Bière à l'hémoglobine [ft. Zack Nelvas]

La journée “découverte de la bordure” touchait à sa fin pour Sören. Cela faisait plusieurs semaines qu’il était libre de se balader dans Central Point et après avoir fait le tour de certains des coins sympas de la ville, sa curiosité l’avait poussé à découvrir le strict opposé : la bordure et ses quartiers les plus dépravés.

Il savait que les turnes étaient mal vus sous ce dôme. Persécutés, diraient même certains. Mais la vie quotidienne de Sören était à des années lumières de ce triste constat. Il avait un studio confortable en banlieue, un salaire plus que respectable, surtout pour le peu de “boulot” qu’il avait… il vivait mieux que la majorité des citoyens, et ne parlons même pas des turnes.

Il avait commencé par se balader au hasard des rues, puis il avait mangé dans un restaurant de quartier. Enfin restaurant… si on considérait qu’un planche et deux tréteaux pouvait être une table, et que la bouillie fade et puante qu’on lui avait servi était un repas. Il avait ensuite visité une sorte de squat où il avait passé de longues heures à discuter avec un pauvre type qui survivait ici. L’endroit puait la pisse, des seringues usagées jonchaient le sol et les types qui trainaient là faisaient peur à voir.

Au final, cette zone dépravée déliquescente de la ville l’avait tellement fasciné qu’il y était resté jusqu’au soir… jusqu’à être trop proche du couvre-feu pour espérer rentrer chez-lui sans risque. Il avait donc payé une chambre d’hôtel pour la nuit et décidé de finir sa soirée dans le bar du coin : le Last Rock.

Le gérant de l'hôtel lui avait conseillé l’endroit pour boire une bière sans se soucier du couvre-feu. À priori, la police évitait le coin… une sorte de zone de non droit apparement. Ce n’était pas rassurant mais bon… Sören avait vraiment envie de cette bière, et sortir de sa zone de confort faisait partie de sa thérapie de réinsertion… même si personne de la F.A.T.E ne l’aurait encouragé à aller visiter un endroit si malfamé.

Ça pour être malfamé, ça l’était ! Le Last Rock était la caricature du bar mal fréquenté et dépravé. Sans même connaitre qui que ce soit, on se faisait vite une idée du genre le lascars qui traînaient ici : des dealers, des putes, des hors la loi et des mecs paumés. Et puis il y avait Sören, avec ses fringues sobres mais un peu trop propres pour l’endroit et sa bouille de rouquin maigrichon, sirotant tranquillement une bière dans un coin de la salle. La bière sentait la pisse. Ou c’était peut-être l’odeur ambiante. Ou les deux.

Tout à coup , Sören sentit une grosse vibration provenant de sa table, et une bonne quantité de bière sur la veste et dans les cheveux. Il releva immédiatement la tête vers la provenance de la giclée au doux parfum d’urine. Un mec se tenait devant lui, gesticulant dans les sens. Il n’avait pas l’air de bon poil.

- T’as fait quoi ?! Tu m’as fait un croche-patte fils de pute ? Tu va me re-payer ma bière ou j’te fume !

Sören, interloqué dans un premier temps, comprit immédiatement que son interlocuteur n’en était pas à sa première pinte. Il avait les yeux rouge mi-clos et se dandinait comme s’il avait des fourmis dans les pieds.

- Je vous paierai rien du tout, vous vous êtes viandé tout seul sur le pied de table.

Le bonhomme se figea sur place pendant quelques secondes. Son expression oscillait entre la colère et l’incompréhension. Ce type était tellement rond qu’il était peut-être vraiment convaincu que la faute était sur quelqu’un d’autre ?

- Je VAIvstpr TE rgnrNIQUER !

Sa bouche avait bien du mal à synthétiser son projet pourtant relativement simpliste. Son poing par contre était déjà parti, dans un mouvement bien ample, en plein dans la face de Sören.

Le rouquin avait eu le temps de le voir venir, mais dos à un mur et abasourdi par la situation, il avait seulement eu le temps de positionner son bras en protection. Le problème, c’est qu’on n’arrête pas le coup d’un mastodonte d’au moins 1 mètre 90 de haut et 120 kilos en interposant mollement son bras sur la trajectoire.

Le coup avait été à peine ralenti. Le bruit sourd du coup de poing mais surtout celui du choc de la chaise contre le mur avait alerté les occupants de toutes les tables aux alentours. Évidemment, personne ne réagit. La quasi totalité des clients regardaient simplement la scène d’un oeil amusé. Ici, voir quelqu’un se faire éclater la tronche devait être monnaie courante, et une distraction de choix.

Bien que quelque peu sonné, Sören se releva instantanément, prêt à se défendre. par réflexe, il activa sa mutation comme il l’avait toujours fait en situation dangereuse. Grave erreur. Il avait déjà fait l’expérience de se servir de son odorat dans des milieux fermés comme celui-ci et l’avait regretté instantanément. Immédiatement, l’odeur de bière, de transpiration et tout un cocktail d’autres merdes à l’odeur affreuse lui monta à la tête. Plus que désagréable, ça lui brouillait complètement les sens. C’était comme fixer le soleil ou boire la tasse dans la mer. Par automatisme, il passa sa main sur son visage, désactivant aussi vite que possible sa mutation… mais un deuxième coup était parti.

L’ivrogne n’avait pas attendu que Sören reprenne ses esprits pour enchaîner. Cette fois il avait visé le ventre et le rouquin se retrouva plié en deux. Il se redressa, haletant après avoir eu le souffle coupé. Il ne se ferait pas avoir une troisième fois. Ce type tapait fort, mais il était lent… mieux que ça, il était lent et bourré.

Plutôt satisfait de son affaire, le mastodonte était bien décidé à défigurer son bizut du jour. Il serra son poing loin derrière sa tête, prêt à mettre toute sa force dans le prochain coup. Sören, bien que toujours groggy, eu tout le temps de voir venir celui-là. D’un geste brusque, il écarta sa tête de la trajectoire. Cette fois, le bruit sourd était accompagné d’un craquement inattendu. La brute avait frappé dans le mur de brique… et il avait dû se fracasser pas mal de phalanges dans le processus.

Beuglant à la mort, l’ivrogne avait fini d’alerter les clients qui n’avaient pas encore repéré la bagarre. Le gorille qui servait d’agent de sécurité arriva en quelques instants près de la table de Sören. C’était surréel, l’agent était encore plus grand et large que le mec bourré.

