Un nouvel arrivant

A l'aube, le soleil pointait doucement le bout de son nez à travers le dôme de Central Point laissant le soin à la population endormie de se réveiller en douceur.

Sur l'un des bancs situés à quelques mètres de l'entrée du N.E.S.T, un homme attendait.
Un café à la main, il regardait en direction de l'imposant édifice qui le surplombait de toute sa taille, la sienne étant plus que petite pour un homme adulte.
On pouvait se demander ce qu'il faisait là. La rue était déserte malgré un début de vie aux alentours.
Un nouveau membre du personnel ? C'était ce que l'on pouvait penser de ses vêtements, qui rappelait également la mode des années 1920.
Un pardessus "Chesterfield" en laine et de couleur gris. Il portait un costume quatre pièces. Une veste noire, un gilet de la même couleur qui laissait entrevoir une chemise, blanche, et une cravate rouge.
Sous sa tasse à café, et donc sur ses genoux, il avait une serviette en cuir.

De sa tenue impeccable, rien n'aurait pu laisser présager que Kayn Vigothia, c'était son nom, sortait d'un déménagement.
Son changement de poste, inspecteur de police du district B2 à professeur de philosophie au N.E.S.T, l'avait obligé à changer de foyer. Il avait donc acheté un petit appartement dans le district B-7.
Il avait fait le choix de se rapprocher plutôt que de rester dans l'ancienne zone qui était de l'autre côté de la ville.

Tout en contemplant l'édifice qui incarnait son changement de vie, Kayn se laissait aller à une certaine réflexion quant à la raison qui les avait poussés, sa femme et lui, à faire ce changement.
Il était papa, d'une petite fille nommée "Erin".
Il n'aurait jamais pu croire à un tel bonheur, tout comme jamais il n'aurait pu croire à la rencontre de celle qui était aujourd'hui sa femme "Amélia".
Il était difficile d'approcher Kayn, son attitude étant facilement considérée comme "antipathique". Un regard froid, transperçant jusqu'à l'âme, mettait rapidement mal à l'aise. Le fait d'être peu loquace ajoutait encore à cette sensation.
Venant de la Bordure, cette attitude glaciale était, à l'origine, un simple rempart face à l'adversité. Puis au fur et à mesure, ça s'était marqué dans sa peau, dans son sang et dans ses gênes.
On le surnommait sournoisement la "Machine", prétendant qu'il n'avait rien d'humain, pas même un cœur.

Cela ne l'avait pas empêché de décrocher ce poste, malgré son absence de diplôme.
Il avait montré qu'il avait un bon niveau avec les références. Concernant la pédagogie, son ancien travail lui avait donné l'expérience adéquate en formant des futurs inspecteurs.
La différence, ici, serait l'implication des élèves : certains pouvaient trouver la philosophie ennuyante.

Du bruit.
Kayn redresse la tête sans prendre la peine de regarder dans la direction. Des bruits de pas et quelques voix, un petit groupe s'approche de l'enceinte.
Quelques professeurs, apparemment. Le portail n'allait pas tarder à s'ouvrir.

L'ancien inspecteur jette un bref regard à sa montre : 06h58.
Le portail allait s'ouvrir, il se leva et épousseta ses vêtements.

Les grilles s'ouvrent.
Kayn attend que le groupe passe, puis il pénètre les lieux, à la conquête de sa nouvelle vie.

Miles était arrivé un peu en avance ce jour-là. D'habitude, il était toujours exactement à l'heure de l'ouverture des grilles, mais une erreur dans les horaires du métro aérien l'avait fait arriver quelques minutes plus tôt.

Quelques professeurs arrivaient ensemble et se dirigeaient vers les grilles. C'était précisément une des raisons pour lesquelles il n'arrivait qu'au dernier moment. Il n'était pas misanthrope, mais les discussions sans intérêt n'étaient pas sa tasse de thé, et elles devenaient toutes rapidement sans intérêt avec la plupart de ses collègues. A ce jour, les deux seules exceptions étaient son ami d'enfance, Lucius, et l'étrange infirmière de bonne famille, Lexy.

Aujourd'hui, il y avait quelqu'un sur le banc, juste devant l'entrée. Il attendait probablement l'ouverture, ce qui pouvait vouloir dire deux choses; soit il était parent d'élève, ou venait voir le directeur pour une raison concernant un élève, soit il était un nouveau professeur. Vu l'endroit qu'était le NEST, il arrivait assez souvent que des professeurs temporaires arrivent et repartent aussi sec, ne supportant pas la pression sociales de ceux qui leurs reprochent d'enseigner à des monstres. Peut-être que cet homme était un remplaçant de remplaçant. En tout cas, Miles lui trouvait un port droit et stoïque qui lui faisait penser à un homme de loi, il n'écarta donc pas la première solution.

