Tu n'as pas changé ! feat. Solveig

Solveig était profondément concentrée sur sa thèse, chez elle.
Travaillant à partir de son ordinateur, elle était pleinement inconsciente du monde qui l'entourait, hormis Ronron qui faisait une sieste sur ses genoux.

Elle s'assurait de la cohérence de ce qu'elle écrivait, refaisait des tests et des analyses. Il n'était plus temps de tergiverser, son examen approchait à grand pas.
Enfin, il lui restait quand même deux mois, mais on n'avait jamais assez de temps.

Alors qu'elle vérifiait à nouveau un tableau récapitulatif, son nanocom vibra.
Elle n'y prêta pas attention.  

Quelques minutes plus tard, dix pour être exact, le nanocom vibra à nouveau.

- Oh mais laisse-moi tranquille. Ce n'est pas le moment.

Son copain passa la tête dans la pièce, demandant si c'était à lui qu'elle parlait. Solveig répondit que non, qu'elle parlait à son nanocom qui n'arrêtait pas de sonner.

"C'est pas aujourd'hui que tu devais voir quelqu'un ?"

Et là... Tilt.
Poussant un cri de stupeur, elle se rappela qu'elle devait voir Johannes, son ancien pote d'info. Il lui avait donné rendez-vous à 11h30 pour déjeuner ensemble.
Il était 10h50...
Solveig avait dû apprendre à contrecarrer ce qu'on appelait son "étourderie", alors que ce n'était pas du tout cela, en mettant des alarmes. Mais même ainsi, le système n'était pas vraiment opérationnel.
Une notification sur le bureau de son ordinateur ? Oui, c'était intéressant, elle pourrait mettre en place une base de données synchronisées entre son ordinateur et son nanocom. Il faudrait s'assurer de la synchronisation... Mettre la base de données principale sur quelle machine ? Le nanocom serait plus pratique mais ça prendrait une place supplémentaire... Ou alors monter un petit serveur ? Ca serait pratique ça mais ça demandait des moyens et du temps qu'elle n'avait pas vraiment, pour le moment.

"Ton rendez-vous, Solveig"

Ah ! Oui, elle regardait l'heure : 11h02.
Et flûte ! Elle allait être en retard. Toujours en pyjama et fonça dans la salle de bain, s'excusant auprès de Ronron pour le réveil en trombe.

20 minutes plus tard, elle était prête.
Elle se dirigea donc, d'un pas pressé, vers les transports.

11h59

Solveig arrive, en retard, tout en maugréant.
Son ami allait forcément la charrier. Pourtant, elle avait beau regarder à gauche et à droite, elle ne le voyait pas.
Impossible de le louper pourtant, il était grand et imposant.

Puis, elle le vit venir vers elle. Légèrement essouflé, il avait l'air d'avoir couru pour venir jusqu'ici.

« Solveigounette ! Comment tu vas ? »

Ils se font la bise, tandis que Solveig le regarde et lui sourit chaleureusement.

- Je vais bien, Jojo, et toi ?

Elle passe sa main dans ses cheveux, afin de tirer une de ses mèches derrière l'oreille, toujours souriante.
Cela lui faisait plaisir de revoir son ancien camarade. Ils riaient bien ensemble et même si la passion primaire de Solveig était la biologie, plus particulièrement la génétique, elle touchait sa bille dans l'informatique et il lui avait permis d'étendre grandement ses connaissances.
Au détriment d'un humour douteux quant à sa capacité à prendre tout au premier degré.
Ce point-là n'avait pas changé, d'ailleurs.

- Que deviens-tu ? Cela fait longtemps. Désolée, je ne t'ai pas oublié mais je suis en plein dans ma thèse, actuellement. D'ici deux mois, je passe mon examen final. Ça me stresse un peu.

Elle se triturait les doigts tout en parlant.
Johannes avait bien conscience du caractère angoissée de Solveig, il était difficile de passer à côté quand on apprenait à la connaître plus en profondeur.