- Tu casses les couilles Fred, Il va falloir que j'vire ton sale cul tous les soirs ? Allez, casse-toi de là. Putain, t’es suffisamment con pour taper dans les murs en plus ?! Regarde ta main, bouffon.

En effet, ça pissait le sang. La brique, c’est dur. Après avoir jeté un regard noir à Sören, le videur chopa fermement le dénommé Fred par le bras et le tira vers la porte. Le type avait beau avoir la carrure d’un bus, il chialait, fixant du regard sa main complètement démolie.

- Trouve-toi un médecin, tu t’es pas loupé ducon. Allez, casse-toi.

Sören observait l’ivrogne se dandiner péniblement vers la porte de sortie. Un habitué, sans doute. Une fois le danger écarté, Sören s’assit à nouveau sur sa chaise, le regard dans le vague. Un filet de sang commençait à couler de son nez et de la partie gauche de sa lèvre.

Il n’avait pas trop eu le temps d’assimiler ce qui venait de se passer. Alors qu’il soupirait, avant de se saisir de sa pinte de bière miraculeusement intacte,  l’audience retournait à ses petites discussions, comme si rien ne s’était passé. Il s’autorisa une petite gorgée de bière bien méritée. Goût sang, parfum pisse. Quelle vie...

L’obsession.
Cette idée qui se répétait dans la conscience, à toute heure du jour et de la nuit, dans la conscience et dans l’inconscience.
Cette idée qui poussait à ne plus considérer les limites, aussi bien physiques et mentales, mais également morales.
Cette idée qui corrompait chaque instant, chaque évènement, chaque visage.
Tout était obnubilé par cette obsession.

Celle qui s’était ancrée dans chaque moment de la vie de Zack aurait pu être quelque chose de simple. Comme le rêve exacerbé de s’échapper de la bordure, de s’enrichir et de vivre une meilleure vie.
Mais Zack était un citoyen, pas un turne. Et au vue de ses compétences, il aurait pu se le permettre.
C’était d’ailleurs ce qu’il était en train de se passer, étant devenu garde du corps d’une personnalité importante.
Non, l’obsession de Zack était bien plus sombre, bien plus dangereuse et bien plus… Meurtrière.
Il voulait tuer Lexy Sanders, l’héritière d’une des familles les plus riches et puissantes de Central Point.
Pourquoi ? Parce qu’elle était un mal.

Cet objectif plus qu’obsessif le détruisait et finirait par le tuer : sa vie était littéralement liée à Lexy Sanders, sa patronne, qui lui avait injecté une bombe proche du coeur.
Cette bombe était amenée à exploser si elle venait à mourir.
C’était une mesure… Prudente pour s’assurer que Zack, son nouveau garde du corps, prenne « à coeur » son boulot.

Cette obsession laissait à Zack un goût amer, qu’il tentait d’évacuer par l’alcool, la clope et l’herbe.
Quand il n’était pas en mission pour sa patronne, ou sur une enquête en tant que détective privée avec sa « stagiaire », il passait la majorité de son temps au Last Rock, trouvant dans le lieu insalubre, un certain réconfort.

Il était connu dans le quartier, et on avait tendance à lui foutre une paix royale.
Connu pour être un ancien flic, mais aussi un dealer, un bagarreur, et d’autres trucs moins reluisants.
Plusieurs s’étaient cassés plus que les dents à essayer de le faire plier.
Il était le « Colosse de la Bordure », même s’il ne faisait qu’1m85.

Ainsi donc, Zack était au Last Rock, enchainant verre sur verre, cigarette sur cigarette.
Assis au comptoir, il discutait avec son bon ami « Jako », le patron, tout aussi impressionnant que lui.

Pourtant, leur discussion fût perturbée par une altercation : Fred, trop bourré, faisait encore des siennes, s’attaquant à un pauvre type.
D’ailleurs, il avait pas du tout l’air de venir du coin, celui-là. Il portait pas les stigmates des « Bordeux ».

Zack garda un œil sur la scène qui se produisait, non pas pour intervenir en tant que fervent défenseur du faible contre le fort, ça, il en avait absolument rien à péter.
Par contre, une bonne bagarre, il dirait pas non.

Il fût rapidement déçu en voyant que le type était incapable de faire quoi que ce soit contre Fred, prenant un coup en pleins dans le vide et que Fred mette fin au combat en s’explosant le poing contre le mur.

- Abruti.

Jako avait envoyé le vigile pour calmer la situation, faisant sortir Fred du bar.
Sieur Fred qui, malgré son état d’alcoolémie fort avancée, jeta un regard noir en direction du type. Il lui avait niqué la soirée et pour sûr qu’il allait pas aller chez le médecin pour soigner sa main.
Non, il allait juste réunir sa bande et venir foutre la merde, voire défoncer le type, parce qu’il était humilié.
Ouais, on était con dans la bordure parfois.

- Tu l’as déjà vu, lui ?

Jako regarda Zack avant d’hocher négativement de la tête et de répondre que c’était bien la première fois.
Zack jeta de nouveau un regard au type, qui semblait… Surpris, en gros.
Il était plutôt bien habillé, y avait que la bière renversée sur lui qui négligeait son état.
Y avait ptête moyen de négocier un truc, surtout que le type savait pas se battre. S’il tenait un peu à sa vie, il écouterait Zack.

Il commanda alors deux whisky, l’alcool fort ici était la seule chose réellement buvable, puis il prit les verres et traversa la salle d’un pas lourd et déterminé.
Crâne rasé qui portait ses lunettes de soleil, bouc, regard noir perlé de doré, veste en cuir, il avançait  sans s’arrêter, fixant simplement le type, ses deux verres à la main et clope au bec.

Arrivé à la table, il n’attendit pas une quelconque invitation et prit place sur une chaise, posant les verres sur la table avant d’en pousser un d’un geste maîtrisé en direction du gars.
Il tira une bouffée de sa clope.

- T’es mort, tu sais ?

Il avait lâché ça, brutalement, sans aucune moquerie ou menace dans la voix.
C’était juste un… Constat.
Amer, mais constat tout de même.

À peine Sören avait-il eu le temps d’attraper quelques serviettes sur la table qu’un autre mec barraque s’approcha de la table. Bon, celui-là était moins gros que le précédent… mais il n’en était sans doute pas moins bourrin. Et le gars n’avait pas besoin d’une pancarte pour annoncer son hobbie pour la baston : grand, carré, chauve avec des lunettes de soleil, petit look bad boy bien travaillé… rien de bien rassurant en somme. Cette fois, Sören était bien décidé à ne pas attendre de prendre deux taloches avant de réagir. Son meilleur ami le mur de brique était juste là, prêt à rendre service une fois de plus si nécessaire.

