Monsieur, c'est quoi, un turne?

Je sais pas quelle heure il est, mais le temps a l'air d'être aspiré par un putain de trou noir depuis que je me suis assise sur cette chaise. C'est peut-être le cul à Amber qui fait ça. Il doit falloir une sacrée masse pour arriver à dilater le temps de cette façon...

Je bâille. Le prof, le nouveau, je sais pas encore ce qu'il vaut. Je l'écoute pas trop, à vrai dire, je sais pas s'il a fait ses preuves. Au moins, il a moins l'air de nous prendre pour des cons que la plupart des autres. C'est marrant, il ressemble un peu au prof d'anglais... En plus petit. Et puis, j'ai du mal à lui adresser la parole... La dernière fois, c'était en plein pendant la manif. Il a fait preuve de... Réflexes particulièrement peu fréquents pour un profs. J'en étais venue à la conclusion que c'était un ancien militaire ou un truc du genre. Mais du coup, la gêne d'en reparler fait que j'en sais pas beaucoup plus sur lui. J'imagine que c'est pareil pour lui, parce qu'alors qu'il interroge un peu tout le monde, il me laisse dormir au fond de la classe. Je me balance sur la chaise, mais même ça ne le fait pas tiquer. D'autres m'auraient déjà foutue à la porte.

Il pose une question, Amber répond directement. Mais oui, p'tite princesse, on sait que tu connais la réponse. Tu te tues à la tâche pour avoir la coquille la plus brillante possible. "Est-il possible de transmettre des vérités absolue en terme d'éducation"... Elle se lance dans un petit résumé bien bateau et académique. Aucune pensée propre. Le prof la félicite, complète avec quelques mots. Et puis, le cours continue, jusqu'à une autre question. "Qu'est-ce qui définit un homme"? Un crétin balance un truc sexiste, deux trois couillons rigolent. Le prof ne se démonte pas, et encore une fois, c'est Amber qui répond.

-L’homme est une corde tendue entre l’animal et le Surhomme, une corde au-dessus d’un abîme.

Je ricane en soupirant, en me laissant glisser sur ma chaise. Nietzche. Sérieusement? Elle a même pas dû réfléchir à la question avant de cracher ça par cœur...

Ca devait être la fois de trop. En relevant la tête, je vois le prof qui me regarde, avec cet air propre aux profs de "vous avez quelque chose à faire partager à la classe?" Bien qu'il n'y ait pas la moindre sévérité dans ses yeux. Je sais pas si c'est parce que c'est moi, parce qu'il a vécu ça à la manif. Personne n'ose en parler, on dirait.

Mais d'accord. Il veut que je prenne la parole? L'homme est à mi-chemin entre la bête et le surhomme...? Alors on a deux choses à définir. La bête... Et le surhomme.

-Monsieur, dans ce cas, c'est quoi, un turne?

L'après-manifestation avait apporté son lot de changements désagréables dans la vie de Kayn.
Il avait été impossible pour tous les télespectateurs de passer à côté de Skye, Heidi, Kelya et Kayn, qui avaient fait la une.
Il faisait, pour le moment,  l'objet d'une enquête concernant cette "disparition" dans la ruelle.
Il avait également reçu certaines menaces, mais ce n'était pas quelque chose d'improbable dans la vie d'un turne.

Pour son travail de professeur, on lui avait interdit d'aborder le sujet en classe. Cela aurait pu être pire.
Si un professeur avait le droit d'avoir des opinions politiques, les afficher était autre chose.
Engrainer des élèves dans une manifestation, du moins c'est ce qui avait été sous-entendu, était encore autre chose.

Par conséquent, Kayn avait décidé de suivre les directives.
Il faisait donc cours, sans se préoccuper des incessants regards qui le dévisageaient, le regardaient de haus en bas, ou allaient de lui à Skye, puis de Skye à lui, des lueurs amusées ou curieuses dans le regard.
La seule qui ne semblait pas le chercher du regard, c'était Skye elle-même.

Elle semblait amorphe, au fond de la salle.
Il aurait pu s'inquiéter de cet état, comme un choc post-traumatique, mais de ce qu'il avait entendu, c'était assez courant comme comportement de sa part.
Beaucoup de professeur s'en offusquaient, mais tant que l'élève ne perturbait pas la classe, il n'avait pas besoin de sévir.

Il continue son cours "Est-il possible de transmettre des vérités absolues en terme d'éducation ?".
Bien évidemment, c'est Miss Dusk qui se précipite pour lever la main et y répondre.
Kayn la laisse faire sa réponse et complète.

Il trouvait étrange que la descendante des Dusk soit présente dans cet établissement.
Elle était une citoyenne et des établissements étaient plus adaptées quant à l'éducation d'une telle personnalité.
Mais c'était un détail, préoccupant, certes, mais un détail quand même.

Kayl laisse la cette réflexion, poursuivant son cours.

- Qu'est-ce qui définit un homme ?

- LA TAILLE DE SA BITE ! Hurle un élève.

La remarque fait rire les autres élèves, sous le regard perplexe, mais froid de Kayn. Il fixe le jeune impertinent, laissant cette douce mais gênante sensation de se faire percer l'âme-même.
Au fur et à mesure, les rires se taisent.

- Je vous remercie de votre intervention, Jonas, mais l'on sait depuis quelques années, déjà, que  la réponse se trouve autre part que dans votre slip. Qu'y a-t-il d'autre qui pourrait définir un homme ?

Miss Ambert lève à nouveau le doigt.

- L’homme est une corde tendue entre l’animal et le Surhomme, une corde au-dessus d’un abîme.

Etrangement, cette réponse énoncée de façon plus qu'impulsive, plus comme une réplique de perroquet, fit légèrement ricaner Skye, ce qui fit hausser un sourcil de Kayn.
Il fixe Skye, croisant les bras sur sa poitrine,  le défiant donc, ou l'invitant, à prendre la parole.

Le geste ne passe pas inaperçu auprès des autres élèves, qui regardent attentivement ce "duel" se mettre en place.

-Monsieur, dans ce cas, c'est quoi, un turne?

La question fait l'effet d'une bombe dans la salle.
Non pas bruyante, mais le souffle est tel que tous restent muets, regardant de plus belle Skye, avant de lentement diriger leur regard en direction du professeur, dans un même mouvement.
Un mouvement si synchronisé, qu'on aurait pu y voir une scène d'un film de cinéma.
Comment aurait-il pu en être autrement au NEST ? Avec la récente manifestation qui chamboulait encore la vie de ces étudiants ?

Tous attendaient impatiemment la réponse de Kayn... Réponse qui allait certainement faire preuve d'un certain engouement dont il ne pourrait s'échapper.

- C'est une intervention fort intéressante, Mlle Reid. Seriez-vous en train de sous-entendre qu'humain et turne doivent être dissociés ?

Kayn décroisa les bras et se dirigea vers le tableau où il traça un tableau avec deux colonnes "Humain", "Turne" et deux lignes "Avantages" et "Inconvénients".
De cette façon,  il répondait positivement à sa propre question.

- Pouvez-vous me remplir ce tableau ?

Ce n'était, pour le moment, pas de la philosophie.
Pour le moment.

-Moi, non, mais le métro a l'air d'avoir un avis bien arrêté.

Kayn n'avait même pas besoin de regarder les autres élèves pour savoir qu'ils pensaient la même chose.
D'ailleurs, on pouvait tout à fait rattacher cette histoire de métro à d'autres évènements historiques, dont il parlerait plus tard.

En attendant, Skye cherchant à "participer", plus par sentiment d'injustice et peut-être de rivalité avec Miss Amber, Kayn n'allait pas laisser passer cela, incluant la classe au passage.

Il dessine donc son tableau et demande à la classe de le remplir.
Mais pendant quelques instants, il flotte une certaine incertitude. Les élèves se regardent les uns et les autres, pour finalement se concentrer sur Skye.
Après tout, c'était elle qui avait lancé le débat, n'est-ce pas ?

Ce qu'elle finit par faire, s'avancer en direction du tableau, l'air plutôt déterminée. Kayn s'écarte après lui avoir tendu le stylo, tandis qu'elle remplit la case "Avantages" des turnes : "Evolution de l'humanité".

Dans l'attente de voir si Skye continue ou non de remplir le tableau, Kayn ne prononce pas un mot. Il se contente de la regarder, jetant un regard à la classe.
Celle-ci semblait attendre également, abasourdie et retenant son souffle face à la situation.

- Très bien, Mlle Reid. Mais une idée doit pouvoir s'appuyer sur des arguments, sinon nous ne faisons qu'émettre une opinion et non un fait.

Il en profita pour s'adosser au mur, croisant à nouveau les bras. Il ne regardait plus Skye mais seulement la classe.

- Je rappelle qu'une opinion a une connotation arbitraire. Si vous ne pouvez étayer votre opinion, elle aura alors un impact quasi-inexistant dans votre argumentaire. D'où l(importance de toujours vous appuyer sur des faits. Par exemple...