Il avait, dans l'opinion du professeur d'anglais du moins, un certain sens de la mode et un goût vestimentaire plutôt prononcé. Sûrement un anglais, lui aussi. Ce côté guindé, "rétro mais classe", lui donnait un aspect de vieux polar, ce qui renforça l'impression de Miles qu'il pouvait être un policier. Très différent toutefois de celui qui était venu lui poser des questions l'autre jour. Et à le voir se lever et épousseter sa veste, il dégageait quelque chose de très froid qui semblait le rendre plutôt difficile à aborder… Ce qui leur faisait un troisième point commun.

Le groupe des employés passa devant lui au moment de l'ouverture des grilles. Miles leur emboîta le pas, pour arriver à la hauteur du gentleman au moment où celui-ci commençait à marcher, et se cala sur sa vitesse.

-Bonjour. Nouveau professeur? Je suis Miles Edgeworth, j'enseigne l'anglais ici.

Le jeune professeur n'avait pu passer à côté du grand homme qui s'était, jusque-là, tenu à l'écart des autres enseignants.
Au vu de sa démarche et de son port, il devait également être un professeur.
Apparemment, il avait une certaine tendance à ne pas chercher à se sociabiliser, tout comme Kayn.
Droit, les épaules redressées, il dégageait cette espèce de flegme que l'on attribuait aux anglais lors du siècle dernier, tout comme Kayn.
Si le professeur était bien le genre que Kayn pensait, il n'était pas impossible qu'ils s'entendent bien, avec un probable rendement de quelques mots à la minutes.
Y avait-il besoin de plus ? Non. Honoré De Balzac ne disait-il pas : "Quoi de plus complet que le silence ?"

Mais l'heure n'était pas encore au silence et Kayn pouvait sentir et entendre l'autre s'approcher, un pas souple et sûr à la fois, toujours en adéquation avec son port, signe d'une grande rigueur.
Ce n'était pas commun. Pas anormal non plus. Original, en quelque sorte, surtout pour un professeur.
Kayn justifiait son port droit par son passé de policier et d'inspecteur.
Et lui ? La fierté ? Une éducation ?
Voilà qui était intéressant et il rangea l'idée dans un des multiples tiroirs de son esprit.


-Bonjour. Nouveau professeur? Je suis Miles Edgeworth, j'enseigne l'anglais ici.

Court, succinct, bref. Ça plaisait à Kayn d'aller à l'essentiel.
Le dénommé "Miles" s'était donc placé à côté de lui, se calant sur le même rythme.
Il devait y avoir quelque chose de cocasse à voir ces deux-là, adoptant approximativement la même attitude. L'un était simplement un modèle réduit de l'autre, en quelque sorte.

- Bonjour. Kayn Vigothia, Nouveau professeur, oui. De philosophie.

Sans ralentir l'allure, il se tourne légèrement vers Miles tout en redressant la tête. Bien obligé, l'autre faisait deux têtes de plus.
Il avait, dans un même temps, basculé sa tasse qu'il tenait dans sa main droite à sa gauche puis tendit sa main à Miles.

- Enchanté.

Il se serait bien arrêté là avant, ses salutations faisant office d'un "retour de balle", offrant à Miles la possibilité de rebondir sur des banalités. C'était typiquement le genre de choses nécessaires pour apprendre à connaître l'autre. Si l'on avait envie d'apprendre à connaître l'autre.

- Vous enseignez depuis longtemps ?

La question était d'ordre générale et non propre au N.E.S.T. Libre à Miles de scinder sa réponse s'il le désirait.
Il y avait néanmoins un intérêt dans la réponse : l'expérience de son collègue pourrait certainement lui donner quelques conseils vis-à-vis du fonctionnement du N.E.S.T ou même du comportement global des élèves.
Après tout, ça n'était pas vraiment la population à laquelle Kayn avait pour habitude de se frotter.

- Bonjour. Kayn Vigothia, Nouveau professeur, oui. De philosophie. Enchanté.