Mais ce bourrin là avait quelque chose en plus… un verre en plus, pour être précis. Il comptait relever le défi et renverser deux godets sur le rouquin plutôt qu’un ? C’était peut-être une sorte de sport local : on repère un inconnu dans un bar et, tour à tour, les participants doivent lui renverser le plus d’alcool possible dessus. Les conneries fusaient dans la tête de Sören, et il ne pouvait s’empêcher d’esquisser un petit sourire à l’approche de cet imposant inconnu.

Dans la vie Sören avait peur d’un tas de trucs : la solitude, la mort, aborder une fille, demander un conseil à un vendeur dans un magasin, programmer sa machine à laver… mais les concours de quéquette d’un arriéré testostéroné, ça ne l’effrayait pas des masses. Le rouquin savait ce qu’était une vie dure et dangereuse… sans doute mieux que 99% des gros durs de cette ville. Pourtant, il n’avait pas besoin de pousser de la fonte, de porter un blouson en cuir ou de tirer une gueule à faire chialer les gosses pour se le prouver.

Zack s’approchait alors que Sören le fixait, tentant de juger ses intentions. Il s’essuyait calmement le nez et la bouche avec une serviette en papier. Les blessures étaient superficielles et il s’en tirerait avec un simple hématome sur la joue.

Le gars arriva au niveau de la table et s’assied sans dire un mot. Il n’avait pas l’air menaçant, encore moins après avoir poussé l’un des deux verres vers Sören. Ce dernier saisit le verre et le renifla brièvement. Après avoir reconnu l’odeur caractéristique du whisky, il se contenta d’un petit acquiescement pour remercier son nouveau partenaire de boisson.

Voyant que le gars n’était pas parti pour lui en foutre plein la tronche, Sören se saisit d’une autre poignée de serviettes et épongea au mieux la bière qui lui imbibait les cheveux et le col de veste.

Finalement, c’est l’inconnu qui rompit le silence :

- T’es mort, tu sais ?

Sören garda le silence quelques instants, légèrement interloqué. Zack avait sorti ça spontanément, sans aucune agressivité dans la voix.

- Ah… ? Un ivrogne encore plus gros et con veut me mettre sur la tronche ? Je risque rien, j’ai mon pote pour me protéger.

En disant cela, Sören tapota affectueusement l’une des briques du mur derrière lui. Puis il ajouta en levant son verre de whisky, toujours sur un ton joueur :

- Eh ben… merci pour le verre. À Fred !

En temps normal, Sören aurait sans doute été plus inquiété par les paroles de Zack. La méfiance, c’était son truc. Mais… 2 pintes vides étaient déjà posées sur la table, et Sören était bien loin de s’être habitué aux effets de l’alcool. S’il était encore tout à fait lucide et en possession de ses capacités, l’effet désinhibiteur se faisait déjà bien ressentir.

- Ah… ? Un ivrogne encore plus gros et con veut me mettre sur la tronche ? Je risque rien, j’ai mon pote pour me protéger.

C'est marrant... C'était toujours les plus inconscients qui ouvraient leur gueule. Ceux qui parlaient sans savoir.
Ou les plus... Attaqués ?
Zack lorgnait un regard curieux sur les deux chopes vides de la table, avant de fixer à nouveau Sören. Pompette ? Saoul ? Complètement torché ? C'était pas improbable, vu sa capacité à ne pas esquiver les premières frappes de Fred, qui était, à priori, plus bourré que lui.
Quoique le gars, turne de ce qu'il avait pu voir, avait tenté d'activer sa mutation, sans vrai succès.
Entre ça et le fait qu'il s'essuie avec des serviettes, c'était drôle et Zack pouvait pas s'empêcher de ricaner.

- Eh ben… merci pour le verre. À Fred !

Il leva son verre pour accompagner le type dans son acte.
Puis il bu son verre, cul sec, avant de le poser sur la table avec force, provoquant un son qui retentit dans tout le bar.
Puis il reprit une taffe, avant de pointer du doigt une table où ne restait qu'une chope de bière, à moitié vide.
Elle n'était pas si éloignée. Si on s'amusait à relier des points, on pouvait comprendre que la table de Sören était entre cette table pointée par Zack et le comptoir.

- T'as ptête pas vu, mais il y avait un type à cette table. Sorti après que Fred se soit fracassé la main et que le vigile le chope.

La trajectoire... Le type qui sortait juste après l'altercation.
Les morceaux pouvaient doucement se mettre en place.

- Tu peux être certains que d'ici cinq, ptête dix minutes, t'as trois types qui vont arriver, se placer à cette table et attendre.

Il se tût un instant, tirant une nouvelle bouffée et relâchant la fumée dans un long souffle.
Il savait exactement ce qu'il allait se passer, la "manœuvre" ayant déjà été vu et revu.

Malheureusement pour Sören, il s'était mis à dos une bande conséquente de la zone, bande qui avait réussi à grapiller un bout de territoire autour du Last Rock.
Elle était composée d'une vingtaine de membres, mais il y avait quelques bestiaux féroces dedans. Et le chef était du type sadique et vicelard. Fred était un bras droit, mais également son frère.
Mauvaise pioche.

- T'aurai plutôt dû lui rembourser sa bière. Enfin j'dis ça parce que t'as l'air trop beurré pour te battre.

Jouant avec son verre vide, tout en continuant à fumer, Il désigna un mouvement de tête en direction de l'"ami" de Sören.

- Lui, il pourra plus t'aider quand tu partiras de là.

Il décocha un sourire plus qu'amusé par la situation.
Le type qui débarque, sans connaître les règles, et un peu déchirés... Zack en avait connu d'autres quand il était encore flic. C'était des rencontres qui se faisaient non pas dans les bars mais sur des scènes de crimes voire la morgue.

La bordure, c'était le coupe-gorge de Central Point.
Il y avait bien des coins calmes dans ces zones, mais ce n'était pas trop le cas des alentours du bar.
On pouvait se faire égorger pour un oui ou pour un non.
La majorité des caméras étaient H.S, les flics s'y promenaient à reculons au fil du temps, ayant de moins en moins de moyen et surtout l'envie.
Un fait intéressant était que la majorité des flics travaillaient dans la bordure, finissaient par quitter leur logement de fonction situé dans la même zone pour emménager dans la banlieue.
Combien de flics s'étaient retrouvés menacés chez eux ? Voire mort ?