Il prit un autre stylo, s'approcha du tableau et écrivit "monstre" dans le désavantage des turnes.

- Fait ou Opinion ? Non, ne répondez pas de suite, laissons Mlle Skye défendre ce qui est, pour le moment, qu'un point de vue.

Le jeune professeur reporta son attention sur Skye.

- A ce propos, vous avez parlé de "Métro". Il serait intéressant d'exprimer votre idée, peut-être en faisaint un parallélisme pertinent ?

Il y en avait pleins.
L'on pouvait, par exemple, énoncer la ségrégation aux états-unis d'amérique, entre les années 1950 et 70 où la population noire n'avait droit qu'à être placée dans le fond des bus.
Comme aujourd'hui où l'on ne laissait que le dernier wagon pour les turnes.

- Très bien, Mlle Reid. Mais une idée doit pouvoir s'appuyer sur des arguments, sinon nous ne faisons qu'émettre une opinion et non un fait.

Il me pousse à continuer... Non, c'est pire. Il se sert de moi pour faire son cours. Je suis devenue un exemple à ne pas suivre... Enfin, si je m'arrête ici. A moi, donc, d'étayer mon hypothèse avec des arguments. C'est tellement saoulant... Je pourrais expliquer les caractéristiques phénotypiques des turnes, ou bien le la possible symbiogénèse de l'humain avec une certaine bactérie aux noyaux atomiques instables, mais j'ai comme l'impression que ce serait une perte de temps. Ca me fatigue déjà.

- Je rappelle qu'une opinion a une connotation arbitraire. Si vous ne pouvez étayer votre opinion, elle aura alors un impact quasi-inexistant dans votre argumentaire. D'où l'importance de toujours vous appuyer sur des faits. Par exemple...

Il vient à côté de moi pour écrire "monstre" dans les désavantages des turnes, et il me laisse comme ça, devant son truc. Bordel, c'est clairement une provocation, ça...

- Fait ou Opinion ? Non, ne répondez pas de suite, laissons Mlle Skye défendre ce qui est, pour le moment, qu'un point de vue.

-Un point de vue, c'est une opinion, un jugement. La science ne juge pas, elle prouve. Y'en a parmi vous? Dans votre ADN, y'a un gène qui dit si vous avez ou non des taches de rousseur. Et ce gène il est en deux exemplaires. Si y'a l'un des deux qui dit "Oui" parce que votre père en a, et l'autre qui dit "non" parce que votre mère en a pas, bah vous en avez, parce que "Avoir des taches de rousseur" domine sur "Ne pas en avoir". C'est en gros ce qui se passe pour les turnes, en moins simple. Avec le temps, il y aura de plus en plus de turnes, et de moins en moins de non-turnes. Evolution, bitches.

Ok, j'ai peut-être simplifié à l'extrême, mais ça m'évite de me prendre un vent. Bon, tout le monde n'a pas tout capté; y'a même une rousse au fond qui fait sa maligne en disant qu'elle est l'avenir de l'humanité. Meuf, je parlais des taches de rousseur. Les cheveux, c'est l'inverse. Plus c'est clair, plus l'allèle est récessif. "Dans 30 ans, y'en aura plus".

J'en ai pas terminé. Cette fois, je pointe le mot "monstre".

-Alors qu'un point de vue, c'est ça. Un jugement. Les médias utilisent le mot turne, parfois "mutant". De temps en temps "monstre". Quelqu'un de "différent", ça, ce serait un fait, mais un "monstre", c'est un jugement. Un point de vue. Pas un désavantage. Le désavantage, c'est qu'on nous refuse d'entrer chez H&M à cause de ce jugement.

- A ce propos, vous avez parlé de "Métro". Il serait intéressant d'exprimer votre idée, peut-être en faisait un parallélisme pertinent ?

- Oh, vous voulez que je fasse un joli parallèle sur le racisme ou l'homophobie pour rattraper votre cours? Dans les deux cas, y'avait la "peur de l'autre" qui motivait ces ségrégations. Une peur éteinte aujourd'hui qu'on connait "l'autre", et que ni la couleur de peau ni l'orientation sexuelle ne constitue une menace directe à l'être humain. Mais là, c'est autre chose. Non seulement on connaît pas "l'autre", mais en plus, il est réellement une menace : la toxine.

Un autre tabou. Personne n'a de solution, alors personne n'en parle. Je suis bien placée pour le savoir : j'ai fait de nombreuses expériences pour essayer de transformer ou neutraliser cette toxine. En vain, comme tous mes éminents "collègues" de la FATE.

Kayn écoutait attentivement le discours de Skye qui cherchait à défendre l'idée que les turnes étaient l'avenir de l'humanité.

Il se rendit rapidement compte qu'elle simplifiait les choses pour que l'idée soit accessible à tous, ce qui était un bon point.
Simplifier un concept demandait à le maîtriser pour ne pas faire d'erreurs à l'arrivée, ce qui impliquait donc que Mlle Reid semblait être une férue de sciences.
C'était un élément supplémentaire qui venait s'ajouter aux interrogations de Kayn vis-à-vis de Skye... Il y avait ceci, le fait qu'elle ait utilisé la carte sans poser de questions et qu'elle avait, semble-t-il, également repéré le tireur lors de la manifestation.
Ces éléments en main, Kayn ne pouvait s'empêcher de se demander qui elle était vraiment.

-Alors qu'un point de vue, c'est ça. Un jugement. Les médias utilisent le mot turne, parfois "mutant". De temps en temps "monstre". Quelqu'un de "différent", ça, ce serait un fait, mais un "monstre", c'est un jugement. Un point de vue. Pas un désavantage. Le désavantage, c'est qu'on nous refuse d'entrer chez H&M à cause de ce jugement.

Kayn afficha un léger sourire, volontairement provocateur.

- On pourrait douter du fait que ne pas pouvoir entrer chez H&M, au vu de sa gamme de produits, soit réellement un désavantage, mais soit. Admettons.


Il avait dit cela d'un ton qui n'admettait pas vraiment l'idée. Un poil sarcastique dans ses propos, tandis qu'il regardait hautainement Skye.

- A ce propos, vous avez parlé de "Métro". Il serait intéressant d'exprimer votre idée, peut-être en faisait un parallélisme pertinent ?


- Oh, vous voulez que je fasse un joli parallèle sur le racisme ou l'homophobie pour rattraper votre cours? Dans les deux cas, y'avait la "peur de l'autre" qui motivait ces ségrégations. Une peur éteinte aujourd'hui qu'on connait "l'autre", et que ni la couleur de peau ni l'orientation sexuelle ne constitue une menace directe à l'être humain. Mais là, c'est autre chose. Non seulement on connaît pas "l'autre", mais en plus, il est réellement une menace : la toxine.

Il était évident que Skye commençait à s'agacer du cours. Il restait à savoir si l'agacement était dû au fait de se retrouver là où elle était, ou de devoir participer à cette discussion qui pouvait être comprise comme stérile, ou encore qu'il l'insupportait.
Néanmoins, peu importe l'origine de cet agacement, Kayn gardait son sourire provocateur tout du long.

- Il n'est pas question de "rattraper mon cours", mademoiselle, mais de faire en sorte que vos arguments soient des arguments et non des opinions.


Son stylo toujours en main, il tapota le "Monstre".

- Certains chercheurs et philosophes considèrent que les turnes sont une monstruosité, malgré la mutation de l'ADN, pourquoi ? Parce que c'est une évolution bien trop rapide comparé à ce que nous connaissons.


Il se recula d'un pas et se plaça de telle sorte à garder Skye dans son champ de vision tout en incorporant la classe.

- Parce que l'évolution s'est toujours faite sur des millénaires. Il suffit de se baser sur Darwin. Vous n'êtes pas sans savoir que ce sont les retombées nucléaires qui ont totalement déréglées l'atmosphère de notre bonne Terre, suite à la fin du conflit qui a cessé en 2030. 15 ans plus tard, nous faisons face au premier cas de mutation. Or, cette mutation émet une toxine qui tue un humain non-turne.


Il s'arrêta quelques instants, veillant à ce que la classe assimile bien ses propos.
Il en avait profité pour utiliser un "argument d'autorité", c'était une façon de procéder injuste, mais certains y étaient sensibles... Si des chercheurs et des philosophes disaient cela, c'est qu'ils devaient avoir raison, ils étaient les experts, après tout.

C'était ce sur quoi Kayn avait dévié le cours : l'argumentation.
On devait apprendre aux gens à argumenter et à se méfier de certains procédés, comme l'argument d'autorité, par exemple.
Mais Kayn, dans sa posture et dans son ton, essayait également de décrédibiliser Skye. En étant provocateur et sarcastique, il cherchait à ce qu'elle sorte de ses gonds.
Mettre l'autre en colère était, malheureusement, une façon de gagner un débat. Même si l'on avait complètement tort.

- De ce fait, Mlle Reid, êtes-vous toujours certaine que les turnes ne sont pas des armes vouées à détruire l'humanité ? N'êtes-vous pas des monstres ?