Il était plus petit que Miles, mais ça ne changeait rien à son allure générale. Il lui serra la main fermement. Tout dans son comportement tendait vers une éducation irréprochable, voire une culture de la politesse inhérente à sa famille. Ca ne pouvait pas être un mauvais bougre, mais il souffrait sûrement du même syndrome que Miles : le simple fait d'être droit et poli devait lui donner cette étiquette d'une personne froide, distante et renfermée, ce que les jeunes appellent bien poétiquement "avoir un balai dans le cul". C'est pourtant lui qui ouvrit la porte à une discussion plus poussée.

- Vous enseignez depuis longtemps ?

-Ici, depuis quelque années déjà. Je pense être un des trois plus anciens professeurs qui soit encore là.

Il amenait mine de rien le fait que ce métier était plutôt instable, et couramment fui par les enseignants qui ne faisaient pas long feu pour la plupart. Il se demandait si Kayn était au courant de cet état de fait, ou bien si l'information le toucherait d'une façon ou d'une autre.

-Pas que le problème ne vienne des élèves, aussi logique que cela aurait pu paraître; non, la pression vient plutôt des détracteurs de la cause turne. Beaucoup acceptent mal que les turnes aient droit à une éducation supérieure comme les autres.

Énoncée assez objectivement, cette information avait cette fois pour but de prendre la température sur l'avis que pouvait avoir le nouveau professeur à propos des Turnes. On avait déjà vu des employés arrivés au NEST dans l'unique but de traumatiser des élèves. Une triste affaire de professeur de sport avait fait grand bruit à l'époque - enfin, on était loin de la une, les malheurs qui arrivent à cette… tranche de population ne sont pas traités de la même façon que les autres.

-Auparavant, j'ai enseigné le droit dans des écoles plus, disons, conventionnelles.

Cette fois, simple échange de banalités personnelles. A voir s'il rebondirait dessus pour discuter à son tour.

Kayn écoutait attentivement Miles tout en avançant d'un pas sûr dans l'enceinte du NEST.
L'homme synthétisait ses pensées en de simples propos rapides et concis, ce qui était très agréable, laissant Kayn afficher un léger sourire en coin.

-Ici, depuis quelque années déjà. Je pense être un des trois plus anciens professeurs qui soit encore là.

Effectif du personnel instable, encore plus en prenant en compte l'âge de Miles qui semblait assez jeune.
Nulle mention de cet état de fait lors de l'entretien. Dans un même temps, Kayn n'avait pas réellement essayé de savoir, et cela n'avait pas vraiment d'importance.

- Pas que le problème ne vienne des élèves, aussi logique que cela aurait pu paraître; non, la pression vient plutôt des détracteurs de la cause turne. Beaucoup acceptent mal que les turnes aient droit à une éducation supérieure comme les autres.

Kayn absorbe l'information sans ne rien laisser paraître. Son visage reste stoïque et son regard neutre, continuant à regarder droit devant lui.
Et puis, vu le comparatif de taille entre les deux, le chapeau de Kayn faisait légèrement obstacle.
Par souci de sincérité, en quelque sorte, il enleva son chapeau pour le prendre en main.

- Je ne m'en suis nullement inquiété lors de mon entretien. Ce manquement a certainement incité la direction à ne pas en dire plus.


Il énonce cela posément, comme des faits qu'ils ne jugent pas. Une sorte de constat.

- Que des gens tentent de saboter l'acquisition de savoir, voilà qui me parait plus dérangeant.


Le ton reste le même, effaçant une hypothétique intention ou émotion dans la voix.

-Auparavant, j'ai enseigné le droit dans des écoles plus, disons, conventionnelles.

Une ouverture.
Donner une information pour en avoir une, c'était, entre autres, le but de la politesse. On pouvait jouer le jeu, de façon sincère ou non.
Mais c'était le premier jour de Kayn et Miles lui semblait sympathique, à venir et discuter sans rien attendre en retour.
Juste une simple discussion.
Kayn n'en avait pas eu depuis longtemps.

- Mais il semblerait que ce contexte vous soit plus plaisant.


Quelque chose en retour ? Sa reconversion ?
Sa reconversion.

- Pour ma part, je suis dans un processus de reconversion. J'exerçais le métier d'inspecteur et je me suis réorienté. Ayant effectué des formations au sein même de la police, je m'y suis découvert un attrait. Couplé à la philosophie, c'est ce qui m'a mené ici. L'instabilité des postes permet un recrutement... Marginal auquel je pouvais répondre. J'en suis très heureux.


Tout au long de la discussion, il en profitait pour admirer l'endroit.
Il avait déjà apprécié les lieux, au cours de sa première visite, et il en profitait encore.
Néanmoins, il ne savait plus trop où aller. Il décida donc de suivre Miles.