Même le récent couvre-feu était difficile à mettre en place ici, il n'y avait personne pour réellement l'appliquer.
Les seules forces en présence gardaient les remparts de Central Point, afin d'assurer la protection des piliers des boucliers.
Mais jamais ils se bougeraient dans l'intérieur de la bordure.

- C'est pas un type qui va te tomber dessus, c'est tout une bande. Alors, dis-moi ton nom, l'ami, que ton épitaphe soit pas vide.

Et il partit dans un grand éclat de rires.
Un rire profond, caverneux, qui se mit à remplir tout le bar, interrompant les discussions des clients qui lui jetèrent un regard méprisant.
A priori, lui non plus ne semblait pas être très apprécié dans la Bordure.

- Jako, remets-moi ça !

"T'as des jambes, alors bouge ton cul de dégénéré."

L'insulte ne fit qu'amplifier le rire de Zack.

Zack avait pointé du doigt une table vide. Eh ben… c’était une table en plastoc moche, usée par le temps, la bière renversée, les brûlures de cigarettes et les gravures obscènes. Il voulait peut-être changer de table pour une raison ou une autre ?

- T'as ptête pas vu, mais il y avait un type à cette table. Sorti après que Fred se soit fracassé la main et que le vigile le chope.

Sören se contenta de hausser les épaules. Ouais, il y avait peut-être un mec ici, effectivement. Il est peut-être allé accompagner son pote bourré à l’hosto ou quelque chose dans le genre.

- Tu peux être certains que d'ici cinq, ptête dix minutes, t'as trois types qui vont arriver, se placer à cette table et attendre.

L’expression de Sören passa du tout au tout. le sourire joueur et désinhibé fit instantanément place à un regard perçant et sérieux. Sören n’avait pas pensé à ce problème… en même temps, il n’avait pas l’expérience nécessaire pour imaginer que ça puisse lui arriver à lui, pour ce qui semblait n’être qu’une broutille. Pourtant, il avait vu ça dans un tas de films de gangsters mais… c’étaient des films.

- T'aurai plutôt dû lui rembourser sa bière. Enfin j'dis ça parce que t'as l'air trop beurré pour te battre.

- Je suis pas bourré. C’était juste… inattendu.

“Je suis pas bourré”... la phrase typique du mec bourré. Mais non, Sören ne l’était pas. Légèrement éméché, tout au plus.

- Lui, il pourra plus t'aider quand tu partiras de là.

Sören suivit le regard de Zack, pointé vers le videur du bar. Il avait sans doute raison. Si le gorille avait pour rôle de faire en sorte que le bar ne devienne pas plus chaotique qu’il ne l’était déjà, il se foutrait royalement qu’un client se fasse ouvrir le crâne juste devant sa porte.

- C'est pas un type qui va te tomber dessus, c'est tout une bande. Alors, dis-moi ton nom, l'ami, que ton épitaphe soit pas vide.

Ce petit trait d’esprit avait l’air de beaucoup faire rire Zack. Sören esquissa un léger sourire, plus par respect que pour autre chose. C’était bien tourné mais… l’humeur n’était pas trop aux blagues. Les autres clients non plus n’avaient pas franchement trouvé ça marrant, malgré le fait qu’ils se soient pour beaucoup retournés tant ce mec chelou avait beuglé sa petite blague.

Puis le gaillard commanda un nouveau whisky, avant de se faire envoyer chier par le patron. Ça le fit rire encore plus que sa blague. Ce gars n’était décidément pas net… mais il n’y avait sans doute pas des masses de personnes fréquentables dans ce bourbier de toute façon.

- Sören. Mais ne te lance pas dans de grands projets d’enterrement. Une petite croix en bois au pied d’un chêne fera l’affaire.

Sören avait besoin de plus d’infos, et aller dans le sens de Zack ne pourrait qu’augmenter ses chances de les obtenir. Les blagounettes étaient là pour ça. Se forçant à garder un ton léger en totale contradiction avec le torrent d’adrénaline qui lui coulait dans les veines, Sören poursuivit :

- Puisque tu me dis tout ça, je suppose que tu es plutôt là pour m’aider ? T’as l’air d’être un habitué… tu pourrais sans doute m’indiquer un moyen de sortir d’ici. À l’étage, peut-être ?

Apparemment, la "révélation" de Zack avait fait son p'tit effet.
Un p'tit trait, lâché comme ça, expliquant la futur à mort du type.

Ca l'avait refroidit le gars, instantanément. Ptête pas une grosse douche froide, mais assez pour voir que le type était pas bourré, comme il disait.

- Sören. Mais ne te lance pas dans de grands projets d’enterrement. Une petite croix en bois au pied d’un chêne fera l’affaire.

Zack écrasa sa clope dans le cendrier, avant d'enchaîner sur une nouvelle.
Il voyait bien que ça remuait dans les méninges du gars. Enfin, de "Sören". Preuve qu'il n'était pas si con.
Ouais, une solution. Il cherchait une solution.
Il y en avait pas trouzes mille de solutions : soit il se cassait dare-dare et attendait un peu avant de revenir dans la bordure, enfin dans ce coin-là, soit il s'imposait.
Mais la dernière option, ça avait pas l'air d'être son kiffe.

- Puisque tu me dis tout ça, je suppose que tu es plutôt là pour m’aider ? T’as l’air d’être un habitué… tu pourrais sans doute m’indiquer un moyen de sortir d’ici. À l’étage, peut-être ?

Zack ne pu s'empêcher d'avoir un rictus mauvais, tandis qu'il tirait sur sa clope.
Il s'avança du fond de sa chaise, posant ses coudes sur la table pour venir tenir son menton par le dos de la main.
Là pour l'aider ? Fallait pas déconner. Il aidait que ceux qui le payaient. L'altruisme, il connaissait plus vraiment.


- Pour t'aider... ? Non. On voit bien que t'es pas du coin, alors je t'explique les règles, après tu te débrouilles. Enfin, j'peux bien t'indiquer une issue, ouais. J'peux aussi te dire que les gars connaissent bien le coin.

Il se tourna en direction de l'arrière de la salle, désignant un couloir obscur avec une pancarte "WC".

- T'as la réserve par-là, qui débouche sur une arrière-cour. C'par là que le Last Rock se fait livrer ses trucs. Mais quand c'est pas livraison, c'est squatté par des types pas fréquentables. Et vu ta dégaine, ils vont se dire que t'es ptête pété d'oseilles.

