pensait. L'incarcération massive de turnes serait aussi peu utile qu'efficace, et attiserait rapidement une révolution qui rallierait aux pro-turnes les indécis qui finiront par trouver que le bouchon est poussé un peu trop loin...

-Alors, gageons que la FATE finisse par trouver une solution convenable.

C'était, sans surprise, l'avis le plus répandu parmi les citoyens. La carte "c'est à eux de s'en occuper, moi ça me regarde pas", l'avis du Mr tout le monde. Pourtant, il y avait peut-être un peu plus que ça; il suffisait de voir comment Miles avait lui-même amené le sujet.

Tout en renfilant sa veste bordeaux, il emboita le pas à Kayn. Il était rare d'avoir un interlocuteur turne aussi ouvert sur le sujet. Dommage qu'il ne puisse pas partager avec lui l'intégralité de son avis sur la solution temporaire la plus efficace à ce problème.

-Oui, celle-là même… Son implication dans le domaine de la santé n'a pas de limites. Une vraie sainte.

Miles se met à rire, suite à sa remarque.
Kayn avait perçu un léger temps entre la remarque et le rire. Ca avait été très court, moins d'une seconde, mais le nouveau professeur, ou l'ancien inspecteur, avait le sens de l'observation pour ce genre de détails. Un peu trop peut-être.

- Et bien, espérons qu'elle ne finisse pas en martyr.

Il eut un léger sourire, sans approfondir plus que cela.

Ils se mirent en route, direction le N.E.S.T, certainement pour un après-midi bien différent de ce que Kayn avait pu avoir comme "échantillon" le matin-même.
Plus de classe et donc plus d'élèves.
Mais ce n'était pas le moment de penser à cela. Là, il écoutait Miles, tout en fumant sa cigarette "Lucky Strike" brune, sans filtre. Il appréciait tout particulièrement la sensation de brûlure au niveau de la gorge.

-Je comprends que ça paraisse un peu réducteur, et j'en suis désolé... Mais si je devais résumer mon avis, je dirais que je n'ai rien contre les turnes. Simplement contre les gens qui utilisent leurs particularité à mauvais escient. Bien sûr, pas vraiment de solutions pour ça... Il n'existe pas de "prison préventive". Comment ferait notre gouvernement pour gérer l'internement de millions de turnes qui "pourraient faire du mal"?

Les mots de son collègue laissaient Kayn songeur.
Faire appliquer une méthode préventive vis-à-vis des turnes ayant une particularité dangereuse serait un bon moyen de mettre le feu aux poudres.
Moins bien considérés que des animaux, par moment, ce genre d'actions feraient réagir les turnes et les pro-turnes, aux dépends de Central Point.
Le jeune professeur écoutait attentivement. Son collègue semblait avoir réfléchi à quelque chose. D'assez "osé", certainement. Trop "osé" ? Peut-être.
Il y avait, chez cet homme, une façon de voir et d'aborder les choses avec un certain... Pragmatisme. Et Kayn en venait à se demander ce qu'il était avant d'être professeur au N.E.S.T.

-Alors, gageons que la FATE finisse par trouver une solution convenable.

Kayn ne pu réfréner une certaine surprise face à cette dernière intervention.
Il se rattrapa en portant sa main à ses lèvres, et en prenant la cigarette qui y trainait pour inspirer une nouvelle bouffée. Mais il n'était pas impossible que Miles ai pu surprendre un léger froncement de sourcils, tandis que le regard du jeune professeur se portait sur lui, avant de fixer de nouveau droit devant.
Il ne s'était pas attendu à cette "rupture" dans la réflexion.

- Oui... Effectivement. Que la FATE trouve une solution.

Kayn avait, volontairement, fait en sorte de montrer une certaine déception dans la voix. Le ton avait été légèrement plus grave.

- Je vous parlais des solutions "inconfortables" tantôt. Et quand il m'arrive de discuter de ce genre de sujet avec d'autres, celle-ci a tendance à... Eveiller une forte colère.

Il s'arrêta quelques instants... Mais partager la réflexion était intéressante en sachant qu'elle restait purement théorique.

- Parfois, je tends à penser que nous, turnes, devons assumer pleinement notre mutation et aller explorer le monde. Le gouvernement pourrait recruter une troupe composée de turnes afin d'explorer les environs et voir ce qu'il en est. Ou il, le gouvernement, pourrait nous mettre à disposition des ressources, comme de l'équipement mais également un entrainement adéquat, afin que nous partions bâtir notre propre cité.