Un interlocuteur en or. Il écoute sans couper la parole et assimile les informations pour les traiter une à une, sans qu'il n'exagère tout ça avec des mimiques impossibles, comme beaucoup des autres collègues de Miles.

- Je ne m'en suis nullement inquiété lors de mon entretien. Ce manquement a certainement incité la direction à ne pas en dire plus.

Il avait retiré son chapeau pour parler, presque religieusement. Il avait raison sur un point cependant, l'administration ne s'étendait pas sur les problèmes inhérents au fait d'accepter un emploi au sein de l'Institut.

- Que des gens tentent de saboter l'acquisition de savoir, voilà qui me parait plus dérangeant.

Une phrase tout à fait vraie, objectivement. Mais il y avait quelque chose de si objectivement objectif dans cette phrase que Miles crut reconnaître un de ses travers de langages, adoptés pour faire bonne figure en société.

-Auparavant, j'ai enseigné le droit dans des écoles plus, disons, conventionnelles.

- Mais il semblerait que ce contexte vous soit plus plaisant.

Plus plaisant? Miles leva un moment les yeux vers l'institut.

-Disons que j'ai du composer avec beaucoup de changements dans ma vie depuis cette époque. Et cet endroit est pour le moment, celui qui me convient le mieux.

- Pour ma part, je suis dans un processus de reconversion. J'exerçais le métier d'inspecteur et je me suis réorienté. Ayant effectué des formations au sein même de la police, je m'y suis découvert un attrait. Couplé à la philosophie, c'est ce qui m'a mené ici. L'instabilité des postes permet un recrutement... Marginal auquel je pouvais répondre. J'en suis très heureux.

Il avait donc raison, c'était un ancien homme de loi. Etrange combinaison que celle de la police et la philosophie au premier abord, et pourtant elle est indissociable de la loi, du droit et de la morale. Tout comme Kayn devenait indissociable de Miles; il remarqua qu'il avait très légèrement ralenti, restant en retrait pour le suivre. C'était son premier jour, il y avait donc fort à parier qu'il ne connaissait pas encore les lieux à part peut-être, la fois où il est venu à l'entretien avec Toby.

-Un ancien policier? Voilà une reconversion peu courante, mais c'est tout à votre honneur. Qu'est ce qui vous a fait quitter l'uniforme?

Il l'emmena vers le bâtiment administratif. Quelques élèves pensionnaires étaient sortis et certains éteignaient en cachette et en jurant leur cigarette à la vue des professeurs arrivant sur les lieux.

En se dirigeant vers le bâtiment administratif, Kayn pu avoir un aperçu de l’absence de discrétion des pensionnaires qui essayèrent de cacher leur méfait. Un manque cruel de rapidité, de naturel et de… Discrétion.
Il était bien évidemment interdit de fumer dans l’enceinte du N.E.S.T et ils le savaient parfaitement.
Kayn préféra ne rien dire, se contentant de montrer sa désapprobation en fixant les jeunes.
Ces derniers accélèrent puis se dispersent de façon plutôt désordonnée, ce qui fit sourire le nouveau professeur.

L’agitation finie, il se remit en tête les dernières paroles de son récent collègue.
Non pas que son absence de réactions aux propos de Miles était une impolitesse, du moins ce n’était pas son intention, mais il allait devoir s’imposer comme nouveau professeur.
Le premier contact pouvait ne pas être facile et cette petite mise en bouche participerait, peut-être, à son introduction parmi les élèves sans qu’il ne fasse rien de plus.
Il reporta donc son attention sur Miles.

- Je vous prie d’accepter mes excuses pour cette légère absence de ma part, les élèves m’ont intrigués. Une telle maladresse, ce n’est pas commun. Vous disiez donc avoir dû composer avec beaucoup de changements. Ceux-ci sont-ils résolus aujourd’hui ?

La nature des changements pouvait être d’un ordre bien trop personnel pour les exposer à terme d’une conversation de quelques minutes. Ce qui n’était pas le cas de l’état de ces changements. Ils pouvaient toujours d’être d’actualité, ce qui expliquerait pourquoi Miles reste dans ce contexte. Où ils pouvaient avoir été traité depuis un certain temps, mais Miles aurait pu décider de garder le même contexte en attendant un nouveau changement.

- Concernant mon histoire, l’honneur n’y malheureusement pas de mise. Voyez-y plutôt une certaine prudence, que l’on pourrait également qualifiée de « fuite ». J’ai pris ma retraite anticipée car ma femme et moi avons eu un enfant. Changer de métier me paraissait plus sage. Un travail moins intrusif et moins dangereux. Même si les enjeux qui semblent concernés cet endroit sont également importants.