La question restait en suspens dans l'atmosphère lourd de la classe.
Certains élèves avaient pâli, d'autres s'étaient renfermés, d'autres encore regardaient l'heure avec avidité.
Ce cours les mettait mal à l'aise, tout comme le professeur.

J'aime pas cette sensation. On dirait que le prof m'étudie en me mettant en scène, m'utiliser pour faire passer son cours, et moi, je marche dedans à fond. Merde, c'est lui, le mec louche qui s'est retrouvé en pleine action dans la manif, avec du matériel louche, un langage louche et des réflexes louches! Bon. Pour les réflexes, je peux pas dire grand chose. Mais quand même...

A mon explication sur les points de vues et les faits, il répond simplement par une pirouette, mais finit par accepter mon argument publiquement, bien que tout dans son allure, son regard ou le reste, indiquait clairement qu'il n'était pas d'accord avec moi. Putain, il ressemble vraiment trop à Edgeworth... Cet institut attire que les cas sociaux ou quoi?

- On pourrait douter du fait que ne pas pouvoir entrer chez H&M, au vu de sa gamme de produits, soit réellement un désavantage, mais soit. Admettons. A ce propos, vous avez parlé de "Métro". Il serait intéressant d'exprimer votre idée, peut-être en faisait un parallélisme pertinent ?

- Oh, vous voulez que je fasse un joli parallèle sur le racisme ou l'homophobie pour rattraper votre cours? Dans les deux cas, y'avait la "peur de l'autre" qui motivait ces ségrégations. Une peur éteinte aujourd'hui qu'on connait "l'autre", et que ni la couleur de peau ni l'orientation sexuelle ne constitue une menace directe à l'être humain. Mais là, c'est autre chose. Non seulement on connaît pas "l'autre", mais en plus, il est réellement une menace : la toxine.

- Il n'est pas question de "rattraper mon cours", mademoiselle, mais de faire en sorte que vos arguments soient des arguments et non des opinions.

Il se fiche de moi? C'est ce que je fais depuis le départ, c'est lui qui pose des opinions sur le tableau comme si de rien n'était, et que je rattrape ces espèces de piques qu'il laisse passer et qui pousse à la culture de la xénophobie... Merde, à quoi il joue? Il est turne, lui aussi... On l'a tous vu! Je déteste être au tableau, qu'est-ce que je fous ici... Toujours avec son regard hautain, il tapote le mot "monstre".

- Certains chercheurs et philosophes considèrent que les turnes sont une monstruosité, malgré la mutation de l'ADN, pourquoi ? Parce que c'est une évolution bien trop rapide comparé à ce que nous connaissons.

-Encore un jugement. "Trop rapide"? Et alors? Si c'était juste une histoire de rapidité, on parlerait d'anomalie statistique, pas de "monstruosité". Les seuls qui parlent de monstres, ce sont les personnes effrayées par quelque chose d'inconnu. Des enfants qui regardent sous le lit, par exemple. Ou des scientifiques qui cherchent à comprendre pourquoi et comment ils seront bientôt remplacés.

- Parce que l'évolution s'est toujours faite sur des millénaires. Il suffit de se baser sur Darwin. Vous n'êtes pas sans savoir que ce sont les retombées nucléaires qui ont totalement déréglées l'atmosphère de notre bonne Terre, suite à la fin du conflit qui a cessé en 2030. 15 ans plus tard, nous faisons face au premier cas de mutation. Or, cette mutation émet une toxine qui tue un humain non-turne.

- Que ce soit des retombées nucléaires qui aient modifié notre génôme, ou une ère glaciaire causée par je ne sais quel météore qui déplace la croûte terrestre, la cause n'a aucune raison d'influer sur les faits. Le génôme a changé. Ca, c'est un fait. Ce n'est ni bien ni mal. C'est pourtant pas si compliqué, l'humain s'adapte pour survivre à la planète qu'il a lui-même rendue hostile.

Darwin se retournerait dans sa tombe. Être utilisé comme ça pour convaincre une classe de demeurés que l'évolution DOIT être lente, et que si elle est provoquée par une catastrophe humaine, chose qui était alors impensable, on a le droit d'y apporter un jugement de valeur, c'est bas. Le truc, c'est que ses arguments tiennent pas la route. Il le sait; il est prof. Alors c'est qu'il cherche autre chose. Genre, à me pousser à me barrer sous le coup de la colère, et du coup, perdre toute crédibilité.

Et putain, de la colère, y'en a pas mal, à l'intérieur, là. Y'en a depuis toujours. Depuis que je suis capable de comprendre ce qui se passe autour de moi - et ça fait déjà un moment.

- De ce fait, Mlle Reid, êtes-vous toujours certaine que les turnes ne sont pas des armes vouées à détruire l'humanité ? N'êtes-vous pas des monstres ?

-"Vous"? Mais vous pouvez répondre à la question aussi, monsieur. Est-ce qu'une arme voué à détruire l'humanité deviendrait professeur de philosophie? Surtout après une carrière comme la vôtre... Non, attendez. Est-ce qu'une arme vouée à détruire l'humanité serait capable de la perpétuer?

Eh oui. Aux techniques de l'homme de paille et de l'argument d'autorité, j'y répondrais simplement ad hominem. Après ce qu'il s'est passé à la manif, évidemment que j'ai fouillé un peu... J'avais déjà des doutes sur son ancien métier. Mais sans avoir beaucoup plus de détails, je sais aussi qu'il a une famille. Il voulait que je rentre dans son jeu? C'est un parfait exemple de rhétorique politique argumentative. Je ne réponds pas à sa question, et je le place dans une position où la réponse s'impose d'elle-même. Des monstres capables d'enfanter? Non, pire que ça... Va-t-il traiter sa fille de monstre?

-"Vous"? Mais vous pouvez répondre à la question aussi, monsieur. Est-ce qu'une arme voué à détruire l'humanité deviendrait professeur de philosophie? Surtout après une carrière comme la vôtre... Non, attendez. Est-ce qu'une arme vouée à détruire l'humanité serait capable de la perpétuer?

Elle... Faisait référence à sa fille ?
Kayn eut toutes les peines du monde à ne pas laisser la colère paraître sur ses traits. S'il y avait bien des choses qu'il n'appréciait pas, c'était que l'on fouille dans son passé et qu'on mette en lumière des choses personnelles.
Encore plus quand elle n'avait pas sa place dans un simple cours. Certes, le sujet pouvait être virulant et c'était tout l'intérêt de la chose : rester droit dans son argumentaire malgré le sujet.
Il limita donc la chose, laissant peser un certain silence dans la classe tandis qu'il perçait de son regard la jeune élève.

- Mademoiselle, je vous recommanderai de ne pas tomber dans l'attaque personnelle lors d'un débat. Cela a plutôt tendance à décrédibiliser alors que vous dominiez le débat.

Oui, il fallait désamorcer la situation qu'il avait lui-même enclenché.
Ceci dit, il se tourna pleinement face à la classe.

- Bien, cet exercice improvisé a pu vous apprendre plusieurs choses. J'aimerai donc que, pour notre prochain cours, vous établissiez une liste des biais d'argumentations utilisés. On pourrait croire que cela dépasse du cadre de la philosophie, mais ce n'est nullement le cas. Pour ceux qu'ils le veulent, vous pouvez pousser la liste en énumérant d'autres biais d'argumentations.

Puis, il se tourna vers Skye.
Il avait quitté sa posture provocatrice, son air condescendant et son sourire sarcastique, la regardant neutrement, comme il le faisait à l'accoutumé.

- Au vu de votre prestation, vous en êtes dispensée. Néanmoins, vous pouvez vous y prêter si vous le désirez.

Il l'invita, d'un geste, à regagner sa place.

- Je vous prierai également de rester après la sonnerie, qui ne devrait plus tarder. Merci de prévenir votre professeur que Mlle Reid aura du retard.

Et effectivement, la sonnerie... Sonna.
Les élèves déferlèrent alors hors de la salle, comme si l'on avait libéré les eaux d'un barrage.

Quant à Kayn, il alla se poser à son bureau, souhaitant une bonne journée aux élèves.

Une fois la salle vide de tous les autres éléments, Kayn alla fermer la porte à clef, sans dire un mot.
Ce n'est qu'au son du verrouillage de la serrure qu'il se tourna vers elle, croisant les bras sur son torse.

- J'aimerai sincèrement que ce qui m'est privé reste privé, mademoiselle. La chose étant dite, comment vous sentez-vous depuis la manifestation ?

Mon attaque fait mouche. Je le sens beaucoup plus tendu. Voilà qui devrait mettre fin à ce petit exercice pour lequel il a décidé de se servir de moi...! J'ai pas besoin de ça en ce moment. Déjà, parce qu'excepté les quelques connaissances que je me suis faites cette année, ma cote de popularité est pas vraiment au plus haut; elle l'a jamais été. Alors si c'est pour me prêter à un lynchage public old school devant le tableau, non merci...