Il reporta son attention sur Sören, non seulement pour voir sa réaction, mais aussi pour entamer une proposition.

- Et c'est vrai que t'as l'air pété d'oseilles.

Il le détailla de haut en bas, sans une once de discrétion. Sören pouvait facilement comprendre que Zack le jaugeait ouvertement.

- Mais... T'as de la chance, je crois. J'ai besoin de m'défouler ce soir et j'dirai pas non à une ptite baston... J'peux être ton garde du corps, s'tu veux.

Il n'avait pas pu s'empêcher d'aborder, de nouveau, ce rictus mauvais sur le visage. Rictus qui pouvait aisément faire naître le doute quant à ses intentions.
Ptête qu'il faisait ça pour pigeonner Sören au cours de la soirée, ptête pas.

- En contrepartie, j'connais un p'tit fast-food qui fait de bon tacos et propose de bons alcools.

Clope, alcool, bouffe et... Pas plus. C'était le genre de truc un peu con qu'il kiffait, une façon de passer une bonne soirée.
Ca aurait été meilleur avec une nana avec qui il aurait pu forniquer toute la nuit, mais on n'pouvait pas tout avoir.
Et au pire, il pourrait toujours passer voir Drusilla pour une partie de jambes en l'air.


- Moi, c'est Zack.

- Pour t'aider... ? Non. On voit bien que t'es pas du coin, alors je t'explique les règles, après tu te débrouilles. Enfin, j'peux bien t'indiquer une issue, ouais. J'peux aussi te dire que les gars connaissent bien le coin.

Ce type était bizarre. Il n’était pas là pour l’aider… mais il le faisait tout de même en lui donnant toutes ces informations. Ou alors c’était par pur sadisme, parce que voir les gens paniquer lui plaisait ?

Peu importe au final, il avait l’air de bien connaître ce coin daubé et les habitudes de l’endroit, et il avait la langue suffisamment bien pendue pour tout expliquer sans rien demander en retour.

- T'as la réserve par-là, qui débouche sur une arrière-cour. C'par là que le Last Rock se fait livrer ses trucs. Mais quand c'est pas livraison, c'est squatté par des types pas fréquentables. Et vu ta dégaine, ils vont se dire que t'es ptête pété d'oseilles.

C’est vrai que Sören n’avait pas le look de la plupart des types dans ce bar. Pourtant, il ne portait rien de luxueux… juste des fringues classiques, en bon étant, comme la plupart des gens hors des quartier les plus pauvres. Ici, ça devait être suffisant pour être considéré comme un riche.

- Et c'est vrai que t'as l'air pété d'oseilles.

Sören scruta ses propres fringues quelques secondes, suivant ainsi le regard de Zack. Sa tenue entière était issue du même magasin de prêt à porter bon marché, et il ne portait d’autre bijou que la petite boussole d’argent rattachée à une chaîne de fer autour de son cou… mais Zack n’avait pourtant pas pu la repérer. À quel point ce quartier devait-il être pauvre pour que ses habitants le jugent comme quelqu’un de riche ?

- Mais... T'as de la chance, je crois. J'ai besoin de m'défouler ce soir et j'dirai pas non à une ptite baston... J'peux être ton garde du corps, s'tu veux.

Mais… ?

- En contrepartie, j'connais un p'tit fast-food qui fait de bon tacos et propose de bons alcools.

C’était plutôt léger comme paiement… presque trop pour paraître honnête. Soit ce type aimait la baston au point de ne demander qu’un paiement si anecdotique, soit il y avait anguille sous roche.

Dans tous les cas, le plan n’enchantait pas franchement Sören. Il y avait forcément un moyen de se tirer d’ici en évitant le risque de te prendre un tesson de bouteille en travers de la gorge. L’option frontale, il avait appris à l’éviter pendant des années, et même si les dangers de Central Point étaient ridicules par rapport à ceux de l’extérieurs, ce n’était pas la solution qu’il voulait privilégier.

Alors que le rouquin réfléchissait à une solution alternative tout en buvant quelques gorgées de la boisson offerte par Zack, ce dernier enchaîna :

- Moi, c'est Zack.

- Écoute Zack, merci de proposer tes talents de garde du corps mais… il y a forcément un moyen que je me tire en évitant ces gars. Ils connaissent peut-être l’endroit, mais c’est pas pour autant qu’ils pourront me choper si tu m’aides à prendre un peu d’avance.

Sören avait besoin de n’importe quoi… un accès à un toit, un échafaudage dans une rue du coin, une bouche d'égouts…

Ce Fred était un gros con, alcoolisé ou non. Sören n’avait pas besoin d’un diplôme de psychologie pour le remarquer, et il ne faisait aucun doute que la plupart de ses potes seraient du même acabit.

Les piliers de comptoir, ça sait peut-être taper fort, mais ça ne court généralement pas bien vite et ça ne sait pas bien escalader non plus. Sören était certain qu’il était plus vif d’esprit et plus débrouillard que tous ces débiles qui voulaient lui fracasser la tronche. Il fallait juste qu’il trouve une sortie où il ne croiserait pas 10 clampins en manque d’action derrière la porte.

- Tu connais le patron. Trouve un prétexte pour me faire monter à l’étage. Je trouve un balcon, une fenêtre avec accès à une gouttière, n’importe quoi… et on se retrouve 10 minutes plus tard dans le resto que tu veux, et j’te paye ta bouffe et autant d’alcool que tu peux en ingurgiter.

Non seulement Sören voulait éviter l’affrontement… mais l’idée de sortir d’ici avec Zack ne l’enchantait aucunement. Il n’avait aucune idée de qui ce type était. Si ça se trouve, il allait le mener droit au casse-pipe.

Zack s'était de nouveau calé dans le fond de la chaise, croisant les jambes tout en tirant sur sa clope.
Il écoutait tranquillement le type répondre à sa proposition, mais il ne semblait pas chaud pour.

- Écoute Zack, merci de proposer tes talents de garde du corps mais… il y a forcément un moyen que je me tire en évitant ces gars. Ils connaissent peut-être l’endroit, mais c’est pas pour autant qu’ils pourront me choper si tu m’aides à prendre un peu d’avance.