Kayn gardait toujours sur lui un médaillon avec le portrait de sa femme et de leur fille « Erin », sous sa chemise, à quelques centimètres de son coeur.
Le sortir pour le montrer, ça n’était pas quelque chose qui viendrait spontanément. Et même si on lui demandait… Peu de chance qu’il accède à cette requête.

- Il ne serait pas idiot de croire que j’ai choisi cette voie pour avoir un avant-goût et me préparer au mieux.

Une phrase banale, peut-être.
Mais l’on pouvait comprendre qu’il y avait une idée sous-jacente qui pouvait jaillir en reliant plusieurs idées.
Quitter son poste de policier.
Intégrer l’école du N.E.S.T, réputée pour sa population de Turne.
Cette « objectivité un peu trop objective ».
Oui, en reliant ses éléments, on pouvait émettre l’hypothèse que la fille de Kayn était une turne.

Il aurait été vain de punir les élèves qui fumaient en cachette. Vain, et un brin hypocrite. Miles lui-même s'éclipsait parfois sur le toit pour fumer une cigarette et bien des professeurs ne se gênaient pas pour fumer en public. Cette règle était surtout là pour habituer les jeunes à comprendre que la cigarette est quelque chose de mauvais, car il n'est pas, légalement, interdit, après tout.

Kayn eut le bon réflexe, en tant que professeur, la technique dite des "gros yeux" reste la plus efficace, lorsqu'elle est couplée à un certain respect de celui qui l'utilise. Ce respect, le professeur de philosophie l'inspirait assez pour que les élèves rentrent vite fait après avoir caché leurs méfaits. Miles eut une moue admirative; lui-même avait parfois du mal, notamment auprès de certains et certaines élèves, à conserver ce respect, qui tend naturellement à disparaître au fil du temps et du rapprochement.

- Je vous prie d’accepter mes excuses pour cette légère absence de ma part, les élèves m’ont intrigués. Une telle maladresse, ce n’est pas commun. Vous disiez donc avoir dû composer avec beaucoup de changements. Ceux-ci sont-ils résolus aujourd’hui ?

Pas commun? Plutôt, pourtant. Les élèves rassemblés dans cet institut étaient, pour beaucoup, des élèves à problèmes. Enfin, des enfants à problèmes. Ce qui s'explique, statistiquement, par le fait que de nombreux turnes n'ont pas une enfance facile et ce manque de stabilité se répercute sur leur comportement à l'adolescence. Certains, de plus, ont des mutations qui peuvent être dangereuses, pour eux, ou pour les autres. Ca n'aide pas à grandir sereinement et à se concentrer sur les règles.

- Résolus n'est pas le terme. Révolus, plutôt. Tout ça est derrière moi, maintenant.

Ce n'était sans doute qu'à moitié vrai, mais Miles ne semblait de toutes façons pas disposé à plus en dire. Kayn avait vu juste, son passé et la mort de sa fiancée n'étaient pas sujets à échanger avec légèreté sur le bord du chemin.

- Concernant mon histoire,  l’honneur n’y malheureusement pas de mise. Voyez-y plutôt une certaine prudence, que l’on pourrait également qualifiée de « fuite ». J’ai pris ma retraite anticipée car ma femme et moi avons eu un enfant. Changer de métier me paraissait plus sage. Un travail moins intrusif et moins dangereux. Même si les enjeux qui semblent concernés cet endroit sont également importants. Il ne serait pas idiot de croire que j’ai choisi cette voie pour avoir un avant-goût et me préparer au mieux.

- Félicitations pour votre enfant! Et pour votre courage et votre abnégation, pour avoir orienté votre vie vers un chemin qui lui soit plus favorable.

Miles était sincère. Il semblait un peu étonné par cette nouvelle, comme si le concept même d'avoir un enfant était quelque chose qui, à force de ne plus y penser, lui était devenu totalement étranger. Il ne savait pas vraiment s'il devait envier ou plaindre Kayn. Mais, à relier les pièces entre elles… Pourquoi serait-il venu spécifiquement dans cette école? N'importe quel autre poste de professeur aurait assuré un avenir serein à son enfant. S'il avait échu au NEST… C'est probablement qu'il était père d'un enfant Turne.

- Comment s'appelle votre descendance?