- Mademoiselle, je vous recommanderai de ne pas tomber dans l'attaque personnelle lors d'un débat. Cela a plutôt tendance à décrédibiliser alors que vous dominiez le débat.

C'était tout l'intérêt de cette "attaque personnelle". Elle avait beau en être une, elle n'en restait pas moins pertinente, et en ne répondant pas, il cédait une partie du territoire. Peut-on appeler "monstre" une créature capable de perpétuer la race humaine? Mais, il n'avait plus le choix, ou en tout cas, s'il l'avait, il préfère arrêter les frais ici.

- Bien, cet exercice improvisé a pu vous apprendre plusieurs choses. J'aimerai donc que, pour notre prochain cours, vous établissiez une liste des biais d'argumentations utilisés.  On pourrait croire que cela dépasse du cadre de la philosophie, mais ce n'est nullement le cas. Pour ceux qu'ils le veulent, vous pouvez pousser la liste en énumérant d'autres biais d'argumentations.

Il a réendossé son masque de professeur. Enfin, je devrais plutôt dire qu'il a retiré son masque de politicien. Il me dispense de l'exercice, mais me propose de m'y prêter quand même. Bizarrement, à l'instant, là, c'est pas la première chose dont j'ai envie. Et puis, il me dit de retourner à ma place, non sans me laisser un avertissement.

- Je vous prierai également de rester après la sonnerie, qui ne devrait plus tarder. Merci de prévenir votre professeur que Mlle Reid aura du retard.


Quand tout le monde se barre, je reste à ma place, les mains dans les poches. Fait chier... En même temps, c'est vrai que j'ai poussé le bouchon. J'ai juste employé cet argument parce que je savais qu'il serait efficace, mais j'ai pas pensé aux... Implications morales.

Il ferme la porte à clé. Okay, ça, par contre, ça me met pas spécialement en confiance.

- J'aimerai sincèrement que ce qui m'est privé reste privé, mademoiselle. La chose étant dite, comment vous sentez-vous depuis la manifestation ?

-En colère.

J'ai répondu du tac au tac. C'est la première chose qui me passe par la tête. En fait, c'est tout ce qui me passe par la tête depuis un moment. Mais je préfère encore ça à devenir amorphe ou à m'anesthésier dans l'alcool. Ceci dit, je réponds à la première partie de sa phrase.

-C'est aux médias qu'il faudra dire ça, m'sieur. Et vous êtes pas le seul sur qui les vieux dossiers refont surface... Grâce à cette putain de journaliste.

"Comment je me sens". Je suis une femme dont le génotype suffit à me refuser les mêmes droits que les autres membres de mon espèce, qui vit dans une ville-prison dont les dirigeants ne cessent de diaboliser l'extérieur. J'ai l'impression qu'on me resserre un étau autour du cou.

-Je commence à comprendre la vague de terrorisme d'il y a six ans. A tous les coups, elle a débuté avec ce genre d'évènements...

-En colère.

Oui, cela ne l'étonnait guère.
N'importe qui serait révolté par les conditions de vie des turnes au seul prétexte qu'ils sont nés ainsi.
Combien aurait échangé leur gène pour une vie plus normale ? Beaucoup trop.
Mais si Skye était en colère, une colère qui ne lui était pas étrangère, Kayn se suffit à écouter, pour le moment.

-C'est aux médias qu'il faudra dire ça, m'sieur. Et vous êtes pas le seul sur qui les vieux dossiers refont surface... Grâce à cette putain de journaliste. Je commence à comprendre la vague de terrorisme d'il y a six ans. A tous les coups, elle a débuté avec ce genre d'évènements...

En entendant ceci, Kayn se fît la réflexion qu'il avait bien fait de fermer la porte à clef. La discussion prenait un certain tournant. Une quelconque intrusion aurait été plus que dérangeante.
Il s'était rapproché de Skye, tout en l'écoutant docilement.
Sa tirade effectuée, il n'était qu'à deux pas d'elle. Il était temps de mettre les points sur les "i". Bien que le "y" aurait été plus approprié.

-Tout d'abord, que des informations me concernant soient à disposition de quiconque chercherait à en savoir plus n'est nullement une raison pour les divulguer officiellement en classe. Je serai intransigeant là-dessus. Est-ce bien clair ? Même si cela vous parait ridicule, j'y tiens.

Il s'approcha encore d'un peu, se penchant légèrement en avant, les mains dans les poches.

- Peut-être me croyez-vous pro-citoyen, malgré mon ADN. Peut-être croyez-vous que j'ai dû renier ce que je suis. Ce n'est nullement le cas. Je suis fier d'être turne et je suis également fier que ma fille de six mois en soit une. Ma fille, Mlle Reid, est l'être que je chérie le plus au monde.

Il se redressa, reprenant une attitude plus molle.

- Ceci étant dit...  Oui, les évènements d'il y a six ans ont commencé par ce genre de méfaits de la part de notre cher gouvernement et comme vous le savez, il y a eu une réaction compréhensible de la part des turnes. Mais, l'histoire ne doit pas se répéter de cette façon. Nous n'avons fait que perdre, il y a 6 ans. Nous risquons encore de perdre si certains s'emportent de la même façon aujourd'hui. Vous êtes intelligentes et vive d'esprit, si intelligente et si vive qu'il vous est capable de repérer la position d'un tireur d'élite lors d'une manifestation. S'ils remarquent cela, il n'est pas impossible que leur prochaine cible ne soit pas Mlle Drambolt, mais bien vous. Alors faites attention.

Il y avait une légère lueur d'inquiétude, visible à travers ce masque de glace qu'il portait perpétuellement.
Il aurait bien donné un autre avertissement, concernant une personne en commun : Zack Nelvas.
Kayn le connaissait bien, il avait été son équipier pendant de longues années et était son ami. Il avait vu la chute du colosse et n'avait rien pu faire.
Aujourd'hui, il était amer de voir à quel point cet ami cherchait à s'auto-détruire.

-Tout d'abord, que des informations me concernant soient à disposition de quiconque chercherait à en savoir plus n'est nullement une raison pour les divulguer officiellement en classe. Je serai intransigeant là-dessus. Est-ce bien clair ? Même si cela vous parait ridicule, j'y tiens.

Je hausse les épaules. Il a raison. Mais j'avais les nerfs. Je sais que j'ai mal fait, et le simple fait que je ne réponde pas devra lui suffire... Pour le moment. Puis, il se penche sur moi. J'ai cette désagréable sensation d'intimidation, la même que quand un flic essaye de te faire cracher des trucs quand il t'arrête au poste alors qu'il a rien sur toi. Une expérience dont je me serais bien passée.

- Peut-être me croyez-vous pro-citoyen, malgré mon ADN. Peut-être croyez-vous que j'ai dû renier ce que je suis. Ce n'est nullement le cas. Je suis fier d'être turne et je suis également fier que ma fille de six mois en soit une. Ma fille, Mlle Reid, est l'être que je chérie le plus au monde.

Je m'en doutais un peu. Son intégrité se lit quasiment sur sa silhouette. Je pense que lui et Mr. Edgeworth sont les deux profs les plus droits de l'académie, même s'ils peuvent parfois être saoûlants et avoir l'air d'avoir un balai dans le cul. Un chacun, je veux dire.

- Ceci étant dit...  Oui, les évènements d'il y a six ans ont commencé par ce genre de méfaits de la part de notre cher gouvernement et comme vous le savez, il y a eu une réaction compréhensible de la part des turnes. Mais, l'histoire ne doit pas se répéter de cette façon. Nous n'avons fait que perdre, il y a 6 ans. Nous risquons encore de perdre si certains s'emportent de la même façon aujourd'hui. Vous êtes intelligentes et vive d'esprit, si intelligente et si vive qu'il vous est capable de repérer la position d'un tireur d'élite lors d'une manifestation. S'ils remarquent cela, il n'est pas impossible que leur prochaine cible ne soit pas Mlle Drambolt, mais bien vous. Alors faites attention.

Woh. Je m'attendais pas à celle-là... Mais le problème que j'ai avec le fait de la fermer et de faire profil bas, c'est qu'il y aura d'autres victimes avant qu'une solution ne se dégage de tout ce bordel.

-C'est pas qu'on s'y est pris de la mauvaise façon. Personne n'a rien fait. Ou plutôt, tout a été orchestré un peu trop parfaitement pour que ce soit juste un malheureux hasard des choses. La manifestation a été autorisée et datée par le gouvernement. Les lacrymogènes et leur effet révélateur ont été tenus secrets jusqu'à ce jour précis. Et un tireur était présent sur scène? Si le simple fait de participer à cette manif était, au choix, soit stupide, soit désespéré, et je pencherais pour les deux, c'est parce que ca n'a jamais été une manif. C'était un stand de tir médiatisé.

Je regarde le mot écrit par le prof, toujours au tableau.

-Ils ont fait exprès de nous faire passer pour des "monstres". Ca vous fait rien, à vous?