- Je meurs de faim. Je ne connais pas ce restaurant, tu y vas souvent ?

Elle n'avait pas mangé depuis la veille, tout comme dormie ce qui pouvait se voir par les cernes sur son visage et son air un peu pâlotte.

« Tu te fiches de moi ? Allez, on va manger alors, t’as l’air d’en avoir bien besoin ! »

Solveig n’a pas le temps de dire quoi que ce soit bien que la réflexion de Jojo lui rappelle les lieux.
Elle se retrouve poussée à l’intérieur par un subtil mélange de douceur et de fermeté.

« Solveig, Solveig, Solveig, dis moi, ça fait combien de temps que tu as pas pris un peu de bon temps ? »

Elle le faisait actuellement.
Levant les bras vers le plafond tout en se laissant glisser sur le sol, souriant joyeusement.

- J’en prends tout le temps, du bon temps. Drôle de question, Jojo.

Tout comme Johannes savait que le « bon temps » de Solveig se résumait à travailler, même s’il savait qu’elle ne le voyait pas ainsi.
Par le passé, une fois, Solveig avait essayé d’expliquer à Jojo ce qui la « guidait ». Faisant un parallèle entre son envie d’apprendre et de comprendre les choses à un trou noir qui dévorait tout ce qui venait à portée. Et avait la possibilité de se déplacer.

La serveuse sourit, tandis que Solveig la salue.
Puis le duo arrive à sa table « habituel », Solveig s’en rappelle et les souvenirs affluent à nouveau.  Un sourire continue de s’afficher sur son visage.
Ils prennent leur place puis la carte que l’étudiante repose instantanément.

- Un burger et un coca pour moi !

Elle gloussa légèrement.
C’était ce qu’elle commandait à chaque fois qu’ils venaient ici, et ce depuis le premier jour.  A ce sujet, Johannes pouvait peut-être se souvenir de ce moment où elle avait croqué dans l’aliment pour la première fois.
Elle avait poussé un long soupir de plaisir avant de lui proposer d’y goûter.

Les mains sous le menton, les coudes sur la table, Solveig regarde Jojo de son habituel air candide, l’écoutant.

« Sinon, qu’est-ce que je deviens ? J’ai fini par avoir mon diplôme, maintenant je fais dans le mercenariat, je suis devenu tueur à gage.

… Hein ?
L’expression de Solveig se fige littéralement sur place, comme si le temps lui-même avait cessé d’être.
Les yeux grands ouverts, la bouche en forme de « o ».
Elle a relevé légèrement le menton mais le reste de son corps est immobile, comme un lapin qui verrait des phares dans la nuit.

- Tu sais, ça paye super bien, et ça tombe bien je cherche une associée ! »

Elle le voit s’approcher de lui mais est bien incapable de bouger.
Johannes, dit « Jojo », devenir tueur à gages et chercher une associée ? Et elle en plus ? Mais ça n’avait absolument aucun sens.
Il semble ne pas avoir fini son résumé de ce qu’il est devenu, s’approchant d’elle et chuchotant.

« Tu ferais mieux d’accepter, dans le cas contraire je serais obligé de.. t’effacer. »

Brrrr…
Un frisson parcourt l’échine de Solveig.
Elle arrive, plus ou moins, à reprendre contrôle d’elle-même. Assez pour détacher ses bras de la table et se reculer un peu, l’air toujours aussi sidérée.

- Hein ? Mais… Pourquoi moi ? Je ferai une très mauvaise associée. Je ne suis pas très athlétique. Tu pars perdant, tu ne crois pas ? Et puis… Pourquoi ce brusque revirement ? Il s’est passé quelque chose ?