L'aider à prendre un peu d'avance ? C'était clairement dans ses cordes.
Mais cela voudrait dire séparation et donc pas de "récompenses" pour ces efforts. C'était bénin, parce que financièrement, Zack s'en tirait pas trop mal.
L'affaire tournait bien, pis son boulot de garde du corps aussi. Mme Sanders s'assurait qu'il soit suffisamment bien payé, avec notamment des primes pour les risques.
En vrai, depuis qu'il avait pris ce taffe, et malgré le lancement de sa propre agence de détective, il avait jamais été aussi bien financièrement.

- Tu connais le patron. Trouve un prétexte pour me faire monter à l’étage. Je trouve un balcon, une fenêtre avec accès à une gouttière, n’importe quoi… et on se retrouve 10 minutes plus tard dans le resto que tu veux, et j’te paye ta bouffe et autant d’alcool que tu peux en ingurgiter.

Lui proposer quand même de lui payer un truc après qu'il se soit barré ? Mouais. Il n'y croyait pas trop. Mais bon.
La prétention était louable, en quelque sorte.
Pas vouloir se battre, ça le décevait mais s'il restait ici jusqu'à tard, y aurait certainement de la casse à un moment ou à un autre. Ca serait rattrapable.

- Mouais... Ok, j'vais voir avec Jako. Mais avant...

Il passa sa main dans la poche intérieur gauche de sa veste, non sans relacher un petit nuage de fumée de cigarette.
Il extirpa alors une carte, placée entre son index et son majeur, blanche, rectangulaire. Comme une carte de visite, qu'il déposa sur la table avant de la pousser en direction de Sören.
Le design était minimaliste, de simples caractères noirs sur un fond blanc. Même la typo n'était pas recherchée, usant simplement de la plus célèbre "Times New roman".

Carte de visite a écrit:

Zack Nelvas
-
Détective privé

Au dos de la carte, il y avait un nanoméro, une adresse physique "127 Avenue Newston" et une adresse e-mail "AgenceNelvas@gmail.cp".

- De quoi me contacter, si t'as besoin. Et pas qu'pour le tacos.

Il ricana légèrement.
Bon, clairement, il avait certainement pas donné une image d'un type qu'on aurait envie de contacter, mais tant pis.
Il était pas en mode "boulot", juste en mode "j'décompresse".

- Bon, mon lapin, j'vais m'occuper d'toi.

Il se leva et alla voir le patron, s'accoudant au bar comme un loubard, avant de lui faire signe de s'approcher et de lui servir un verre.

A dire vrai, Zack n'aurait même pas eu à demander la permission de Jako pour dire à Sören que dans ce fameux couloir, il y avait un accès à l'étage supérieur. Les deux se connaissaient depuis des années, s'échangeant réciproquement des services de tous les genres possibles. Enfin presque.
Jako avait, par exemple, déjà recueilli Zack après une violente rixe. Ou Zack avait déjà accompagné Jako dans des expéditions punitives sur des gangs qui le faisaient chier.

Après avoir servi le verre, ils causèrent doucement, histoire que les gens entendent pas trop ce qui se disaient.
Il ne fallu qu'une  minute pour que Jako accède à la requête et confirme couvrir les arrières.

Mais ce fût, peut-être, la minute de trop.
Trois personnes venaient de rentrer dans le bar, saluant rapidement l'assemblée déjà présente, avant d'aller s'installer à une table proche de Sören.
Vestimentairement parlant, il y avait une certaine ressemblance. Ranger de l'armée, avec pantalon kaki, puis un haut... Un marcel, un t-shirt avec des graffitis ou encore un blouson noir.
Il y avait aussi quelques bruits métalliques qui accompagnaient chacun de leur pas. Ca pouvait être les quelques chaînes qui pendaient des vêtements, ou les quelques bijoux, comme des gourmettes, qu'ils abordaient.
Ou ça pouvait être autre chose.

Avec l'information de Zack, il n'était pas difficile de comprendre que c'était les fameux types.
Si Sören avait un doute, peut-être que les quelques regards froids lancés par les types pouvaient lui mettre la puce à l'oreille.

Zack se dirigea à son tour en direction de Sören, un verre à la main, paré à lui donner du temps.

Musique

- Mouais... Ok, j'vais voir avec Jako. Mais avant…

Il lui refila sa carte. Sören la prit et l’observa quelques secondes avant de la fourrer dans la poche de son jean. Il y avait son numéro dessus, c’est tout ce qui comptait vraiment.

- De quoi me contacter, si t'as besoin. Et pas qu'pour le tacos.

Ça le faisait marrer. Sören commençait à franchement se demander si ce type prenait quoi que ce soit au sérieux. Plus le temps passait, plus ce côté “décontracté” que Sören s’efforçait d’afficher, bien qu’aidé par l’alcool, disparaissait.

Maintenant, il s’agissait de sortir d’ici en un seul morceau. Les situations de danger imminent n’avaient rien de bien nouveau pour le rouquin, mais c’est plus l’environnement qui l’inquiétait. Il était plus ou moins coincé dans ce bar et, même s’il arrivait à sortir, il ne connaissait pas les lieux.

- Bon, mon lapin, j'vais m'occuper d'toi.

Sören se contenta d’acquiescer, observant Zack s’éloigner de la table. Il se pencha sur le bar, commanda un autre verre et discuta un petit moment avec le patron. Avant même qu’il ne revienne, trois types étaient entrées dans le bar. Il scrutèrent la salle quelques instants avant de venir s’asseoir à une table proche de Sören. En même temps, il était facile à reconnaître à la couleur des cheveux et au style vestimentaire.

Il ne faisait aucun doute qu’ils n’étaient pas venus pour siroter tranquillement une bière, à en juger par leur regard pas franchement amical.

Puis Zack revint à la table, tranquillement. Il n’avait pas pu rater les trois loubards de la table d’à côté. Il s’assit comme si de rien était. Face au regard interrogateur de Sören, le gaillard se contenta d’acquiescer. Sören pouvait donc monter à l’étage et y trouver une voie de sortie. Peut-être que s’il se levait sans rien dire et se dirigeait vers les escaliers, les 3 types n’auraient pas le temps de réagir ? Non… les toilettes étaient à l’opposé, les types se douteraient immédiatement de ses intentions. Ou alors… il fallait qu’il s’arrête au bar, comme s’il allait commander une autre boisson. C’était sur la route, ça le rapprocherait de quelques mètres.

Sören se leva calmement et commença à se diriger vers le bar. Le plan était loin d’être parfait, mais attendre n'arrangerait rien, il fallait qu’il fasse quelque chose maintenant.