Perso, dans mon domaine, j'avance aussi vite que je peux pour obtenir des éléments à utiliser, pour avoir enfin des pièces en main pour agir. Faire quelque chose. Parce que si ça continue...

-Si ça continue, ça finira par être "eux ou nous".

- C'est pas qu'on s'y est pris de la mauvaise façon. Personne n'a rien fait. Ou plutôt, tout a été orchestré un peu trop parfaitement pour que ce soit juste un malheureux hasard des choses. La manifestation a été autorisée et datée par le gouvernement. Les lacrymogènes et leur effet révélateur ont été tenus secrets jusqu'à ce jour précis. Et un tireur était présent sur scène? Si le simple fait de participer à cette manif était, au choix, soit stupide, soit désespéré, et je pencherais pour les deux, c'est parce que ca n'a jamais été une manif. C'était un stand de tir médiatisé.
Ils ont fait exprès de nous faire passer pour des "monstres". Ca vous fait rien, à vous? Si ça continue, ça finira par être "eux ou nous".

Si ça ne lui faisait rien ? Si, bien sûr.
Il trouvait que ce qui avait été orchestré plus que détestable. Immonde, abject. Un moyen gratuit de taper sur les turnes. Les pertes ? Elles allaient dans le sens du gouvernement pour justifier la dictacture.
Et encore une fois,ce sont les convaincus qui se retrouvaient pénalisés, qu’importe leur croyance.

- Si, cela me mets hors de moi. Mais on ne peut répondre par la passion face à de telles manigances, Mlle Reid.

Il se tapota la tempe, pour appuyer l’idée.

- Nous ne sommes plus dans un cadre possible comme autrefois où la population pouvait se soulever contre un gouvernement et gagner, malgré de nombreuses pertes. Ce n’est plus possible et vous le savez.

Depuis combien de temps le gouvernement se préparait et s’armait face à un possible renversement  des turnes ?
Les forces spéciales étaient entraînées pour ce genre de cas. L’armement était préparée pour cela, il suffisait de voir les grenades lacrymogènes… Qu’est-ce que la FATE avait pu concocter de plus ?

- Si vous voulez renverser la vapeur, il faudra frapper fort et une seule fois, une seconde fois n’est pas possible, il n’est pas envisageable d’échouer. Quant à préparer ce coup… Cela tient presque de l’impossible. Il faut réunir des gens, des contacts, de l’argent, des armes. Trouver quoi faire tomber. Et à la moindre passion d’un tier turne qui met un projet en place, cela peut tout faire capoter.

Il repensa amèrement aux conséquences de la manifestation, qui n’étaient pas si lourdes que cela.

- Combien de temps avant qu’ils décident de nous pucer pour savoir où l’on est ? Pour répertorier toutes nos capacités ? Découper la ville en zone avec interdiction de passer d’une zone à l’autre ? Et une résistance ? Oui, c’est possible, mais cela demande beaucoup trop de hasard.

Il soupira intérieurement. Il n’avait pas pour habitude d’être pessimiste, mais il fallait avouer qu’il l’était.
C’était pour cela que la seule solution plausible pour Kayn était de partir de Central Point.

- Et à la moindre erreur… Nous sommes foutus. Un agent double ? Foutus. Une mauvaise information ? Foutus. Une action précipitée ? Foutus. Si les turnes ne comprennent pas ce dans quoi nous sommes et vont manifester, en pensant que ça changerait quelque chose… Alors nous sommes encore plus foutus.

La discussion venait de le mettre sur les nerfs, perdant alors son sang-froid habituel, il se permit de sortir une cigarette de son paquet et de s’en allumer une.

- Pour moi, il faut quitter Central Point.

- Si, cela me mets hors de moi. Mais on ne peut répondre par la passion face à de telles manigances, Mlle Reid.

Ca te dérangerait pas de poser ton 18ème siècle à côté un petit moment? Je sais bien que la meilleure solution n'est pas une révolution façon La Bastille. C'est, en substance, ce que je viens de dire.

- Nous ne sommes plus dans un cadre possible comme autrefois où la population pouvait se soulever contre un gouvernement et gagner, malgré de nombreuses pertes. Ce n’est plus possible et vous le savez.

D'ici quelques années, de toutes façons, si rien n'est fait, soit les turnes seront tous abattus à la naissance, soit leur nombre causera une saturation en toxine qui tuera les autres. Mais le vrai souci, c'était la FATE. Ils avaient dévoilé leur nouvelle arme, ce fameux gaz. Qu'est-ce qu'ils pouvaient avoir d'autre en stock? Sans savoir ça, impossible d'utiliser mes cartes - même si j'en avais - correctement...

- Si vous voulez renverser la vapeur, il faudra frapper fort et une seule fois, une seconde fois n’est pas possible, il n’est pas envisageable d’échouer. Quant à préparer ce coup… Cela tient presque de l’impossible. Il faut réunir des gens, des contacts, de l’argent, des armes. Trouver quoi faire tomber. Et à la moindre passion d’un tiers turne qui met un projet en place, cela peut tout faire capoter.

Attends, il n'est pas en train de me dire d'oublier toute idée de révolution. Il est en train... De me conseiller de bien la préparer? Je me tais un moment, pour savoir vers où va cette discussion...

- Combien de temps avant qu’ils décident de nous pucer pour savoir où l’on est ? Pour répertorier toutes nos capacités ? Découper la ville en zone avec interdiction de passer d’une zone à l’autre ? Et une résistance ? Oui, c’est possible, mais cela demande beaucoup trop de hasard.

Répertorier toutes les capacités turnes, je pense que c'est impossible. Pour moi, il en existe une infinité et aucun pattern n'a été même entraperçu jusque là. Je doute fort qu'on puisse ni prévoir, ni lister le type de mutation qui apparaîtra. Mais le prof n'a pas les informations que j'ai sur l'avancement de la recherche sur le gène mutant ou sur la toxine, aussi, le reste de son discours est emprunt d'un certain... Pessimisme.

- Et à la moindre erreur… Nous sommes foutus. Un agent double ? Foutus. Une mauvaise information ? Foutus. Une action précipitée ? Foutus. Si les turnes ne comprennent pas ce dans quoi nous sommes et vont manifester, en pensant que ça changerait quelque chose… Alors nous sommes encore plus foutus.

J'aurais pas cru le voir dans cet état, lui qui parvenait à garder son calme en plein milieu de la manif... Il en vient même à sortir son paquet de cigarettes pour l'allumer. Dans la salle de cours. Mais c'est sa phrase suivante qui achève de me taire.

- Pour moi, il faut quitter Central Point.

Après un silence pendant lequel il tire sur sa cigarette, j'en prends une dans son paquet pour l'allumer à son tour. Je pense qu'il prend conscience en même temps que moi des implications de notre conversation.

Mon prof de philo discute avec moi d'un exil turne massif.



-Vous savez que vous êtes en train de nous foutre dans la merde...?

Je tire sur la clope. Effectivement, heureusement qu'il a fermé la porte. Fuir la ville...? Ma première pensée va a Kelya. Je partirais pas sans elle. Mais le problème est à une toute autre échelle. Tous ceux qui resteraient ici paieraient les pots cassés... Et la préparation? Ou vivre, quoi manger? Trop d'informations sont manquantes.

-Sans compter qu'on vient de tirer sur nous la couverture médiatique, c'est pas tellement le moment de parler de ce genre de trucs...

Surtout lui, en fait; mais depuis la manif on croise toujours des journalistes, autour du NEST, dans le Grand Parc ou dans le secteur. Ils sont pas compliqués à éviter, mais l'ambiance est... Pesante. En plus, certains ne cherchent pas du tout à les éviter. Je pense qu'Amber tuerait pour avoir 5 minutes d'interview sur Central News.

-N'empêche que vous avez l'air d'avoir vachement réfléchi à la question...

Et s'il faisait déjà partie d'un groupe révolutionnaire underground...? Putain, non, c'est pas possible. Pas avec une femme, une fille, et... Sa dégaine.

-Vous savez que vous êtes en train de nous foutre dans la merde...?

Kayn haussa un sourcil, tout en se tournant vers Skye qui... Fumait, lui faisant hausser alors l'autre sourcil. N'était-ce pas une de ses clopes qu'elle fumait ?
Il ne pouvait pas reprocher grand-chose, étant donné que lui-même fumait.

-Sans compter qu'on vient de tirer sur nous la couverture médiatique, c'est pas tellement le moment de parler de ce genre de trucs...

Pour sa défense, il n'avait pas spécialement voulu aborder le sujet, cela s'était fait dans le flot continu des pensées et paroles.
Néanmoins, Skye avait raison. Il fallait être prudent avec la flopée de journalistes aux alentours. Encore heureux que les images de leur groupe ne se résumaient pas à l'effraction dans la boutique et qu'on les voyait clairement fuir la manifestation.

- Ils n'ont pas grand-chose, de toute façon. La lacrymogène nous a couverte. Mais vous avez raison. D'ailleurs, je fais l'objet d'une enquête. Il n'est pas impossible que la police vous contacte.