L’horreur de la situation de Jojo avait laissé place à de l’inquiétude chez Solveig.
Pourquoi ce jeune homme si intelligent, et parfois un peu taquin, était devenu tueur à gages ?
Solveig aurait pu aisément se dire que le côté taquin était actuellement en train d’être exécuté, ou qu’une année pour subir une tragédie, en faire le deuil puis devenir tueur à gages, c’était un peu court.

- Dis-moi.

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Jojo la perce de son regard.
Il avait effectivement dû se passer quelque chose de grave et Solveig, sans s'en rendre compte, s'était penchée légèrement au dessus de la table pour qu'il puisse parler doucement.

Pourtant, c'est un éclat de rires qu'elle entendit.
Oh le sagouin ! Il s'était encore moqué d'elle.

« Je suis bien d’accord, tu ferais une terrible associée ! »

- Tu te fiches de moi !!! Idiot !

Elle lui lança, de toute sa force, c'est à dire pas grand-chose, la serviette de son côté de table en plein visage du sportif.
Au moins, elle savait bien taper dans l'œil.

- Et moi, je cours comme une idiote à chaque fois.

Dit-elle en se mettant à rire légèrement.
Son visage s'illumine, malgré la fatigue.

Puis la serveuse arrive et ils passent la commande. Solveig laisse faire Jojo, c'est plus simple.
C'était ce qu'elle appréciait chez lui, entre autres, ce côté prévenant.

« Sinon comment ça va autour de toi ? Ronron se porte bien ? »

Il accompagne sa question d'un ricanement, provoquant une mine boudeuse, comme une petite fille, du côté de Solveig.
Il a toujours trouvé le nom de "Ronron" assez ridicule. Pourtant, Solveig ne voyait pas le problème.

- Ca va et "Ronron" se porte très bien ! Il s'ennuie un peu parce que je ne suis pas souvent là et que Vincent ne s'en occupe pas vraiment. Il me rétorque que c'est un chat et qu'il n'en a pas besoin. Il dit préférer s'occuper de ma chatte, mais Ronron est un mâle...

Elle avait lancé ça... Innocemment.
Mais l'un des hommes de la tablée voisine avait recraché son jus en l'entendant. Solveig s'enquiert de savoir si l'homme allait bien, celui-ci répondit que oui, tout en toussotant.
Solveig reporta alors son attention sur Jojo.

- Avec Vincent, ça ne va pas trop. Il me fait beaucoup de reproches que j'ai un peu de mal à comprendre. Comme quoi je ne serai pas assez présente. Je crois qu'il fait référence à ma thèse, mais c'est normal que je passe beaucoup de temps dessus, non ?

Solveig n'était pas tout à fait au point concernant les questions de sociabilité, d'interaction entre personnes, y compris son copain. C'était ce qui ajoutait du poids dans son aspect "Hors-Monde".
Jojo le savait. Cela pouvait d'ailleurs l'étonner que Solveig était encore avec lui.

- La famille, ça va...

« Ta sœur est toujours à l’hôpital ? »

La fameuse soeur... Heidi.
Oui, toujours à l'hôpital, psychiatrique. Elle avait été internée, peu de temps après le départ de Solveig d'ailleurs.
Cette dernière avait bien essayé de la voir, mais ses parents lui avaient toujours recommandé de ne pas y aller.
Même au bout de plusieurs années, l'interdiction était toujours d'actualité. Solveig commençait d'ailleurs à se poser des questions, mais elle était complètement débordée.

- Mes parents m'ont appelés la semaine dernière et oui, apparemment. Ils ne veulent toujours pas que j'aille la voir, me disant qu'elle est dans un état trop grave pour recevoir des visites. Apparemment, ils sont allés la voir et maman en est ressortie toute chamboulée. Papa veut que j'évite, du coup.

Elle n'en savait pas plus.
Jojo savait que lorsque Solveig sortait la tête de son univers, elle avait quelques pensées pour sa soeur, et qu'elle lui manquait.

- Tu... Crois que je devrais essayer d'aller quand même la voir ? Ca me fait un peu peur...