A force de "banalités", ils arrivaient devant le bâtiment administratif. Kayn serait sûrement reçu à l'accueil, où l'on lui donnerait son emploi du temps, un plan des bâtiments, et d'autre documents, comme une adresse mail professionnelle sur laquelle les élèves pourraient le joindre. Il était évidemment hors de question d'utiliser son adresse personnelle.

- Nous y voilà… Nous pourrons nous retrouver à midi, où vous pourrez me faire part de vos premières impression - et, qui sait, de votre démission à venir?

Miles s'autorisa un sourire. Il avait conscience que c'était un problème d'égo, mais tant de points communs avec ce nouveau venu lui faisaient le voir comme "quelqu'un de bien"...

Mr. Miles Edgeworth ne semblait pas spécialement lui tenir rigueur de son "absence", préférant directement répondre à sa question.

- Résolus n'est pas le terme. Révolus, plutôt. Tout ça est derrière moi, maintenant.

Kayn n'ajouta rien de plus, se faisant une vague idée des hypothétiques changements dont son nouveau collègue faisait mention.
Certainement un drame dans sa vie.

- Félicitations pour votre enfant! Et pour votre courage et votre abnégation, pour avoir orienté votre vie vers un chemin qui lui soit plus favorable. Comment s'appelle votre descendance?

Du courage et de l'abnégation ? Non. Même si Kayn ne voyait pas son acte comme une fuite, malgré la déception qui suivit son départ, il avait du mal à y voir du courage et de l'abnégation.
Il était normal de faire au mieux, tout comme il était normal de l'accompagner en lui donnant les meilleurs outils possibles.
Dans le même contexte, Miles en ferait de même. A moins qu'il ne veuille pas d'enfants.

- Je vous remercie. Elle se nomme "Erin".

Le nom, d'origine anglaise, était un écho dans la lignée. La grand-mère d'Amélia, qu'elle avait peu connu, portait le même nom.

Ils finirent par s'arrêter devant le bâtiment administratif.

- Nous y voilà… Nous pourrons nous retrouver à midi, où vous pourrez me faire part de vos premières impression - et, qui sait, de votre démission à venir?

Son "collègue" décocha un sourire et Kayn jaugea qu'il fallait mettre cela sur le ton de la plaisanterie.
Souriant légèrement à son tour, tandis que son regard restait le même, il avança à nouveau sa main dans le but de le remercier.

- Il me serait regrettable d'abandonner aussi vite. Déjeuner ensemble est une excellente idée, j'accepte avec un grand plaisir. Où vouliez-vous que nous nous donnions rendez-vous ?

Le rendez-vous donné, Kayn se dirigera à l'intérieur du bâtiment, afin de récupérer tous les éléments nécessaires à sa prise de poste.
Il refusera poliment la proposition de la réceptionniste, voulant l'accompagner jusqu'à sa salle.
Kayn voulait aller à la rencontre de ses élèves, seul.

- Je vous remercie. Elle se nomme "Erin".

Erin. Erin Vigothia. Un fort joli nom, et il était à espérer qu'elle vive une vie tout aussi agréable. Ce n'était plus chose aisée en ces temps, peu importe de quel côté de la "barrière" génétique on se trouvait. Le simple fait d'avoir un enfant, tant qu'on ignorait tout des "règles" régissant l'apparition ou non de la mutation chez le nouveau-né, relevait d'une loterie aux chances inconnues où, dans le meilleur des cas, il pourrait avoir une vie "normale" en étant confronté à cette dualité, et dans le pire… Enfin. Ce n'était peut-être pas le moment de penser à ça.

Arrivant devant le bâtiment, Kayn tendit la main pour serrer celle de Miles, qui s'exécuta avec bonne humeur en s'entendant répondre à sa proposition de déjeuner.

- Il me serait regrettable d'abandonner aussi vite. Déjeuner ensemble est une excellente idée, j'accepte avec un grand plaisir. Où vouliez-vous que nous nous donnions rendez-vous ?  

- S'il y a une salle dans le réfectoire prévue pour les professeurs, je ne saurais que trop vous conseiller, à moins que vous n'aimiez l'abondance de promiscuité, de nous retrouver plutôt à "l'Union Jack", une brasserie assez proche où le thé est particulièrement bon.

Ce devait vraiment être un bon jour pour que Miles décidât, en sus d'adresser la parole à un collègue, ce qui était déjà rare, de partager son "repaire du midi" avec lui. Mais il y avait définitivement quelque chez Kayn qui résonnait en lui. Ils se quittèrent pour se rendre dans leurs premiers cours respectifs.