C'était une vision assez radicale de la situation actuelle qui n'arriverait certainement jamais.
Aller explorer les environs de cette façon impliquerait de donner aux turnes des moyens de se battre et de se défendre.
Et même si on ne formait qu'un corps de soldats turnes, ceux-ci seraient sélectionnés en fonction de leurs compétences physiques, de leur psychologie mais aussi de leur particularité. Autrement dit... Un pouvoir utile pour se battre.
Il suffirait que ces soldats retournent leur veste, pour aggraver la situation à Central Point.
Le chemin serait long avant d'arriver à ce genre de solution.

- Et bien, espérons qu'elle ne finisse pas en martyr.

Plutôt énigmatique. Il ne s'attarda pas sur cette phrase, d'ailleurs. Miles ne sut trop qu'en penser et, au final, peu importait; c'était lui qui avait apporté cette note dissonante à la présentation de Lexy.

Ils avancent vers le Nest en fumant, Miles lui expliquant sa vision des choses - Une partie, tout du moins. Il ne semblait pas emballé à l'idée d'une solution préventive. Publique, en tout cas. Cette dissension se ressentit et c'était, peut-être, leur premier point de conflit. Enfin, conflit était un bien grand terme, au mieux pouvait-on parler de désaccord général sur un certain point de vue.

-Alors, gageons que la FATE finisse par trouver une solution convenable.

Cette phrase avait été lâchée pour couper court à un sujet qui les éloignait, mais l'effet fut presque inverse : la simple évocation de la Fondation provoqua une réaction chez Kayn plus forte que tout ce qu'il avait pu montrer jusqu'alors. Enfin, ce qu'il avait montré n'était encore pas grand chose : là, il avait tout juste froncé les sourcils en reprenant une bouffée de nicotine.

- Oui... Effectivement. Que la FATE trouve une solution.

Un cynisme bien marqué. Bon, c'était une des possibilités à prévoir. Il avait peut-être, lui, où des proches, eu une mauvaise expérience avec les sections de la FATE les plus… Radicales. Au moins, plutôt que de se renfermer et de faire l'autruche, prit-il la peine d'expliquer son point de vue. C'était d'une rareté sans nom que deux personnes puissent échanger sur le sujet, sans être d'accord, et sans finir par se battre ou s'ignorer. Cela constituait une perle d'exception en la matière et montrait à quel point les deux professeurs avaient des atomes crochus, exception faite de ce sujet.

- Je vous parlais des solutions "inconfortables" tantôt. Et quand il m'arrive de discuter de ce genre de sujet avec d'autres, celle-ci a tendance à... Eveiller une forte colère.

Une forte colère…? Miles finissait par se demander si le fameux gène turne n'était pas aussi à l'origine de cette colère. Il était si fréquent de croiser des turnes qui sont naturellement en colère. Rien qu'au NEST, il avait de nombreux exemples en tête. Bien sûr, rien de fondé dans cette remarque ; s'ils étaient en colère, ce pouvait tout aussi bien être à cause du traitement dont ils se plaignaient.

- Parfois, je tends à penser que nous, turnes, devons assumer pleinement notre mutation et aller explorer le monde. Le gouvernement pourrait recruter une troupe composée de turnes afin d'explorer les environs et voir ce qu'il en est. Ou il, le gouvernement, pourrait nous mettre à disposition des ressources, comme de l'équipement mais également un entrainement adéquat, afin que nous partions bâtir notre propre cité.

Une équipe d'exploration Turne. L'idée n'était pas totalement déraisonnable, et si ce n'était pas encore arrivé, le gouvernement avait sûrement de bonnes raisons. Après, il était peu crédible d'imaginer que l'affaire serait publique et médiatisée, au cas où ce soit un fiasco. Et si l'équipe mourait pendant l'exploration? Le gouvernement se ferait juste insulter et fustiger de les avoir "mené à l'abattoir".

Quant à donner aux turnes les ressources nécessaires à l'établissement d'une seconde cité… Que l'on soit professeur d'histoire, de philosophie, de sciences humaines… Il est difficile d'imaginer qu'une scission pareille mène à autre chose qu'à une guerre ouverte. Une guerre qui serait fortement à l'avantage, à ressources égales, de ceux qui ne sont pas impactés par la toxine dans l'atmosphère. L'idée était pour le moment d'empêcher les turnes de trop utiliser leurs mutations, pas de les y encourager.

-"Votre" propre cité...? Vous faites donc vous aussi la différence entre les humains et les turnes. Est-ce que vivre comme un humain ne vous intéresse plus...? Je veux dire, bien entendu, cette mutation fait partie de vous. Mais y tenez-vous au point de ne pas l'échanger contre un retour à une vie normale...?