La direction était au courant, bien entendu, mais avait quand même décidé de garder Kayn après les explications fournies de sa part.

- A mon avis, vous avez intérêt à cacher ce que vous savez pendant quelques temps. Nullement besoin de me la rendre, je sens qu'elle vous sera bien plus utile.

Et le "sentir" n'était pas bien difficile au vu de cette discussion.

-N'empêche que vous avez l'air d'avoir vachement réfléchi à la question...

Kayn tira longuement une bouffée de sa cigarette. Oui, il y avait longuement réfléchi. Il n'était pas certain de la pertinence de cette réflexion, mais au fil des années et des évènements, il n'avait vu que cela comme solution : partir de Central Point.
Mais même cette solution était difficile. Préparer le voyage, réussir à sortir de la ville, trouver un endroit et se reconstruire.
Qui serait assez fou pour faire cela ? En sachant qu'on ne connaissait plus rien de l'extérieur. C'était peut-être tomber de Charybde en Scylla.

- Peut-être, mais une telle solution ne m'est pas envisageable, à moins qu'il y ait un moyen pour qu'une humaine puisse respirer, à long terme, la toxine. Et malgré cela, je ne suis pas certain qu'elle veuille partir de Central Point.

Kayn n'avait pas vraiment de solutions, au moins pour lui. D'une certaine façon, il était piégé sous ce dôme, jusqu'à la fin de sa vie.

- Passons. Je vous ai parlé de tout cela pour vous dire de faire attention à votre colère car ils la retourneront contre vous à la moindre imprudence. Je crois que vous avez un bon cas d'école pour ce genre de situation, mais lui... Depuis qu'une bombe a explosé à quelques mètres de sa personne, il y a six ans, il perd un peu le contrôle.

Sous-entendu fait, Kayn était au courant, au moins, d'un lien entre Skye et Zack. Celui de stagiaire, seulement.
Mais il savait pertinemment que si Zack bossait d'une telle façon avec quelqu'un, c'était que ce quelqu'un méritait de la confiance.
Le colosse avait du flair pour cela et Kayn s'y fiait.  

Sa cigarette finie, Kayn sortit un cendrier de poche et l'y écrasa avant de le laisser ouvert sur la table pour que Skye puisse également l'y écraser quand elle aura fini.

- Ils n'ont pas grand-chose, de toute façon. La lacrymogène nous a couverte. Mais vous avez raison. D'ailleurs, je fais l'objet d'une enquête. Il n'est pas impossible que la police vous contacte.

"Couverts"... Non seulement les lacrymos nous avaient fait passer pour des monstres devenus assoiffés de violence, mais certaines personnes, comme Heidi, risquaient beaucoup plus. Pour le moment, j'avais eu aucun retour de ça. Je pense que si j'en avais, Kelya aussi, puisqu'on vit ensemble. Et j'imagine que la ligne de conduite du NEST n'est pas vraimetn compatible avec le fait de nous expulser... Littéralement "parce qu'on est turnes". C'est un peu l'inverse qu'ils essayent d'assumer devant le grand public. Bien sûr, j'ai conscience que notre présence à cette manif ne fait pas une bonne pub à l'institut... Après tout, même si on en partait, ça veut dire qu'on y était, pas vrai...?

- A mon avis, vous avez intérêt à cacher ce que vous savez pendant quelques temps. Nullement besoin de me la rendre, je sens qu'elle vous sera bien plus utile.

Il décide de me léguer la carte passe-partout. Cacher ce que je sais...? Je sais quoi, au juste? Qu'on nous a tiré dessus? Que les médias n'en ont pas parlé? Que notre vie était déjà un enfer, mais qu'ils ont réussi à l'empirer avec de nouvelles lois? De toutes façons, j'avais pas très envie de m'étaler sur le sujet... Et puis, lui semblait vraiment avoir un plan... ou tout du moins, un projet.

-N'empêche que vous avez l'air d'avoir vachement réfléchi à la question...

- Peut-être, mais une telle solution ne m'est pas envisageable, à moins qu'il y ait un moyen pour qu'une humaine puisse respirer, à long terme, la toxine. Et malgré cela, je ne suis pas certain qu'elle veuille partir de Central Point.

Partir, ça voulait dire emmener sa femme et sa fille. Bien sûr. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'avais jamais pensé à ça. Peut-être qu'à force d'écouter les médias nous asséner que les turnes et les citoyens ofnt partie de deux... "factions" différentes, opposées même, j'avais fini par oublier que certains, beaucoup même, vivaient ensemble, en couple, en colocation... Et que la solution ne pouvait pas être aussi simple que "partir". Alors quoi...? Qu'adviendra-t-il des turnes qui resteront, si certains partent? Est-ce qu'on commencera d'un coup à les accepter? Est-ce qu'ils auront les même droits que les citoyens...? Non... C'est inenvisageable. Il faut trouver une autre solution. Je commence déjà à réfléchir à mes travaux en cours chez Lexy, quand le prof me rappelle à l'ordre.

- Passons. Je vous ai parlé de tout cela pour vous dire de faire attention à votre colère car ils la retourneront contre vous à la moindre imprudence. Je crois que vous avez un bon cas d'école pour ce genre de situation, mais lui... Depuis qu'une bombe a explosé à quelques mètres de sa personne, il y a six ans, il perd un peu le contrôle.

Une bombe? Une bombe a pété à la tronche de Zack? Merde, tu m'étonnes qu'il a l'air de bien coller dans les décors ravagés de la banlieue. Je meurs d'envie de lui poser la question maintenant. Mais je vois pas vraiment comment amener le sujet de façon subtile... Tant pis, j'imagine que ça tombera au prochain joint.

A propos, je me rends compte que ma cigarette est terminée, quand le prof sort un mini cendar de sa poche. Je fume un peu plus vite que lui, on dirait. J'éteins la mienne après lui.

-Ouais... Je vais faire attention. C'est juste que... Je peux pas rester inactive. Encore moins depuis ce jour.

C'était vrai même avant le jour de l'émeute. Mon cerveau me fait payer lourdement le prix de l'ennui... Je suis obligée de me doper aux données, à l'adrénaline, à tout ce qui peut secouer mon crâne. Je pense sincèrement que c'est à cause de ca que je finirai par crever. Enfin, ça, il n'est pas obligé de le savoir.

-Mais... Comment vous connaissez Zack...?

J'avais déjà un début de réponse. Je connais l'ancien métier de Zack et il en parle comme d'un ancien collègue, ce qui colle avec son comportement le jour de l'émeute. Mais je préfère avoir sa version à lui...

-Ouais... Je vais faire attention. C'est juste que... Je peux pas rester inactive. Encore moins depuis ce jour.

Kayn renferma le cendrier et le rangea dans la poche, sans dire un mot.
L'expression de son visage gardait cet air habituellement neutre, mais il était néanmoins inquiet.
Il lui était impossible de faire un véritable état de l'avant et de l'après vis-à-vis de la manifestation, Skye restait assez... "Discrète", en quelque sorte.
Aujourd'hui, il suffisait de la "chatouiller" pour l'énerver.
En tout cas, son explication ne semblait pas attendre de réponse.

-Mais... Comment vous connaissez Zack...?
Kayn recula sa manche gauche, faisant ainsi voir une montre où il lu l'heure.
Une dizaine de minutes venait de s'écouler et s'il continuait sur cette lancée, ce serait bien plus.

- Votre cours, Mlle Skye. Mettons-nous en chemin.

Il se dirigea pour prendre ses affaires à son bureau, puis alla à la porte pour l'ouvrir et invita Skye à sortir.
Dans les couloirs majoritairement vides du NEST, croisant seulement quelques retardataires, Kayn répondit à la question de Skye.

- J'ai travaillé dans la police. Zack fût mon partenaire jusqu'à ce que je fasse l'objet d'une promotion et aille travailler en banlieue.

Kayn avançait, d'un pas léger et sans se presser.
Travailler dans les forces de l'ordre était un rêve, vite devenu cauchemar. Néanmoins, il ne le regrettait pas car tout ceci l'avait aidé à se forger.

- Nos collègues trouvaient hilarant que nous travaillons ensemble, une sorte de bizutage, croyants que Zack m'en ferait voir de toutes les couleurs parce que j'étais turne et une brindille à côté de lui.

Kayn devait reconnaître que le premier contact avait été... Difficile. Ils en seraient venus aux mains, si lui-même n'avait pas fait preuve d'un sang-froid légendaire.

- Zack était tel un mouton noir à l'époque, très peu apprécié par ses collègues. Bien trop brut pour eux. Cependant, c'est finalement ce qui nous a rapproché. Nous avons réussi à trouver un certain équilibre entre nos deux caractères.

Et comme pour la rencontre, cela avait été difficile.
Trouver une entente entre le sang bouillonnant de Zack et l'attitude pragmatique de Kayn. Dispute sur dispute, qui faisait marrer les collègues.
Ils avaient beaucoup moins rit quand ils se sont rendus compte que Zack et Kayn avait trouvé un terrain d'entente.