Lorsqu’il passa à côté de Zack, ce dernier lui glissa :

- couloir, 2ème porte de droite

Sören arriva au niveau du bar. Le brouhaha dans la salle l’empêchait d’entendre quoi que ce soit de précis. Si les types se levaient, s’approchaient ou quoi que ce soit… il n’en saurait rien. Mais se retourner vers eux n’était pas une option non plus. Il fallait qu’il trouve autre chose pour recueillir des informations.

Il s’adressa au barman, à un volume suffisamment faible pour être inaudible des tables aux alentour :

- Je vais régler ma note, et celle du grand gaillard à ma table. Merci pour le coup de main.

En partant vers la droite, il posa sur le comptoir une carte de paiement et traça sa route. Il fallait qu’il sache où étaient les gard. Dès que son regard sortit du champ de vision du proprio, Sören activa sa mutation. Il n’avait pas pu mémoriser l’odeur des types… mais il sentirait si quelqu’un était proche de lui, c’était déjà ça.

Sa pupille se dilata, tourna au gris et alors que son odorat commençait à s’affoler de la quantité ahurissante d’informations qui lui arrivaient, il tiqua sur une odeur. Il y avait un humain juste derrière lui… à deux mètres à peine. Et il n’y avait clairement personne ici quelques secondes auparavant. Sören pu faire quelques pas de plus, juste assez pour se retrouver à l’entrée du couloir indiqué par Zack… et une main s’agrippa fermement sur son épaule :

- Hé gamin, la sortie c’est de l’autre côté.

- Hé gamin, la sortie c’est de l’autre côté.

Sören n’eut même pas le loisir de pouvoir se retourner tranquillement.
La main quitta son perchoir violemment, un craquement sec se fit entendre, un hurlement et le bruit sourd d’un corps tombant sur le sol.

- Je t’avais dit de rien tenter, trouduc.

- Va...t’faire foutre !

Le rire guttural du colosse envahi alors la salle, amusé par la réponse.
Le voyou était à genou sur le sol. Son bras maintenu par Zack formait un angle contraire et l’on voyait nettement une bosse irrégulière au niveau du coude.

Zack n’avait pas hésité une seconde en voyant l’un des trois loubards se diriger vers Sören, attendant quelques instants avant de finir son verre et de se diriger à ton tour vers le bar pour en recommander un.
Les deux autres l’avaient suivi, Zack se tenait donc de profil, tenant toujours le type qui pendouillait mollement, gémissent de douleur.

Les deux autres avaient sorti des armes, un poignard pour l’un, une matraque pour l’autre.
Les quelques clients dans leur sillage s’étaient enfuis à l’autre bout de la salle, voire en dehors de l’établissement.

- Te mets pas en travers de notre route, Zack.

Le colosse haussa les épaules, avant de tirer à nouveau sa victime en hauteur, d’attraper l’arrière de sa tête et de la projeter contre son genou.
Nouveau hurlement de douleur, nouveau craquement. Un filet de sang s’échappa des narines et il tomba inconscient sur le sol.

- Trop tard.

Il s’alluma une nouvelle clope, tout en regardant les deux autres.
Ils étaient clairement furax, montrant les crocs.

- Z’allez faire quoi ? L’seul qui peut ptête me tenir tête, c’est Fred. Et avec sa main… C’pas gagné.

En tout cas, s’il se pointait, Zack hésiterait pas à appuyer sur sa blessure, histoire de.
Avoir une faiblesse, dans la bordure, c’était pas bon.

L’établissement était presque désert, ne restait que les deux types, Sören, Zack, le vigile et Jako.
Clairement, la chose ne tournait pas en leur faveur et ils le savaient.

Mais dehors, des renforts attendaient certainement.

À peine Sören avait-il eu le temps de ressentir la poigne sur son épaule que celle-ci s’évapora immédiatement… puis un “crac” atroce se fit entendre… suivi du son lourd d’un corps qui chute.

- Je t’avais dit de rien tenter, trouduc.

Pas besoin de bien connaître Zack pour reconnaître sa voix. Sören se retourna immédiatement et constata la scène : Zack avait visiblement chopé le bras du type et l’avait… tourné. ou frappé, jusqu’à ce qu’il soit… dans le mauvais sens, tout simplement. Le mec était à genoux, le visage marqué par la douleur. Du courage plein sa besace, il eut tout de même les couilles de lâcher un petit commentaire désobligeant :

- Va...t’faire foutre !

Les deux autres bourrins semblaient aussi abasourdis pas la scène que Sören. Ils auraient sans doute eu le temps d’aider leur pote s’ils avaient réagi instantanément lorsque Zack s’était approché. Au lieu de ça, il étaient restés plantés là, debout, abasourdis. Ce n’était que maintenant qu’ils s’étaient décidés à sortir leurs armes. L’un des deux lâcha :

- Te mets pas en travers de notre route, Zack.

Et là, Zack éclata la tronche du mec qu’il tenait à sa mercie. C’était… choquant. Sören avait beau ne pas faire dans la dentelle lorsqu’il s’agissait de survivre… Zack venait de faire du zèle. Le type au sol n’était plus une menace, et lui éclater la tronche n’avait sans doute servi qu’à provoquer les deux types… et sans doute à satisfaire un peu l’envie de péter des tronches de Zack.

Et Sören qui s’était toujours imaginé que les gens qui se faisaient éclater la tronche sans raison n’était qu’un truc qu’on voyait dans les films…

- Trop tard.

- Zack, on se casse.

- Z’allez faire quoi ? L’seul qui peut ptête me tenir tête, c’est Fred. Et avec sa main… C’pas gagné.

Il comptait vraiment leur casser la gueule à eux aussi ? Les deux types ne semblaient clairement pas aussi sereins que ça. Ils avaient beau jouer les gros durs, ils avaient l’air de connaître Zack. C’était facile pour Sören d’en déduire que péter des mâchoires était un passe temps qu’il devait pratiquer assez souvent.

Mais… d’autres allaient se ramener. D’ailleurs, vu la tronche du bar et son manque d’isolation, il ne faisait aucun doute que le vacarme était audible de l’extérieur. Et ce qui devait arriver arriva. La porte s’ouvrit avec fracas. Un mec entra, puis un autre, puis un troisième… quelques secondes plus tard, ils étaient quasiment 10 à l'intérieur… la plupart munis d’armes blanches.

Sören choppa fermement l’épaule de Zack et le tira vers l’escalier. Le colosse recula à peine d’un pas… Sören lâcha son étreinte, parfaitement conscient que si Zack ne voulait pas bouger, il ne bougerait pas.