Beaucoup de Turnes tiraient une grande fierté de leur différence. C'étaient souvent les cas les plus à même de se retourner contre les humains. Il est facile de dire que ce sont les citoyens qui ont enclenché tout ce processus par peur, mais ce serait tout de même oublier que certains Turnes ont créé un mouvement de résistance anarchique et souhaitaient éradiquer l'humanité "old-school".

-Tout ceci est décidément un enchevêtrement de nœuds bien compliqués à démêler, avec autant de débuts de cordes que de fins possible. Mais je suis heureux que nous parvenions à en discuter calmement. Je suis désolé si j'ai pu paraître maladroit dans mes propos.

Continuant à avancer, ils finirent par arriver devant les portes de l'Académie, où ils s'étaient rencontrés le matin même.

Ils marchaient en direction du N.E.S.T qui n'était, à vue d'oeil, plus très éloigné.

-"Votre" propre cité...? Vous faites donc vous aussi la différence entre les humains et les turnes. Est-ce que vivre comme un humain ne vous intéresse plus...? Je veux dire, bien entendu, cette mutation fait partie de vous. Mais y tenez-vous au point de ne pas l'échanger contre un retour à une vie normale...?

C'était une bonne question...
Kayn se dissociait-il des humains ? Il n'en avait pas la prétention, ni l'intention.
Mais il était vrai que sa mutation était plutôt bégnine comparé à d'autres turnes.
Voir dans le noir, c'était intéressant, mais pas aussi impressionnant que quelqu'un capable de lire dans les pensées, par exemple.


- Ma femme est humaine, M. Edgeworth. Bien entendu que j'aurai tendance à préférer à vivre comme un humain. Tout comme j'aimerai que ce soit le cas pour ma fille. Mais... Admettons que la FATE n'arrive pas à résorber cette mutation ? Que fera-t-on ? Ponctuellement, la situation tend vers l'explosion. Les turnes sont repoussées vers la Bordure, mais ce sont aussi les zones qui contiennent une partie des défenses de Central Point. Fonder une ville pour les Turnes ne me semble pas particulièrement aberrant, mais c'est une solution de dernier recours.

Un peu emporté par ses pensées, et par sa plus grande peur, celle de perdre sa femme, véritable joyau à ses yeux, et sa fille, véritable trésor en ce monde, la langue de Kayn continua de se délier.

- J'ai peur, vous savez, M. Edgeworth. Peur de perdre ma femme, peur de perdre ma fille. La première parce qu'elle est dans une relation avec un turne, la seconde parce qu'elle est turne. Je ferai beaucoup pour elle.

Même à tuer.
C'était la partie sombre de Kayn, en quelque sorte. Il avait un profond respect pour la vie et préférait d'abord raisonner avant de condamner.
Pourtant, ce n'était pas quelque chose de simple, ni de facile.
Mais si la situation dégénérait, il n'hésiterait pas un instant.

-Tout ceci est décidément un enchevêtrement de nœuds bien compliqués à démêler, avec autant de débuts de cordes que de fins possible. Mais je suis heureux que nous parvenions à en discuter calmement. Je suis désolé si j'ai pu paraître maladroit dans mes propos.

Non, Kayn ne considérait pas que Miles avait été maladroit. Et même si un certain différent était apparu dans leur façon respective de voir les choses, cette discussion avait été plaisante, malgré son grave sujet.

- C'est d'une complexité sans nom dont la résolution est malheureusement aux mains d'élites. Difficile de faire quoi que ce soit, hormis temporiser la situation. Et rassurez-vous, nulle maladresse de votre part, ou alors je l'ai moi-même été.

Arrivés devant les grilles, ils s'arrêtèrent.

- J'ai passé un excellement moment et je vous remercie pour cette double invitation, le restaurant et l'addition. J'espère pouvoir vous rendre la pareille, et ce rapidement.

Il eut un sourire sincère.

- C'est ma femme qui va être contente d'apprendre que j'ai pu un peu me sociabiliser.

L'idée le faisait rire, montrant un visage plus jovial.
Il imaginait aisément la réaction de celle-ci, surtout quand il préciserait "C'est un moi, en plus grand."

- Ma femme est humaine, M. Edgeworth. Bien entendu que j'aurai tendance à préférer à vivre comme un humain. Tout comme j'aimerai que ce soit le cas pour ma fille. Mais... Admettons que la FATE n'arrive pas à résorber cette mutation ? Que fera-t-on ? Ponctuellement, la situation tend vers l'explosion. Les turnes sont repoussées vers la Bordure, mais ce sont aussi les zones qui contiennent une partie des défenses de Central Point. Fonder une ville pour les Turnes ne me semble pas particulièrement aberrant, mais c'est une solution de dernier recours.