- A partir de ce jour, plus personne n'a tenté le moindre bizutage à mon égard car Zack veillait. Le seul moyen de nous mettre sur la touche était de prouver qu'on faisait mal notre travail, ce qui était impossible.

Il cessa d'avancer, se tournant alors vers Skye.

- C'est un ami, Mlle Reid, peut-être mon seul véritable. Et inversement.

Du moins, Kayn était celui avec qui Zack avait passé le plus de temps.
Ou leur amitié était la plus longue.

Avant de me répondre, le prof regarde sa montre et décide de retarder un peu la conversation.

- Votre cours, Mlle Skye. Mettons-nous en chemin.

Je le regarde récupérer ses affaires avant d'aller ouvrir la porte. Je prends mon sac, moi aussi. Je n'ai pas grand chose dedans... J'ai mes notes, et un clavier pour bosser sur mon nanocom. Mais j'ai pas le cœur à bosser, aujourd’hui. Pourquoi je me sens aussi... En colère, ces derniers temps? Je repense à la scène que m'a tapée Heidi au cours d'Edgeworth. mes poings se serrent sur la lanière de mon sac, jusqu'à ce que je me rende compte que mes phalanges me font mal. Je relâche un peu la pression. On est presque seuls, dans les couloirs de l'Académie.

- J'ai travaillé dans la police. Zack fût mon partenaire jusqu'à ce que je fasse l'objet d'une promotion et aille travailler en banlieue.

Il n'en parlait pas avec grande émotion. J'imagine que ça devait pas être un métier facile... Surtout pour un turne. Il a dû en chier pour en arriver là. D'ailleurs, il me le confirme juste après.

- Nos collègues trouvaient hilarant que nous travaillons ensemble, une sorte de bizutage, croyants que Zack m'en ferait voir de toutes les couleurs parce que j'étais turne et une brindille à côté de lui.

C'est vrai que j'imagine assez bien la scène. Zack, le bourru, assez difficile à sociabiliser et préférant bosser en solo... A qui on met dans les pattes un nouveau venu bien coiffé, sans expérience, et turne, par-dessus le marché. Ça devait se marrer dans les couloirs du commissariat. Mais, j'arrive pas à les imaginer se taper dessus, bien que ç’aurait été la première interaction provoquée par Zack, selon moi. Le prof est trop... Froidement... Calme. Académique.

- Zack était tel un mouton noir à l'époque, très peu apprécié par ses collègues. Bien trop brut pour eux. Cependant, c'est finalement ce qui nous a rapproché. Nous avons réussi à trouver un certain équilibre entre nos deux caractères.

-Il a pas dû être simple à mettre en place, cet équilibre... Ca ressemble à un grand écart entre un puits de lave et un seau d'azote liquide.

- A partir de ce jour, plus personne n'a tenté le moindre bizutage à mon égard car Zack veillait. Le seul moyen de nous mettre sur la touche était de prouver qu'on faisait mal notre travail, ce qui était impossible.

Il s'arrête et se retourne vers moi.

- C'est un ami, Mlle Reid, peut-être mon seul véritable. Et inversement.

Je sens comme une... Inquiétude? Dans sa voix, ou plutôt, une requête. "Faites attention à lui". Quelque chose comme ça. Est-ce que je devrais lui parler de la façon dont Zack envisage son futur...? Mort, à cause de son contrat avec Miss Sanders? Est-ce qu'ils en ont déjà parlé, est-ce que c'est à moi de le faire...?

- C'est bizarre de vous imaginer amis. Enfin, je veux dire... Vous présentez pas vraiment pareil. Et il est plutôt... Solitaire. Vous êtes restés en contact...?

Le prochain cours a commencé depuis deux minutes. C'est pas comme si j'en avais quelque chose à faire, mais Vigothia est tellement à cheval sur les règles qu'il va probablement écourter la conversation... Alors, je la fais durer autant que possible.

- C'est bizarre de vous imaginer amis. Enfin, je veux dire... Vous présentez pas vraiment pareil. Et il est plutôt... Solitaire. Vous êtes restés en contact...?


L'interrogation était légitime.
Le Zack d'aujourd'hui n'avait plus rien à voir avec celui d'avant.
C'était l'un des plus grands regrets de Kayn, ne pas avoir su préserver son ami, ce jour-là.
Il, Kayn, c'était toujours demandé si Zack ne lui en avait pas tenu rigueur, inconsciemment ou non.
Mais il avait commencé à se renfermer dès son hospitalisation.

Il jeta un nouveau coup d'oeil à l'heure, le cours venait de commencer depuis deux minutes, mais Mlle Reid ne semblait pas pressée d'y aller.
Kayn reporta son attention sur elle.

- Pour tout vous dire, il n'était pas comme cela, avant. Et oui, nous gardons contact. Il m'a également fait la demande de rester disponible si nécessaire, pour son agence. Ce que j'avais accepté.
Mais il semblerait que quelqu'un, en l'occurrence vous Mlle Reid, m'ayez doublée.

Son sourire s'étira légèrement aux coins des lèvres, tandis que son regard se réchauffa légèrement.
Il n'était nullement jaloux, bien au contraire. Que Zack autorise quelqu'un à travailler de nouveau avec lui était comme un réconfort à ses yeux.

- Il n'est pas non plus impossible que nous soyons amenés à travailler ensemble, sous couvert de ladite agence, pour traquer et débusquer une certaine personne présente lors de la manifestation.

Le tireur d'élite...
Il n'était pas impossible que cet homme soit celui sur lequel Zack avait enquêté, durant un laps de temps malheureusement trop court pour trouver quoi que ce soit de tangible.
Cela devait être réglé, à la lumière ou dans l'ombre.
Il y avait d'autres choses, bien sûr.
Comment ne pas se souvenir du message que Zack lui avait laissé, concernant Mlle Sanders ? Et sa demande folle de reprendre le flambeau dans cette lutte, s'il venait à mourir.
Kayn ne s'était toujours pas prononcé sur ce service.

- Mais dernièrement, nous restons légèrement en froid sur un sujet. Cela laisse à chacun le goût amer que notre lien passé appartient uniquement au passé.

Il ne dit rien sur l'insulte de couardise que Zack lui avait assenée alors que Kayn hésitait toujours à reprendre ce dit flambeau.
Sur le moment, son ancien coéquipier avait l'esprit embrumé par l'alcool et la drogue, mais Kayn connaissait parfaitement le seuil de tolérance de son ami. A ce moment-là, lorsqu'il avait proféré ces mots, il était pleinement conscient.
Il pensait donc, sincèrement que Kayn était un couard.
Cela était douloureux.

Il eut peut-être un moment d'égarement mais Kayn se reprit rapidement.

- Je m'épanche sans prendre en compte que vous n'êtes peut-être pas la personne la plus apte à écouter. Loin de moi l'idée de vous insulter.
Et pourtant... Il était assez étrange que Zack la prenne ainsi sous son aile, bien que s'il continuait ainsi, c'est lui qui la mettrait en danger.
Kayn ne pouvait mettre ce fait de côté, aux oubliettes, et la laisser ainsi.
Il était assez inquiet qu'une  jeune adulte soit embarquée dans des histoires par un être qui ne demandait qu'à mourir, inconsciemment.

Il retroussa à nouveau sa manche, non pas pour regarder l'heure et presser Mlle Reid d'aller à son cours, mais pour tendre son bras, nanocom au poignet.

- Prenez mon numéro, Mlle Reid, cela me rassurerait. Bien entendu, c'est un numéro privé qui, semble-t-il, dépasse cette relation professeur et élève. Vous avez mon autorisation pour l'utiliser à bon escient.

- Pour tout vous dire, il n'était pas comme cela, avant. Et oui, nous gardons contact. Il m'a également fait la demande de rester disponible si nécessaire, pour son agence. Ce que j'avais accepté.
Mais il semblerait que quelqu'un, en l'occurrence vous Mlle Reid, m'ayez doublée.

Je sais pas trop comment réagit à ça. Je fais juste une moue, un peu gênée. J'arrive pas à savoir si sa phrase relève du compliment ou de la taquinerie. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de rancoeur... Comme si ça lui faisait plaisir que je sois la partenaire de Zack. Ces deux-là étaient vraiment proches.

- Il n'est pas non plus impossible que nous soyons amenés à travailler ensemble, sous couvert de ladite agence, pour traquer et débusquer une certaine personne présente lors de la manifestation.

Travailler avec mon prof...? Bah. Après tout, j'ai déjà un contrat avec l'infirmière. Putain, mai vie est tellement bizarre depuis le début de l'année. Par contre, si c'était pour choper celui qui a essayé de buter Kelya, je marche. Mais à mon avis, ça sera pas si simple. Quelque chose me dit qu'il n'y a pas de récompense pour sa tête...

- Mais dernièrement, nous restons légèrement en froid sur un sujet. Cela laisse à chacun le goût amer que notre lien passé appartient uniquement au passé.