- Zack, ON SE CASSE !

Sören n’avait nullement envie de se faire casser la gueule. Il se précipita en haut des escaliers, espérant que son garde du corps improvisé ait le bon sens de faire de même.

Sören avait gravi les escaliers en quelques secondes, faisant grincer les vieilles planches de bois sous ses pieds. Zack lui avait dit deuxième porte… mais il faisait complètement noir là dedans et le fait que l’escalier forme un angle droit réduisait drastiquement l’intensité lumineuse en provenance du rez de chaussée.

Pas le temps de chercher la lumière. Si il pouvait trouver un accès à l’extérieur à la deuxième porte, il aurait plus vite fait de trouver son chemin à taton. Sören posa sa main sur le mur de droite et le longea, jusqu’à sentir l’encadrement d’une porte… puis à nouveau le mur…

Le rouquin entendait toujours les voix derrière-lui. Le ton semblait monter, et un rire comme seul Zack en avait le secret venait ponctuellement contraster avec l’ambiance tendue qui devait régner en bas.

Ça embêtait Sören de laisser ce type là. Il l’avait aidé quand même… mais bon, il avait l’air de vouloir jouer au gros dur alors qu’il aurait juste pu s’enfuir avec lui. Le choix de l’affrontement frontal était respectable, mais Sören ne fonctionnait pas comme ça. En dehors du dôme, personne ne pouvait fonctionner comme ça.

Il toucha enfin le contour rugueux de la seconde porte. On aurait dit une sorte de bois mal entretenu, pas verni depuis des décennies. Sören appuya doucement sur la poignée, entrouvrant légèrement la porte et profitant de sa mutation pour repérer tout éventuel danger.

Ça puait, là dedans. Ça sentait la poussière, le renfermé, la moisissure… rien d’agréable, mais rien qui laissait présager d’un danger non plus.

Sören poussa la porte un peu plus fort, qui s’ouvrit alors sur une salle légèrement éclairée par la lumière de la rue, qui filtrait à travers une porte vitrée au verre si sale qu’il en était devenu jaunâtre. En balayant la pièce du regard, le rouquin pouvait constater que c’était une sorte de débarras. De la vaisselle et des conserves étaient maladroitement empilées au sol et grimpaient quasiment jusqu’au plafond par endroit.

Comme quoi, l’arrière boutique était à la hauteur de l’aspect global de l’établissement : glauque et peu accueillante. Mais peu importe. Sören se dirigea vers la porte vitrée, qu’il ouvrit non sans effort tant le bois était gonflé par l’humidité.

Il fit un pas sur l’espèce de minuscule balcon. Il y avait à peine la place pour faire tenir une chaise. Et aucune solution facile pour sortir d’ici ne s’offrait à lui… si ce n’était de sauter dans la rue. Sören aurait préféré passer par les toits pour éviter les rues juste autour du bar où ces blaireaux pouvaient l’attendre, mais aucun moyen relativement sûr de grimper ne s’offrait à lui.

Il allait donc falloir se la jouer débrouillard. Il y avait cette gouttière verticale qui courait le long de la façade à côté du balcon. Évidemment, c’était tout rouillé et rien ne garantissait que ça pourrait supporter le poids d’un homme, si maigrichon soit-il.

Mais ça aurait au moins l’intérêt de ralentir sa chute. Il attendit quelques secondes que l’unique passant de la ruelle s’éloigne, puis il prépara son escapade.

Sören s’assit sur la fine barrière métallique du balcon… qui était étonnement solide par rapport au reste. Il s'agrippa à la gouttière et laissa doucement glisser son corps dans le vide.

Il réussit à poser le pied sur l’une des fixations de la gouttière à mi hauteur, et sauta les quelques mètres qui restaient avant d’arriver au sol. Comme prévu, il s’était rapé les mains sur la surface rouillée de la gouttière, mais c’était un moindre mal comparé à une cheville pétée.

Tout était étonnement calme autour de lui. Les ruelle de ce quartier n’avaient rien à envier à ces impasses glauques du Bronx dans les vieux films policiers. Mais pour le coup… il n’y avait personne aux alentours, et ce n’était pas pour lui déplaire. Sören se dirigea à sa gauche, à l’opposé de l’entrée du Last Rock.

En chemin, il passa nerveusement sa main sur sa lèvre et constata que sa blessure, bien que superficielle, saignait toujours. Il garda sa main pressée contre le bas de son visage alors qu’un filet de sang commençait à couler le long de sa paume, puis de son poignet, pour aller se réfugier dans la manche de sa veste où sa chemise se chargerait bien d’éponger ça.

Comme il en avait pris l’habitude en dehors du dôme, Sören s’arrêtait à chaque croisement de rue. Il prenait soin d’établir le plan mental de son itinéraire afin de savoir à peu près où il se situait par rapport au bar.

Après une vingtaine de minutes à gambader, il se posa sur un banc délabré qui trainait dans un coin. Il était assez loin du Last Rock maintenant, il était improbable que ces types le retrouvent ici. Il sortit son nano, la carte que Zack lui avait confié et composa le numéro avant d’appeler.

bip…

qu’est-ce qu’il allait faire si c’était un de ces connards qui répondait à la place de Zack ?...

bip…

Si ça se trouve, il était blessé…

bip...

ou même mort ?...
bip...

Allez, réponds… … …

Votre contact n’est pas disponible, veuillez laisser un message.

Sören prit quelques secondes pour réfléchir à ce qu’il pouvait dire. C’est Sören, t’es où ? Ça va ? Merde, il fallait pas qu’il donne son nom. Putain si ça se trouve, c’est eux qui avaient son nano, et ils pourraient retrouver le numéro… on peut suivre quelqu’un à la trace avec un numéro ? Les flics pouvaient dans les films. Mais on était pas dans un film là; Et ils étaient pas flics. Merde, il fallait dire quelque chose là...

- C’est le type du bar, rappelle moi. J’espère que tu vas bien.

Et il resta planté là. Pendant une demi-heure. Puis une heure. Son nano ne vibra jamais. Pas question de retourner là bas, il fallait espérer qu’il s’en soit sorti.

La mine basse, Sören se remit en marche, toujours dans la direction opposée du bar. Pas moyen d’aller dans cet hôtel qu’il avait réservé, c’était bien trop près du Last Rock. Il n’avait plus qu’à rejoindre une rue avec un peu de passage, trouver un taxi et rentrer chez lui, en espérant ne pas se faire choper à cause du couvre feu. Quartier de merde.