Si la FATE n'arrive à rien, les humains mourront. Par augmentation de la toxicité. Par augmentation des Turnes, tout simplement. L'affliction est de plus en plus répandue et on ne sait pas encore comment prévenir les naissances turnes…

-Une solution de dernier recours est rarement une solution… Plutôt un bandage sur une fracture.

En tout cas, il semblait avoir besoin de s'épancher sur le sujet. Comme si cette peut le prenait aux tripes au point qu'il ne s'en sente libéré que s'il la laissait sortir librement, plutôt que de la garder pour lui. Et de toutes façons, il ne fallait pas se leurrer, tout le monde, à Central Point, avait peur de quelque chose. Ceux qui disent le contraire sont des menteurs… Ou des fous.

- J'ai peur, vous savez, M. Edgeworth. Peur de perdre ma femme, peur de perdre ma fille. La première parce qu'elle est dans une relation avec un turne, la seconde parce qu'elle est turne. Je ferai beaucoup pour elle.

Miles aurait fait beaucoup pour Eva. Mais… Pas assez, apparemment. Peut-être par ignorance de ce qu'il pouvait faire, peut-être par croyance que les choses ne pourraient jamais aller aussi loin. Maintenant qu'il est trop tard, cette frustration en fait quelqu'un de prêt à tout pour éviter que des cas pareils ne se reproduisent. Il ne souhaitait à personne cette douleur de perdre la personne qu'on aime… Et encore une fois, cette peur qu'avait Keyn se reflétait très bien en lui.

-Je comprends très bien cette façon de penser… C'est tout à votre honneur de connaître vos priorités. Tout ceci est décidément un enchevêtrement de nœuds bien compliqués à démêler, avec autant de débuts de cordes que de fins possible. Mais je suis heureux que nous parvenions à en discuter calmement. Je suis désolé si j'ai pu paraître maladroit dans mes propos.

Kayn préféra rassurer Miles directement. Il n'avait pas été froissé par le sujet ou par la façon dont il avait été amené, apparemment. Au final, cette conversation les avait amenés à mieux se connaître l'un et l'autre.

- C'est d'une complexité sans nom dont la résolution est malheureusement aux mains d'élites. Difficile de faire quoi que ce soit, hormis temporiser la situation. Et rassurez-vous, nulle maladresse de votre part, ou alors je l'ai moi-même été.

Une fois devant la grille, ils s'arrêtèrent pour se remercier l'un et l'autre de ce moment passés ensemble et de leur discussion, avant de se séparer pour retourner dans leurs cours respectifs.

- J'ai passé un excellement moment et je vous remercie pour cette double invitation, le restaurant et l'addition. J'espère pouvoir vous rendre la pareille, et ce rapidement. C'est ma femme qui va être contente d'apprendre que j'ai pu un peu me sociabiliser.

Il sourit, et rit même un peu, montrant un côté encore inconnu de sa personne. Jusqu'ici, sa plus grande manifestation d'émotion avait été un froncement de sourcil.

-Eh bien, ce serait sûrement assez triste si je vous invitais, vous et votre petite famille, à dîner dans mon appartement, mais l'inverse pourrait être une bonne compensation pour aujourd'hui! Enfin, si votre femme est d'accord, bien entendu.

Miles ne se reconnaissait pas lui-même. Ce n'était pas du tout le genre de choses qu'il ferait, au quotidien, mais… Il y avait quelque chose chez cet homme qui faisait écho en lui. On aurait presque pu dire que… C'était lui, en plus petit.

-Une solution de dernier recours est rarement une solution… Plutôt un bandage sur une fracture.

Un bandage sur une fracture...
L'idée de fracture était adaptée. Le bandage, par contre... L'idée d'un soin d'urgence et non adapté ? Peut-être.
Mais ce qui était intéressant, ce n'était pas le bandage sur la fracture, c'était l'acte de mettre le bandage, signe d'une profonde détresse. Ou d'une méconnaissance en soin.

Kayn regarda Miles, constatant qu'il y avait quelque chose d'étrange.
Les deux hommes étaient proches et c'en était consternant. Hormis la taille, ils avaient une certaine ressemblance physique.
Ils se ressemblaient également dans l'attitude, à l'écoute, respectant les pensées de l'autre. Rebondissant sur les propos également, le tout sans aucune "mesquinerie".
Cependant... Il y avait cette petite différence, cette petite dissonance, transformant cette ressemblance en un miroir.
Kayn n'avait pas tous les éléments en main pour comprendre l'essence de cette dissonance, mais il y avait quelque chose de... Dérangeant.
Cela ne l'empêchait pas d'éprouver une réelle sympathie pour le personnage, et d'apprendre à le connaître plus en profondeur.
Mais une toute petite voix, au fond de lui, disait de faire attention.