A ce point de la conversation, je sais pas trop ce que je peux lui dire ou non. J'ai bossé qu'une seule fois avec Zack pour l'agence, pour le moment. Pour la fille de son maître et ami... Mais est-ce que Mr Vigothia est au courant? Est-ce que je suis sensé lui parler de ça? Et d'ailleurs, est-ce qu'il sait que Zack a parlé de me larguer tout le truc entre les pattes s'il mourait? Est-ce que c'est pour ça qu'il lui a demandé de rester disponible... Pour moi, après?

Trop de conjectures, pas assez de données. J'imagine que ça ne sert à rien de me poser ces questions pour le moment.

- Je m'épanche sans prendre en compte que vous n'êtes peut-être pas la personne la plus apte à écouter. Loin de moi l'idée de vous insulter.

-C'est vrai, je suis peut-être pas celle qui a le plus d'expérience dans ce bordel. Mais je sais que je peux faire la différence, le moment venu. D'ailleurs, vous aussi, vous le savez... Sinon, vous m'auriez pas laissé garder la carte.

Le fameux passe électronique qui sert à contourner la plupart des serrures. Je sais pas s'il aurait la ref, j'ai aucune idée de la culture cinématographique du prof en matière de films du siècle dernier, mais c'est un peu ma carte du maraudeur. Encore que... J'ai jamais eu à l'utiliser pour le moment. Il me tend son nano au poignet, pour que je le scanne, ce que je fais.

- Prenez mon numéro, Mlle Reid, cela me rassurerait. Bien entendu, c'est un numéro privé qui, semble-t-il, dépasse cette relation professeur et élève. Vous avez mon autorisation pour l'utiliser à bon escient.

-C'est super bizarre. Mais j'imagine qu'on était déjà un peu en marge du "prof-élève" quand vous nous avez sauvé la vie. J'essaierai de pas trop appeler après 2h du matin!

Je le connais pas énormément, il est nouveau après tout. Je sais pas à quel point il est imperméable à ce genre de traits d'humour. Mais, ancré dans un coin de ma tête, je me dis que si c'est un pote de Zack, ça peut pas être quelqu'un de foncièrement mauvais.

N'empêche... Depuis le début de l'année, j'ai un boulot avec une étudiante de la FATE qui me connaît sous deux identités différentes, un passe-partout electronique, une salle de recherche privée chez mon infirmière qui bosse aussi pour la FATE, un poste de détective avec mon prof de combat qui est aussi l'ex-meilleur pote de mon nouveau prof qui m'a sauvé la vie.

Je devrais peut-être profiter des prochaines vacances.

-C'est vrai, je suis peut-être pas celle qui a le plus d'expérience dans ce bordel. Mais je sais que je peux faire la différence, le moment venu. D'ailleurs, vous aussi, vous le savez... Sinon, vous m'auriez pas laissé garder la carte.

Kayn soupira intérieurement, ne s'exprimant pas comme il l'aurait désiré.
Mais il était difficile d'expliciter l'idée, celle que Skye n'était pas la plus apte non pas à cause d'une quelconque incompétence.
Mais parce que le fameux sujet était l'affaire avec Lexy Sanders.

- Je le conçois, le reconnais et assume pleinement ce fait, Mlle Reid. Il y a quelque chose, chez vous, que l'on perçoit comme redoutable... Si l'on prête suffisamment attention à certaines de vos... Réactions.

Il énonçait banalement les capacités à Skye de garder son sang-froid, d'analyser et de calculer la position du tireur d'élite.
Ce n'était pas un acte, un réflexe, que l'on pouvait imputer à une étudiante du NEST.
Si Kayn restait admiratif de la prestation, il n'en était que plus curieux de qui était Skye et de ce qu'était sa mutation.

De surcroît, Zack semblait lui avoir donner une grande confiance. Ce qui n'était pas étonnant au vu de la résonnance de colère qu'il y avait entre ces deux-là.
Mais Kayn savait que Zack n'était pas qu'un idiot qui fonçait tête baissée dans les ennuis. Il savait être dans une position inconfortable.
Kayn ne pensait pas que l'association avec Skye était un moyen pour qu'il sorte la tête de l'eau.
Non, à son avis, son ami le colosse avait senti un "truc" chez elle.


Intérieurement, Kayn ne pu s'empêcher de ressentir une bouffée de tendresse pour ce gros balourd.
Il espérait juste qu'à terme, il n'entraine pas Skye dans sa folie.

- L'idée que je cherchais à évoquer, sans malheureusement pouvoir l'énoncer concrètement, ne remet nullement en cause vos capacités, mais votre position.

Kayn porta à nouveau son regard sur l'heure, un simple subterfuge pour détailler les environs et voir si "aucun intru", comme un retardataire ne trainait pas dans les alentours.
Son regard passa donc subtilement de gauche à droite, avant de reporter son attention sur Skye.

- Nous avons une profonde divergence sur un sujet plus qu'épineux. Et il semblerait que nous n'arrivions pas à passer outre, malgré tout ce que nous avons vécu.  

Et pour avoir vécu, ils en avaient vécu.
Ce n'était pas pour rien qu'ils se percevaient comme des frères.

Kayn tendit son nanocom à Skye pour qu'elle prenne son numéro.

-C'est super bizarre. Mais j'imagine qu'on était déjà un peu en marge du "prof-élève" quand vous nous avez sauvé la vie. J'essaierai de pas trop appeler après 2h du matin!

Un léger sourire naquit sur son visage, tandis que son regard froid se dégela face à la blague.

- Si c'est nécessaire, n'hésitez pas. Vraiment. J'outrepasse certainement ma fonction de professeur, mais il semblerait que nous soyons amenés à dépasser ce cadre.

- Je le conçois, le reconnais et assume pleinement ce fait, Mlle Reid. Il y a quelque chose, chez vous, que l'on perçoit comme redoutable... Si l'on prête suffisamment attention à certaines de vos... Réactions.

J'imagine qu'il parle de la fois où j'ai réussi à ne pas être paralysée sur place, lors des tirs pendant la manif. C'est pas tout à fait vrai... J'ai bel et bien paniqué. Seulement, je me suis calmée et j'ai analysé presque immédiatement la situation. Ça pouvait ressembler à un réflexe, de l'extérieur... Mais c'était une décision mûrement réfléchie. Comme le fait de déterminer le point de départ de la balle. Mais, sans en savoir plus, il était difficile d'en arriver à la moindre conclusion. Tout ce que savait le NEST, et tout ce que j'ai laissé savoir à la FATE, c'est que ma mutation consiste à "réfléchir plus vite que la moyenne". Fait corroboré par mes notes, que je garde toujours au sommet sans pour autant transformer mes devoirs en essais techniques hyper-avancés, ce qui attirerait l'attention.

- Je sais pas si vous avez lu mon dossier, comme vous êtes nouveau. Mais je réfléchis vite... Et ça a pas mal de conséquences. Comme le fait de m'adapter plus vite à une situation, ou d'atteindre une vitesse de réflexe pour mes mouvements...

Il me regarde un moment, avant de se justifier.

- L'idée que je cherchais à évoquer, sans malheureusement pouvoir l'énoncer concrètement, ne remet nullement en cause vos capacités, mais votre position.

Il regarde l'heure sur son nanocom, mais je remarque que ses yeux ne se fixent pas sur l'écran. Il utilise sa vision périphérique pour surveiller les alentours.

- Nous avons une profonde divergence sur un sujet plus qu'épineux. Et il semblerait que nous n'arrivions pas à passer outre, malgré tout ce que nous avons vécu.  

Un sujet plus qu'épineux... Est-ce que ce gros balourd de Zack me cacherait encore des trucs? Enfin... J'imagine que oui. Je le vois mal se mettre à me raconter les crasses qu'il a dû faire pour garder la tête hors de l'eau. Kayn me passe son nanocom, et je le scanne.

-C'est super bizarre. Mais j'imagine qu'on était déjà un peu en marge du "prof-élève" quand vous nous avez sauvé la vie. J'essaierai de pas trop appeler après 2h du matin!

Il sourit enfin un peu. Il est tout de suite moins oppressant... C'est fou, ils se ressemblent vachement avec Edgeworth. Je me demande à quoi il ressemble, lui, quand il sourit... Mais je suis pas sûre de le savoir un jour.

- Si c'est nécessaire, n'hésitez pas. Vraiment. J'outrepasse certainement ma fonction de professeur, mais il semblerait que nous soyons amenés à dépasser ce cadre.

-C'est noté, m'sieur... Je file en cours, mais on se tient au courant.

Je lui adresse un salut de la main en mettant la main sur la porte du cours qui m'attendait. Hors de question qu'on me voie avec lui m'accompagnant jusqu'à la porte... Alors que je referme celle-ci, il doit pouvoir entendre mon échange avec la prof.

-Bonjour, m'dame. Ouais, je sais, désolée. C'est le prof d'avant qui m'a retenue. 'Pourrez lui demander...