-Eh bien, ce serait sûrement assez triste si je vous invitais, vous et votre petite famille, à dîner dans mon appartement, mais l'inverse pourrait être une bonne compensation pour aujourd'hui! Enfin, si votre femme est d'accord, bien entendu.

L'inviter à diner chez eux ? L'idée lui plaisait.
Amélia allait en tomber des nus et serait certainement intriguée de rencontrer ce collègue qui, aux premiers contacts, se retrouve invité chez eux.
Après tout, hormis Zack, Amélia ne connaissait aucune personne de l'entourage professionnel de Kayn.

- Ce sera avec un grand plaisir que de vous avoir à notre table. Néanmoins, je vais effectivement lui demander son accord. Si cela vous convient, je vous confirme tout ceci avant la fin de la journée. Par contre, nous sommes végans, malgré la synthétisation de la viande.

Il avait dit cela en souriant, car les réactions découlant de cette révélation étaient amusantes.
Le véganisme était un mouvement au début du siècle qui avait fait grand bruit. Les individus cherchaient à ouvrir les yeux sur la cause animale, agrandissant leur cercle de compassion non pas qu'aux animaux de compagnie, mais bien à tous les animaux. Par conséquent, ils avaient rejeté toute exploitation animale, y compris le fait de les manger.
Aujourd'hui, avec la synthétisation de la viande, ce mouvement n'avait plus vraiment lieu d'être. Mais en apprenant son existence, c'était quelque chose qui avait plu à Kayn. Comme une sorte "d'élévation spirituelle".

- Nous ne vous imposerons rien, bien entendu.

C'était extrêmement cavalier de sa part de pousser ainsi son interlocuteur à l'inviter à dîner, mais l'idée lui semblait assez bonne pour en parler tout de même. Il y avait bien sûr de l'amitié naissante pour Kayn, mais aussi une bonne part de curiosité, fut-elle un brin morbide. A quoi ressemblait une vie de famille qui avait réussi…?

- Ce sera avec un grand plaisir que de vous avoir à notre table. Néanmoins, je vais effectivement lui demander son accord. Si cela vous convient, je vous confirme tout ceci avant la fin de la journée. Par contre, nous sommes végans, malgré la synthétisation de la viande.

Miles s'était déjà douté du régime alimentaire de Kayn, lorsqu'il avait choisi son plat au restaurant et qu'il avait souligné ne pas vouloir de viande, d'œufs et de fromage. Fut un temps, le veganisme choquait par son anormalité - au sens ou il n'était pas dans la plus grande norme, mais désormais, s'il est plutôt bien établi, au même titre que l'omnithéisme, la bisexualité ou les couleurs de peau, il reste assez paradoxal. Il n'a plus vraiment lieu d'être, puisque la viande est en grande partie synthétique, et les produits vegans sont naturels, et donc extrêmement luxueux. Nul doute qu'il d'agissait du coup de repas sains… Mais frugaux.

-Ne la pressez pas, je ne veux pas non plus m'imposer. Mais ce sera également avec plaisir. Je m'accommoderai parfaitement du menu décidé.

Miles n'avait pas de régime alimentaire particulier. Ou plutôt, il était dans la norme, avec peut-être une tendance à éviter la junkfood - ce qui se voit sur sa silhouette. S'il est plus grand que Kayn, il n'est pas beaucoup plus épais.

- Nous ne vous imposerons rien, bien entendu.

- Ce serait terriblement incorrect de ma part de vous forcer à préparer un autre plat. Ne vous en faites pas, ca m'ira parfaitement. Si l'on ne se revoit pas avant la fin de la journée - ou même un autre jour, si vous terminez plus tôt que moi, je vous laisse mon numéro de nanocom personnel. Je garde celui du NEST pour les élèves.

Joignant le geste à la parole, il présenta le dos de son nanocom après avoir pianoté sur le bracelet. Un petit symbole lumineux apparut et Kayn n'avait plus qu'à passer le sien par dessus pour l'ajouter à son répertoire. Puis, il le retourna pour vérifier l'heure… Qui était alarmante.

- Assez parlé de nourriture en tout cas… Cette fois, il est temps de nous remettre au boulot…! N'oubliez pas que le travail est l'aliment des âmes nobles.

Miles sourit à son interlocuteur, qui ne manquerait pas, vu sa profession, de relever la citation du philosophe latin, Sénèque. Il semblait vraiment heureux de cette rencontre, et s'éloigna vers son prochain cours.